Suffit-il de devenir le maître de ses pensées pour l'être ses sentiments ?
Publié le 09/06/2013
Extrait du document
Combat, castration : à vouloir dominer totalement le sentiment,
raison et volonté expriment moins une maîtrise effective qu'un désir de
maîtrise suspect, peu rationnel, et surtout inefficace : qui nous fera croire
jamais que l'homme peut, sur commande, ne pas avoir peur, n'être ni
joyeux, ni triste, ni en colère, ni amoureux ? Et d'abord, pourquoi ne
devrait-on pas éprouver ces sentiments, ni les autres ? Est-ce
humainement possible ? Est-ce souhaitable ? Qui veut faire l'ange fait la
bête.
Plan :
I. La maîtrise des sentiments par la pensée.
II. « L'homme est toujours nécessairement soumis aux
passions. «
«
son nom l'indique, est de nature à perturber l'âme, et sa violence peut
être grande.
D'autre part, les sentiments sont cha ngeants, et nuisent à la
stabilité ou tranquillité de l'âme qu'ils recherchent.
Ce sont sans doute les philosophes stoïciens qui ont poussé le plus
loin le projet d'une sagesse fondée sur l'absence totale d'émotion.
Ils
recherchaient une sorte de degré zér o de sentiment, l'état d'ataraxie, qui
signifie mot à mot « absence de trouble, d'agitation ».
Ils pensaient
pouvoir, par la seule force de la pensée, réussir à maîtriser leurs
émotions, au point de n'en point éprouver. Ainsi Marc -Aurèle, empereur
romain e t philosophe stoïcien (121 -180), distingue deux choses :
l'événement qui nous arrive, et le jugement qu'on porte sur lui.
Il n'est
pas possible de modifier le cours des événements.
En revanche, notre
jugement dépend entièrement de nous.
Nous devons nous ex ercer à
dissocier en toute circonstance notre jugement de la réalité sur quoi il
porte.
Au lieu de nous laisser imposer par les circonstances les
sentiments les plus divers, nous pourrons alors à toute occasion rester
maître de nous, impassibles.
Plus rien ne pourra nous atteindre, ni la
peine, ni le chagrin, ni la colère : «Si tu t'affliges po ur une cause
extérieure, ce n'est pas elle qui t'importune, c'est le jugement que tu
portes sur elle.
Or, ce jugement, il dépend de toi de l'effacer à l'instant...
Ne dis rien de plus à toi -même que ce que directement t'annoncent les
représentations.
On t'annonce qu'un tel, indignement, dit du mal de toi.
On annonce cela ; mais qu'il t'ait nui, on ne l'annonce pas...
Ainsi donc,
restes -en toujours aux représentations i mmédiates n'y ajoute rien au -
dedans de toi -même, et rien de plus ne t'arrivera.
» (Pensées pour moi -
même, livre VIII, pensées 47 et 49).
Nos sentiments sont donc le produit d'un jugement ; si nous
réussissons à le suspendre et à nous en tenir à la simple r eprésentation
de ce que nos sens nous apprennent de la réalité, plus aucune passion ne
viendra nous déranger.
La maîtrise de nos jugements est donc la
condition suffisante de celle de nos sentiments.
Cette maîtrise est si totale qu'il dépend également de n ous, pour les
Stoïciens, de ne pas éprouver, outre les sentiments comme la colère ou la
peine, les sensations liées directement au corps, comme la souffrance.
«
Le sage ignore la douleur », écrit Diogène Laërce (Ille siècle).
Une
anecdote au sujet d'Épictè te, autre philosophe stoïcien, est célèbre : alors
qu'il était soumis à la torture, il dit calmement à son bourreau : «Tu vas
me casser la jambe.
» Comme le bourreau continue, et la casse enfin,
Épictète, qui n'avait pas crié, lui dit tout aussi paisibleme nt : «Je te
l'avais bien dit : la voilà cassée.
»
Cette histoire relève sans doute de la fable, mais elle illustre bien à
quel point le sage stoïcien pense pouvoir étendre à tout sentiment et
toute sensation le pouvoir de sa volonté et de son jugement..
»
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