Spinoza sur l’essence de la politique

Dégagez l’intérêt philosophique de ce texte à partir de son étude ordonnée :

« Ce n’est pas seulement parce qu’elle protège contre les ennemis que la Société est très utile et même nécessaire au plus haut point, c’est aussi parce qu’elle permet de réunir un grand nombre de commodités, car, si les hommes ne voulaient pas s’entraider, l’habileté technique et le temps leur feraient également défaut pour entretenir leur vie et la conserver autant qu’il est possible. Nul n’aurait, dis-je, le temps ni les forces s’il lui fallait labourer, semer, moissonner, moudre, cuire, tisser, coudre et effectuer bien d’autres travaux utiles à l’entretien de la vie; pour rien dire des arts ni des sciences, qui sont aussi suprêmement nécessaires à la perfection de la nature humaine et à sa béatitude. Nous voyons en effet ceux qui vient en barbares, sans civilisation, mener une vie misérable et presque animale, et cependant le peu qu’ils ont, tout misérable et grossier, ils ne se le procurent pas sans se prêter mutuellement une assistance quelle qu’elle soit ».

Spinoza.

Appréciations d'ensemble et remarques

Ce travail vaut par sa clarté et sa fermeté d’expression et de pensée. Le texte de Spinoza a été compris, et l’on sent tout au long de l’étude de ce texte l’amorce de plusieurs développements possibles, tous également intéressants.

Une remarque toutefois, qui vaudra pour la plupart des devoirs où doit figurer une « étude ordonnée ». Dans le cas de cette copie, l’« étude ordonnée » est conduite de façon presque juxtalinéaire : elle rend compte de l’argumentation du texte dans sa progression, et se rapproche ainsi de l’exercice, plutôt « littéraire », de l’explication de texte. Si la chose n’est pas absolument condamnable, elle n’est pas non plus requise par la nature de l’exercice. Il est plus difficile, mais aussi plus intéressant, d’ordonner cette étude sous forme de commentaire composé, cnprobléma-lisant d’une manière claire et nette au départ, et en structurant le développement de l’étude en fonction de la - ou des - problématique (s) axiale(s) que l’on aura décou-verte(s) dans le texte.

Le développement « personnel », qui doit consister en un prolongement philosophique construit comme une extension à partir du thème ou de la problématique centrale du texte, est peut-être ici un peu court par rapport à l’étude ordonnée.

D’excellentes réflexions ont été esquissées : la critique d’un certain ethnocentrisme européen, par exemple, à propos de la notion de barbarie. Une précision toutefois : la notion de barbare prend en effet une signification quelque peu péjorative et entachée d’ethnocentrisme dans la désignation grecque des étrangers à la culture du monde hellénique. Beaucoup plus tard, au XIXe siècle, avec L.H. Morgan, l’anthropologie évolutionniste américaine désignera par le terme de barbarie une phase de l’évolution des cul tures, assurant la transition entre la période de la sauvagerie et celle de la civilisation. Le ternie prend là un sens technique et classificatoire dont la résonance n’est plus la même, bien qu’aient pu s’y rattacher encore de sourdes réminiscences de son premier emploi.

Par ailleurs, le candidat, qui a parfaitement compris le sens de ce qui était représenté par Spinoza comme un avantage dérivé de la socialité, a omis de lui donner le nom qui est le sien dans l’histoire de la philosophie et de l’économie politique : celui de division sociale du travail, dont le concept s’articule fortement dés le platonisme (voir notamment La République, livre II, 368-372), et sera analysé et critiqué par Marx {Le Capital, Éditions Sociales, livre I, tome 1, pp. 57, 115-116, 119, et tome 2,pp. 41-56, 65-66, 71-72, 102-103, 139-140, 165).

En résumé, un travail clair, manifestant un effort de lecture et d’objectivité, mais auquel manquent peut-être une documentation théorique et des aperçus critiques tirés de l’analyse des systèmes socio-économiques modernes.

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