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Tite-Live

Publié le 22/02/2012

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La vie d'homme de Tite-Live ne compte pour rien en sa grandeur. Il était né vers l'an 59 avant notre ère à Padoue : cette antique cité " vénéto-troyenne ", qui avait autrefois affirmé sa personnalité contre les Celtes et les Grecs, devenait alors une des villes les plus riches d'une Transpadane latine en plein essor. Ses études d'adolescent, sa vie de labeur le firent Romain, sans qu'il oubliât sa province : marié, père de trois enfants, il semble avoir établi sa fille en son pays natal. Nulle apparence de voyage ou de séjour hors d'Italie. Son existence intellectuelle même paraît soustraite aux caprices comme aux hasards : il est douteux qu'il ait pratiqué professionnellement la rhétorique d'école ; il avait composé des traités de philosophie dogmatique et des dialogues de théorie politique sans doute, " à mettre, dit Sénèque, au nombre d'écrits historiques plutôt que philosophiques ". Rien là qui marque dispersion d'esprit ; mais, au contraire, l'acquisition volontaire, et poussée jusqu'à l'expression personnelle, des hautes parties de la culture, telle que la concevait Cicéron au milieu du siècle. L'oeuvre de sa vie, et presque sa vie même, c'est " l'Histoire de Rome " (Ab Urbe condita libri), commencée avant 31, et à laquelle il travaillait toujours à quatre-vingts ans, quand il mourut (en 17 ap. JC) : comblé de gloire, *l ne pouvait se résoudre au repos ; " son âme inquiète, écrivait-il, ne trouvait pâture qu'en son oeuvre ".    

« La vie d'homme de Tite-Live ne compte pour rien en sa grandeur.

Il était né vers l'an 59 avant notre ère à Padoue : cette antique cité " vénéto-troyenne ", qui avait autrefois affirmé sa personnalité contre les Celtes et les Grecs, devenait alors une des villes les plus riches d'uneTranspadane latine en plein essor.

Ses études d'adolescent, sa vie de labeur le firent Romain, sans qu'il oubliât sa province : marié, père de troisenfants, il semble avoir établi sa fille en son pays natal.

Nulle apparence de voyage ou de séjour hors d'Italie.

Son existence intellectuelle mêmeparaît soustraite aux caprices comme aux hasards : il est douteux qu'il ait pratiqué professionnellement la rhétorique d'école ; il avait composé destraités de philosophie dogmatique et des dialogues de théorie politique sans doute, " à mettre, dit Sénèque , au nombre d'écrits historiques plutôt que philosophiques ".

Rien là qui marque dispersion d'esprit ; mais, au contraire, l'acquisition volontaire, et poussée jusqu'à l'expressionpersonnelle, des hautes parties de la culture, telle que la concevait Cicéron au milieu du siècle.

L'oeuvre de sa vie, et presque sa vie même, c'est " l'Histoire de Rome " (Ab Urbe condita libri), commencée avant 31, et à laquelle il travaillait toujours à quatre-vingts ans, quand il mourut (en 17 ap.

JC) : comblé de gloire, *l ne pouvait se résoudre au repos ; " son âme inquiète, écrivait-il, ne trouvait pâture qu'en son oeuvre ".

Cette Histoire comptait 142 livres l'équivalent de vingt-cinq à trente de nos volumes de 400 pages.

Elle conduisait depuis l'arrivée d'Énée en Italie jusqu'à la mort de Drusus , frère de Tibère et fils adoptif d' Auguste , en 9 av.

JC ; terme fortuit : le dernier livre semble avoir été incomplet.

Cette véritable bibliothèque, soixante ans plus tard, effrayait déjà : on en faisait des résumés (en vers, à l'occasion) livre par livre.

Cette pratique, si elletémoigne du cas que l'on faisait d'un ensemble unique et de l'objectivité de l'historien, n'encourageait ni la lecture ni la reproduction de sonoeuvre.

C'est une sorte de miracle qu'il en soit parvenu jusqu'à nous des parties étendues : les livres I-X (de 1184 à 293 av.

JC) ; XXI-XXX(deuxième guerre punique : 218-201 av.

JC) ; XXXI-XLV (jusqu'au triomphe sur Persée : 167 av.

JC).

Et dans des conditions même assezsatisfaisantes : parce que, sur la fin du IVe siècle de notre ère, de riches seigneurs, fervents des antiquités de Rome, en avaient assuré des copiessoignées et correctes : le grand Symmaque et son gendre Nicomaque pour les dix premiers livres.

La publication de l'oeuvre en sa nouveauté s'était faite inégalement, assez souvent par groupes de cinq livres, des préfaces ou des préambulesscandant les étapes ; parfois un titre particulier (Bella Samnitica ? Bellum civile ?) servait à désigner un groupe de livres formant un tout dramatique, comme le préféraient certains amateurs.

