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Une langue parfaite est-elle possible ?

Publié le 11/08/2009

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Une langue parfaite est-elle possible ?

La fonction du langage semble être de communiquer. Communiquer, c'est-à-dire échanger, mettre en commun, rendre commun, c'est-à-dire rendre public ce qui d'abord était privé. Il s'agit de donner connaissance à autrui de ce qui m'est personnel, privé, intérieur, puisque appartenant au champ fermé de ma conscience. Les pensées sont incommunicables directement, de conscience à conscience. Ma pensée ne peut être connue d'autrui qu'indirectement, par la médiation du langage. Communiquer consiste donc à traduire la pensée en mots pour la transmettre à autrui. Communiquer, c'est transmettre un message. La communication peut être pensée sur le modèle de la transmission entre un émetteur et un récepteur. Le langage serait donc le véhicule, ou l'instrument de la pensée. C'est la conception la plus commune du rapport entre le langage et la pensée: le langage est un instrument au service de la pensée. Certaines expressions courantes sont révélatrices de cette conception instrumentaliste: on dit que les mots "traduisent" notre pensée, ce qui suppose que la pensée est déjà là, avant l'expression. Ou encore, on dit que l'on "cherche ses mots", comme si l'on avait une idée, sans trouver le mot qui lui correspond. La pensée, donc, préexisterait au langage, les idées précéderaient les mots. Ne pas trouver le mot adéquat suscite un sentiment d'agacement, voire d'hostilité contre cet outil imparfait qu'est le langage. Le langage a pour fonction de communiquer un message. Le but est d'arriver à une transmission aussi claire que possible. Mais elle n'est jamais absolument transparente. Toute transmission d'information subit des pertes, des déformations. Le langage, instrument au service de la pensée, n'est pas toujours fidèle à mon intention. C'est un outil imparfait, car les mots trahissent nos intentions, ils déforment notre pensée. Cette imperfection peut-elle être surmontée, ou est-elle sans remède? Est-elle accidentelle, ou essentielle - alors, le langage serait imparfait par nature?

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« traduire une intuition en concepts.

Une intuition est toujours difficile à exprimer.

Cette difficulté est inévitable. 2.

La polysémie Les mots sont trop généraux.

Ils sont aussi ambigus.

Ils ne sont pas univoques, mais ont plusieurs sens.

C'est le casdes homonymes [Note 3] : un même mot est synonyme de l'adjectif pratique et désigne un meuble.

L'homonymie, dira-t-on, est exceptionnelle.

Mais il y a une ambiguïté dont chaque mot est nécessairement affecté, une ambiguïtéessentielle, propre à tous les mots, qu'on appelle polysémie .

Un mot ne signifie pas seulement ce qu'il désigne ou dénote, mais aussi tout ce qu'il connote ou suggère.

Chaque mot contient des significations implicites.

Les mots quej'emploie ont un passé, ils ont une histoire. D'abord, une histoire personnelle.

Chaque mot de mon vocabulaire est riche d'une expérience personnelle.

Mes motssont liés à certaines expériences, ils sont associés dans mon esprit à certaines situations, des souvenirs, des idées,des sentiments.

Dans mon esprit se créent des associations entre tel et tel mot, ou tel mot et telle idée parce que,au cours de mon passé, ils se sont souvent trouvés ensemble.

Du coup, le mot va suggérer l'idée à laquelle il setrouve accidentellement associé, peut-être pas de façon pleinement consciente.

Chaque mot, en plus de sonacception usuelle et commune, est porteur de significations personnelles.

Chacun est lourd d'un passé personnel, ilévoque un halo de significations dont il s'est peu à peu chargé.

Ces significations, liées à mon histoire personnelle,ne sont pas connues d'autrui.

Si chaque mot comporte ainsi, en plus de sa signification usuelle, celle qui fait l'objetd'un accord, une multitude de significations latentes, clandestines, mon interlocuteur risque de saisir, à la place dece que je voulais lui dire, ce que mes mots lui suggèrent.

