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Une oeuvre d'art peut-elle s'expliquer ?

Publié le 22/02/2012

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   C'est d'abord le contexte historique et culturel qu'il convient de prendre en compte. Considérons par exemple la grande mosquée de Cordoue, dans le sud de l'Espagne. Son existence est liée à la présence arabe en Espagne au Moyen-âge et elle a été fondée par Abd al-Rahman I° au VIII° siècle. Ensuite, elle a été agrandie aux siècles suivants, avant d'être reconvertie en lieu de culte catholique lors de la « Reconquista » au XIII° siècle, par Ferdinand III. Cette histoire mouvementée permet d'en apprécier le cadre à la fois grandiose et composite, tout en donnant à réfléchir sur le lien entre architecture et religion. Autre exemple : les oeuvres de Kirchner et de Nolde, appartenant tous deux au courant de l'expressionnisme allemand (début du XX° siècle). Peintures et gravures violentes et inquiètes, elles entrent en résonance avec les circonstances historiques : montée de la haine en Europe et Première Guerre mondiale. Ainsi, les circonstances historiques et les valeurs qui traversent une époque réapparaissent-elles dans les oeuvres. Lorsque nous en prenons connaissance, nous sommes davantage en mesure de juger de leur influence.

« Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis… » On se plaît parfois également à rendre compte de la fougue angoissée de Richard Wagner , dans les quatre opéras de sa Tétralogie (seconde moitié du XIX° siècle), par son existence mouvementée, ses tendances révolutionnaires puis germanophiles (il prôna à la fin de sa vie la thèse de la pureté de la race germanique, ce quilui vaudra d'être « récupéré » par les nazis trente ans plus tard).

Néanmoins, on n'a pas encore rendu compte parlà des œuvres elles-mêmes et du talent de leur auteur.

Des dizaines d'hommes ont vécu des vies similaires sansjamais produire d'œuvres d'art.

Et il n'est pas jusqu'à Freud lui-même, pourtant tenté d'éclairer les œuvres par les influences de l'inconscient, qui ne reconnaisse que l'expression des désirs inconscients dans l'œuvre n'explique pastout : « Mais nous devons avouer aux profanes (ceux qui ne sont pas experts en psychanalyse), qui attendent ici peut-être trop de l'analyse, qu'elle ne projette aucune lumière sur deux problèmes […].

L'analyse ne peut en effetrien nous dire de relatif à l'élucidation du don artistique, et la révélation des moyens dont se sert l'artiste pourtravailler le dévoilement de la technique artistique, n'est pas non plus de son ressort » , écrit-il dans Ma Vie et la Psychanalyse .

L'éclairage rétrospectif, grâce à des éléments extérieurs à l'œuvre elle-même, permet donc de la resituer.

Il ne nous fournit cependant pas la « clé » nous permettant d'approcher la dynamique créatriceproprement dite.

Nous ne sommes pas non plus en mesure par là, du moins immédiatement, d'être davantagesensible et réceptif, d'aiguiser notre sensibilité esthétique. On a parfois trop tendance à exagérer le « génie » propre à chaque artiste, comme si ses œuvres dépendaientuniquement d'un don surnaturel qui lui permettrait de créer facilement, sans difficultés.

Or, l'art est un travail àtemps plein, auquel les grands artistes se consacrent intégralement, quitte à vivre dans la misère, comme lepeintre Van Gogh ou l'écrivain Robert Musil .

Cependant, le travail n'est pas suffisant : les grandes œuvres ont été élaborées par des hommes et des femmes ayant du « talent » ou du « génie ».

Au-delà d'un simple savoir-faire, même très perfectionné, le génie permet à ces artistes d'inventer de nouvelles manières de peindre, d'écrire,de composer de la musique … uniques et singulières. Kant nous fournit trois éléments importants qui caractérisent le génie, dans la Critique de la faculté de juger .