Plusieurs parties révèlent des rééditions par Tite-Live lui-même : ainsi la Préface générale L223M1 paraît n'avoir été écrite qu'après le livre V, et pour une nouvelle publication du livre I joint aux quatre suivants ; il est possible aussi qu'une deuxième édition de la troisième Décade ait utilisé Polybe plus amplement que la première.

Exact contemporain d' Auguste P027 (né en 63 av.

JC), Tite-Live a vécu l'extrême fin de la République romaine, la fièvre des dernières luttes civiles ; il a écrit, peu s'en faut, toute son oeuvre dans la paix et l'ordre du Principat, mais sans déguiser sa nostalgie du passé de liberté politique.

Lesentiment initial d'où sortit son projet n'est donc que pour partie analogue à celui qui fit entreprendre à Michelet L139 son Histoire de France L139C : impression d'accomplissement après une longue crise, oui ; mais sans vraie confiance en l'avenir.

Son dessein est d'une ampleur et d'une générosité classiques : en reprenant la tâche des anciens Annalistes, il réalisera le voeu de Cicéron L043 , qui réclamait une Histoire continue et variée, de style élaboré, véritable opus oratorium.

La volonté s'en révèle par les progrès mêmes de la facture : le ton du premier livre, très moderne d'accent, plein d'irrégularités séduisantes, ne se retrouve plus dans le second déjà ; à la fin ducinquième, Tite-Live est maître de sa manière ; mais la troisième Décade gagne en ampleur monumentale, sans sacrifice du vivant, de l'humain.

Il nesemble pas qu'en ce genre on puisse aller au-delà.

Les livres suivants surprennent par certaines inégalités de composition et de style dues soit àl'embarras de sauvegarder la perspective romaine maîtresse au milieu de données de plus en plus complexes, soit à l'utilisation croissante d'extraitsou de rédactions partielles dus à des secrétaires.

On sait qu'à la fin de sa vie Tite-Live rédigeait très vite.

Il nous manque par malheur le récit desguerres civiles, dont les Romains s'étaient montrés fort avides ; Tite-Live avait dû y donner sa pleine mesure : deux pages qui nous en restent(dispositions militaires de Sertorius, mort de Cicéron L043 ) sont d'un dépouillement sévère et d'une fermeté de jugement sans compromission en une langue sûre de son rythme.

Malgré les différences inévitables en un demi-siècle de travail littéraire, malgré la volonté même de l'artiste, qui,selon les cas, recherche les effets serrés de la tragédie, ou l'ampleur du développement épique, ou la dramaturgie oratoire des conflits politiques,l'impression d'unité l'emporte : due moins encore à la forme qu'à la continuité d'une construction morale, celle du peuple et de l'idéal romains.

La méthode historique de Tite-Live est très contestable.

Il ne se réfère pas directement aux sources, archives ou monuments.

Acceptant lesdonnées de seconde main, il ne les critique guère, satisfait de manifester soit seulement son incapacité à choisir entre versions différentes, soitson scepticisme rationaliste.

La " vraisemblance ", la " moyenne " aristotélicienne le gardent des exagérations vulgaires ; sa justessepsychologique, son intuition politique (bien que la pratique des affaires et des armées lui ait manquée) assurent, avec l'illusion du réel, la portéegénérale de l'oeuvre.

Il utilisait d'abord les Annalistes, qui avaient écrit sur Rome à partir de la fin du IIIe siècle ; en cas de divergence, il préféraitles plus anciens, Fabius Pictor en particulier.

Quand il en lit deux d'idées politiques opposées, le démocrate Licinius Macer et " l'optimate " AeliusTubéro, il les combine avec une volonté d'équilibre ; s'il se laisse un temps séduire par la facilité brillante de Valérius Antias, dès qu'il décèle sesexagérations, il les note, puis les condamne, enfin s'en moque ; il reconnaît lentement la valeur de Polybe L1723 , sans abandonner (à bon droit) les sources romaines, mais en se livrant tout à lui pour ce qui est des événements extra-italiques...

Somme toute, dans la mesure où sagesse, bon senset goût peuvent par une sorte de divination rationnelle suppléer la critique, il a fait oeuvre d'historien ; et son impartialité " candide " jointe ausens vivant des événements dont il avait vu la fin devait assurer une haute valeur à son récit du dernier siècle de la République.

Et il avait, detoute façon, surclassé l'historiographie hellénistique, à laquelle il n'avait emprunté que le mouvement pathétique, lui laissant ses excès, sesinégalités, son romantisme plein de faux-semblants.

Ce classicisme dynamique (ce n'est pas en vain qu'il se référait, comme à ses modèles, à Démosthène L057 et à Cicéron L043 ), quand on en prend pleinement conscience, justifie la place traditionnelle accordée à un écrivain auquel le siècle suivant a pu, non sans snobisme, préférerSalluste L1799 , mais dont la grandeur et l'art nuancé toujours proche de la vie ne se peuvent en fait comparer qu'à ceux de Virgile L234 .. »

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