La polysémie, en d'autres termes, nous expose au risquedu malentendu. La polysémie est aussi le résultat de l'histoire collective dont les mots sont les témoins.

La langue est le reflet d'unesociété et d'une culture.

Elle reflète les valeurs propres à un groupe social.

Par exemple, certains mots, avec letemps, sont galvaudés, comme une pièce de monnaie qui, à force de passer de main en main, a perdu tout sonéclat.

Leur sens, alors, s'affaiblit.

A force d'être employés par tout le monde, à tort et à travers, ils en viennent àne plus rien signifier du tout.

Ou bien leur sens s'affaiblit.

Exemples: "sans doute", "étonné".

Certains se mettent àsignifier le contraire de leur sens initial: "é-nervé" (cf.

les Enervés de Jumièges [Note 4] ).

Ou encore, des mots se chargent d'une coloration péjorative.

Ainsi, ils expriment un jugement de valeur du corps social.

Sartre en donne uneillustration dans Orphée noir [Note 5] , qui fut initialement publié comme introduction à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Léopold Sedar Senghor.

Ce livre rassemble des poèmes d'auteurs noirs qui ont voulu, en langue française, exprimer leur fierté d'être noirs.

Ils se sont heurtés à cette difficulté: en français, le noir estrarement une valeur.

Le noir est négatif: il suggère l'obscurité, l'ignorance, le deuil.

Les images les plus courantesrévèlent le sens de l'opposition entre blanc et noir.

On dira blanc comme neige pour évoquer la pureté oul'innocence.

Mais on parlera de la noirceur d'une âme ou d'un crime.

Le couple formé par les adjectifs blanc et noir,constate Sartre, est "un couple hiérarchisé" (page 248).

Cette hiérarchie dont témoigne la langue reflète l'idée d'unehiérarchie sociale entre l'homme blanc et l'homme noir.

C'est que la langue française est la langue des blancs, c'est-à-dire des colons, de ceux qui ont le pouvoir.

Une telle connotation a obligé, par exemple, à renoncer à l'usage dumot "nègre". La polysémie, conçue comme l'accumulation, pour chaque mot, de connotations plus ou moins conscientes, conduitau malentendu, mais aussi au glissement de sens.

"Les mots boivent notre pensée avant que nous ayons eu letemps de la reconnaître.

Nous avons une vague intention, nous la précisons par des mots, et nous voilà en train dedire tout autre chose que ce que nous voulions" (Sartre).

On part d'une idée.

Par un glissement progressif, on passeinsensiblement à une autre signification.

La polysémie rend également possibles le sophisme et la propagande.

Voilàune imperfection dont je ne suis pas responsable, et qui paraît inévitable. Notes:1.

Jean tardieu dit la même chose: "Il faut se méfier des mots.

Ils sont toujours trop beaux, trop rutilants et leurrythme vous entraîne..."2.

Pages 185-188.3.

Mots de même prononciation, mais de sens différents, que l'orthographe soit identique ou pas.

On distingue homophones et homographes.4.

Selon une légende apparue au XI ème siècle, les deux fils de Clovis II, qui n'ont jamais existé, en punition pour leur révolte contre leur père, ont été énervés, c'est-à-dire qu'on leur a brûlé les tendons des jarrets.

Abandonnéssur un navire au courant de la Seine, ils furent recueillis par les moines de l'abbaye de Jumièges.

Un tableau deLuminais, exposé au musée de Rouen, représente la légende.5.

Situations , III II.

Une langue parfaite? La langue, telle qu'elle existe, rend possibles le malentendu et le sophisme.

Est-il possible d'imaginer une langueparfaite, qui interdirait à la fois ces deux défauts, et assurerait une communication univoque en favorisant larecherche de la vérité? 1.

La justesse des noms. »

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