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Texte de Rousseau : Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s'en délivrer

Publié le 09/02/2011

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"Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s'en délivrer; toute idée de plaisir est inséparable du désir d'en jouir; tout désir suppose privation; et toutes privations qu'on sent sont pénibles; c'est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux. En quoi consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs, car, s'ils étaient au dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous jouirions pas de notre être. Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s'étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n'en deviendrions que plus misérables : mais à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite, la puissance et la volonté. C'est alors seulement que, toutes les forces étant en action, l'âme cependant restera paisible, et que l'homme se trouvera bien ordonné."

Rousseau, Émile - Livre II, Pléiade, tome 4, page 303

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« compliqué : Rousseau, dans le premier mouvement du texte, n'a énoncé que des généralités dont chacun peutéprouver en lui la vérité.

Il ne reste plus qu'à déduire de ces définitions les règles de conduite que chacun devraitmettre en pratique pour, de malheureux, devenir et se sentir enfin heureux.

C'est ce à quoi s'emploie le secondmouvement de notre texte. 2.

La route du vrai bonheur a) La limitation des désirs à elle seule ne rend pas heureuxComment être heureux ? Que faut-il donc que nous fassions pour parvenir au bonheur ? « La route du vrai bonheur »est identifiée par Rousseau à « la sagesse humaine », conformément à la tradition eudémoniste de la philosophieantique : les stoïciens et les épicuriens comparaient déjà le sage à « un Dieu parmi les hommes », au sens où lesage est de tous les hommes celui qui est parvenu au plus près de la félicité des dieux, tout du moins autant qu'ilest possible à un être mortel de le faire.

Cependant, si la fin à viser est ici aussi bel et bien le bonheur, les moyensd'y parvenir que préconise Rousseau vont quelque peu s'écarter de chacune de ces doctrines antiques.

À la lumièrede ce qui a été dit précédemment sur les causes de notre malheur, on pourrait légitimement penser que pour êtreheureux, il suffit de « diminuer nos désirs » : le nombre de nos désirs les rendant impossibles à satisfaire tous, ilsuffirait d'en limiter la prolifération.

Nous pourrions alors concentrer nos efforts et satisfaire le peu de désirs quenous aurions plus aisément, étant bien entendu qu'on se limiterait alors à des objets faciles à atteindre.

C'estexactement ce qu'Épicure préconise : nous devons pour être heureux faire rentrer nos désirs dans les limites des «désirs naturels et nécessaires », c'est-à-dire finalement des besoins. b) La coïncidence de nos désirs et de nos facultés est la condition du bonheurTelle n'est pourtant pas exactement la position de Rousseau : il ne s'agit pas tant à ses yeux de diminuer nos désirsque de les faire coïncider exactement avec nos facultés.

L'idée est originale.

Sans aucun doute, désirer trop rendmalheureux ; il n'y a pas eu un philosophe pour manquer de le souligner.

Cependant, désirer trop peu est aussisource de malheur : voilà le point où Rousseau paraît novateur eu égard aux deux principales sagesses antiques.Qu'est-ce à dire ? Si le désir est trop facile à satisfaire, si sa satisfaction ne nous demande aucun effort, bref, s'ilest « au-dessous de notre puissance », une partie de notre être demeurera inemployée, nous ne mettrons pas en½uvre toutes nos capacités et nous ne pourrons du même coup nous sentir pleinement satisfaits.

Pour pouvoirvéritablement jouir de soi, il faut être amené à donner le meilleur de soi-même : sentir sa force, exercer sapuissance.

Déployer autant que faire ce peut notre pouvoir d'agir est donc nécessaire au bonheur de l'individu.Après Aristote et Spinoza, Rousseau souligne ici qu'il y a une joie à être actif, à déployer tout son potentiel, à fairepasser à l'acte toute la puissance qui est la nôtre.

Si je veux être heureux, il ne faut donc pas que je reste en deçàde mes possibilités, que l'usage de mes forces demeure partiel : l'effort même par lequel on déploie sa puissance esten lui-même source d'un plaisir de vivre et d'être soi qu'un désir trop facilement satisfait ne permet pas d'éprouver.Est-ce à dire pour autant qu'il faille travailler à « étendre nos facultés » afin d'essayer de les conduire à la hauteurde nos désirs ? Le conseil serait bon si les désirs ne se trouvaient pas modifiés par cet effort même, ce dont on peutdouter : plus je peux, plus je veux, puisque je veux toujours au-delà de ce que j'ai.

Je risque alors de tomber dansl'illimité sans trêve ni repos de désirs destinés à demeurer toujours insatisfaits par leur croissance et déplacementmême d'objets en objets toujours autant éloignés de ma portée, pourtant elle-même croissante.

Je ne ferais alorsqu'entretenir indéfiniment mon malheur.

Mieux vaut alors savoir exactement ce dont nous sommes capables, et yajuster exactement nos désirs.

Cela signifie qu'il faut bien contrer leur tendance naturelle à proliférer, autrement ditles diminuer, mais en se donnant pour limite précise et juste mesure nos « facultés » telles qu'on en fait déjàl'épreuve.

Les désirs deviennent alors « volonté » dans la mesure où ils sont maîtrisés afin de s'accorder à notre «puissance » effective.

Voilà la condition de ce qu'il faut bien nommer l'ataraxie telle que la comprend Rousseau :mon âme cessera d'être troublée par la souffrance que provoquent la privation et l'insatisfaction du désir, etcependant, je serai pleinement actif, aucune partie de mes forces ne demeurera « oisive ».

Au dérèglement de celuiqui désire sans ordre ni mesure, vient ici s'opposer l'homme « bien ordonné », parce qu'il a su imposer à ses désirs unordre mesuré à l'aune exacte de sa puissance.

Il dépendrait alors de nous de cesser d'être malheureux : connais cequi est en ton pouvoir, prends la mesure de tes forces tant physiques qu'intellectuelles et ordonne ni plus ni moinstes aspirations à ces dernières, telle serait « la route du vrai bonheur » pour l'homme. II.

Intérêt philosophique 1.

Position du problème : l'adéquation proposée par Rousseau est-elle seulement possible ?Cependant, une telle thèse pose à tout le moins un premier problème : si je dois résorber l'excès de mes désirs surmes facultés, il faut nécessairement que je connaisse d'abord celles-ci.

Mais comment pourrais-je savoir ce que jepeux faire tant que je n'ai pas essayé de le faire ? Or je ne passe à l'action précisément qu'à la condition d'êtretendu vers un objet désiré.

Ce qui nous pousse à déployer nos forces, c'est l'effort même pour satisfaire le désir, etc'est seulement dans cet effort que je prends connaissance de ce que je peux, ainsi que le souligne Hegel.

C'estdans leur mise en ½uvre, et dans leur mise en ½uvre seulement, que mes facultés se révèlent à moi, que j'éprouveréellement mes limites et mon pouvoir, et parviens ainsi à me connaître moi-même.

Nous voilà donc pris comme dansun cercle vicieux : je dois savoir ce que je peux pour régler mes désirs, mais je ne peux le savoir qu'à condition dedésirer pour ainsi dire d'abord à tort et à travers.

Je serais donc toujours d'abord condamné à être malheureux et à. »

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