D'abord, il est capable de « produire ce pour quoi on ne saurait donner de règle déterminée » : à la différence du fabricant de chaussures ou de pots en terre cuite, l'artiste construit les principes de sa création au fur et à mesure qu'il avance dans son travail. Picasso et Braque ont inventé progressivement les règles du cubisme.

Ensuite, les œuvres ainsi produites deviennent des modèles, « sans être elles-mêmes créées par imitation, elles doivent être proposées à l'imitation des autres» : elles présentent une telle force et une telle richesse qu'elles suscitent l'admiration.

Néanmoins, le risque serait de tomber dansl'académisme, i.e.

la pure et simple reproduction du modèle ou du style de l'artiste ; aussi, chaque génie invente-t-il de nouveaux modèles.

Enfin, « le créateur d'un produit qu'il doit à son génie ignore lui-même comment et d'où lui viennent les idées de ses créations ; il n'a pas non plus le pouvoir de concevoir ces idées à volonté ou d'aprèsun plan » .

Il n'y a pas de recettes que l'artiste pourrait suivre et qu'il pourrait transmettre : une œuvre véritable est toujours propre à son auteur et impossible à reproduire. De plus, comme le suggère Kant dans la citation précédente, l'artiste ne peut viser un objectif précis et entièrement clair au départ.

Contrairement à l'activité technique qui vise à obtenir certaines fins avec des moyensappropriés (de l'électricité avec un barrage, un vêtement imperméable grâce à des tissus synthétiques, desdéplacements rapides avec l'automobile), l'art est guidé par une « finalité sans fin » : le processus de création ne suit pas un plan prédéterminé.

Nous retrouvons alors le rôle essentiel de la sensibilité.

Au lieu d'un objectifclairement conscient et rationnel, tel que pourraient se le fixer le scientifique ou le philosophe, l'artiste utilise sasensibilité pour progresser. C'est par son contact avec les impressions sensibles, les sentiments, la matière, les couleurs, les sons, les images… et à travers leur mise en forme évolutive qu'il parvient à une œuvre.

Certes, la réflexion n'est jamaisabsente, mais elle n'est jamais entièrement soumise à la raison, à la logique, à une méthode prédéfinie.

De mêmepour le spectateur.

Tant qu'il n'a pas fréquenté longuement les œuvres de l'art (monuments, peintures, musiques)et leur diversité historique et géographique, il risque de rester sourd et aveugle à leurs tonalités essentielles. Nous pouvons alors en venir à l'idée suivante : ce qu'une œuvre d'art a à nous dire, son « propos » se distinguede tout « discours », i.e.

d'un ensemble d'explications relativement cohérentes qui visent un objectif précis.

Onpeut toujours affirmer que les mosquées et les cathédrales permettent d'exprimer la gloire de Dieu et montrentl'intensité de la foi religieuse, que l'expressionnisme ou la poésie de Baudelaire parlent des souffrances de l'existence et de l'angoisse de vivre, bref, qu'une œuvre nous transmet les sentiments, les valeurs ou les idées del'artiste.

Cependant, ceci ne constitue pas le caractère le plus propre d'une œuvre d'art.

En effet, pourquoil'architecture, la peinture religieuses nous touchent, même lorsque nous ne sommes pas croyants ? Pourquoi les« poètes maudits » ou les artistes péjorativement appelés « dégénérés » par les nazis ont-ils quelque chose ànous apprendre ? Pourquoi la musique de Haendel , de Bach ou de Satie , malgré le décalage d'époques et de cultures, peut-elle nous émouvoir ? Parce qu'au-delà de notre raison et même de nos valeurs, de nos croyances etde nos habitudes de vie, leurs œuvres nous dépaysent, nous ouvrent à la richesse des potentialités humaines decréation, témoignent auprès de nos sens de la grandeur de l'homme.

Sans objectif précis, sans fonctiondéterminée dans un cadre social, culturel ou historique avec lequel elles disparaîtraient, les œuvres de l'art. »

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