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Vie affective et jardin secret ?

Publié le 12/03/2004

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Cette connaissance des autres s'explique d'ailleurs par la connaissance de nous-mêmes : ayant libre accès dans le « jardin secret » de notre vie affective, nous nous sommes peu à peu familiarisés avec les lois de l'affectivité, nous avons appris à interpréter avec sûreté et précision les signes extérieurs de ce qui se passe à l'intérieur de la conscience, en sorte que celui qui voudrait garder pour lui seul le secret de ses affections se trahirait malgré lui : nos yeux, notre physionomie, le ton de notre voix, nos silences eux-mêmes, sont autant de moyens, pour quiconque sait voir, d'entrer dans le mystère de notre coeur. B. Mais, si nous prenons de la réalité une vue plus profonde, la première impression sera sans doute grandement modifiée. Tout d'abord, il n'est pas vrai que nous lisions comme à livre ouvert, sur le visage des autres, les sentiments qu'ils éprouvent. Non seulement un Européen ne comprendra pas, d'après ses jeux de physionomie, l'état d'âme d'un Chinois ou d'un Indien, mais un manoeuvre pourra longtemps réfléchir sur la mimique d'un diplomate sans parvenir à se faire une idée des sentiments qu'il éprouve, tout comme le diplomate affiné restera, devant les manifestations extérieures du manoeuvre comme devant un texte presque indéchiffrable. Bien plus, l'interpénétration des consciences, entre gens de même culture, est le résultat d'un contact prolongé et, par suite, un fait d'exception : notre jardin intérieur reste secret pour l'ensemble des hommes. Est-il d'ailleurs sans mystère pour les privilégiés à qui il est donné de nous comprendre ? Tout d'abord, de notre vie intérieure et spécialement de notre vie affective, nous n'extériorisons qu'une partie : les sentiments qui nous humilieraient ou qui pourraient blesser, nous les laissons habilement dans l'ombre. Sans doute, ils se trahissent parfois malgré nous. Mais combien de fois aussi ne donnons-nous pas extérieurement les signes de sentiments que nous n'éprouvons pas ?

« contemporains.

Le sommeil sur la dure est pour lui aussi reposant que, pour nous, une nuit dans un lit de plumes.Pourquoi ce changement ? C'est la société qui nous a imposé ce confort, signe d'une certaine fortune et d'uncertain rang social, ces dépenses nécessaires pour la marche de l'économie de la cité.Nos goûts et nos préférences affectives sont, dans une grande mesure, déterminés par le milieu dans lequel nousvivons.

On ne saurait le mettre en doute pour nos goûts esthétiques : nous aimons les costumes, les palais, lamusique, les danses de notre pays, et si des importations étrangères nous intéressent ce n'est guère que par leurétrangeté même.

Il faut le reconnaître aussi pour nos sensations qui semblent dépendre de notre constitutionphysique et que la vie collective parvient à transformer : des plats, comptés parmi les mets des délicats, qui toutd'abord nous déplaisent ou même nous répugnent, deviennent souvent, par le jeu des conventions sociales, nosplats préférés, d'autant plus aimés, qu'il nous en a plus coûté de nous y habituer.

N'avons-nous pas là le secret del'attachement de tant d'hommes pour le tabac ?Enfin, les sentiments supérieurs, par lesquels l'homme s'élève au-dessus de l'animal, n'apparaissent que dans lasociété et par la société.

C'est la nécessité de la vie et de l'action communes qui nous forcent à nous dégager denotre point de vue étroit et égoïste et à nous placer à un point de vue plus général : l'esprit critique et l'amour de lalogique, l'altruisme et la joie du dévouement, résultent de la vie collective.

Les jouissances les plus personnelles,celles de l'art, celles de l'amitié, n'apparaissent que dans un milieu social très évolué.Il est donc bien vrai que la vie affective est conditionnée par l'état de la société dans laquelle nous vivons. III.

— PAS DE CONTRADICTION, MAIS CORRÉLATION Mais, entre les deux faits que nous venons d'exposer, n'y a-t-il pas contradiction ? Comment notre vie affectivepeut-elle être un jardin secret si la société exerce sur son développement une telle influence ?A.

Quoique étroitement dépendante de la société, pourrions-nous répondre tout d'abord, la vie affective reste un«jardin secret », et ces deux affirmations ne sont pas contradictoires : nous disons que l'âme humaine estimpénétrable à l'oeil d'autrui ; nous ne disons pas qu'elle soit impénétrable à son action.Si les autres ne peuvent pas connaître le mystère de notre vie, ils ont des moyens puissants d'agir sur sonévolution.

Tout d'abord, et sans doute en premier lieu, la parole parlée ou écrite : par elle la société arrive à forgerune sorte de monde mental qui double et parfois domine le monde réel, modifiant ainsi indirectement les sentimentsles plus intimes : l'appétit sexuel aurait-il une si grande importance dans la vie affective de l'homme moderne sansles plaisanteries de corps de garde de certains groupes de jeunes gens et surtout sans la littérature romanesque etle théâtre ? Ensuite la société sanctionne de son blâme ou de son approbation, sinon les sentiments eux-mêmes quilui échappent, du moins les manifestations des sentiments : il est une piété, un altruisme, et même, nous l'avons dit,des préférences alimentaires de bon ton et d'autres qui passent pour vulgaires.

Nous amenant à refréner l'expressionde certains états affectifs, on agit indirectement sur l'affectivité elle-même : une piété qui ne s'extériorise pas estcondamnée à la disparition. B.

Non seulement il n'est pas contradictoire d'affirmer que la vie affective reste un « jardin secret » bien que lasociété agisse sur elle, mais on pourrait aller plus loin et dire que si notre vie affective reste si secrète, c'est parceque étroitement dépendante à l'égard de la société.Tout d'abord, si nous nous cachons et cherchons à rendre impénétrable aux regards d'autrui notre retraiteintérieure, c'est parce que nous vivons en société : cette réflexion a tout l'air d'une vérité de La Palice, etcependant il ne sera pas inutile de s'y arrêter un instant.

L'enfant et le primitif ignorent les ruses par lesquellesl'adulte civilisé parvient à dépister quiconque tente de pénétrer dans ses retranchements.

Ils extériorisent aveccandeur toutes leurs impressions et leur âme est un jardin ouvert au premier venu.

Mais ils constatent un jour quetoute vérité n'est pas bonne à dire, que la société se venge sur celui qui manifeste des sentiments qu'elle n'admetpas.

Dès lors, à cette charmante spontanéité, se substitue peu à peu un système de réactions savammentcalculées de manière à manifester les états d'âme qu'il est avantageux de laisser paraître et à garder secrètes lesimpressions les plus personnelles.

L'action de la société sur sa vie affective a amené l'homme à élever autour de sonjardin intime un mur impénétrable aux regards extérieurs.De plus, une fois dressé, ce mur a rendu difficile à chacun, sinon impossible, la connaissance de soi : c'est par suitede la vie en société que notre vie affective est un « jardin secret » pour nous-mêmes.

Les psychologuescontemporains l'ont bien noté : habitués à prendre devant les autres une attitude conventionnelle, une physionomied'emprunt, nous en venons à ne plus pouvoir retrouver notre vrai visage ou plutôt à ne plus savoir quel est, desdivers visages que les circonstances nous font adopter, celui qui est vraiment nôtre et reflète notre moi profond :par suite de l'action de la société sur notre vie intérieure, ce moi est confiné pour nous dans une retraiteinaccessible.C'est donc bien parce que dépendante de conditions sociales que notre vie affective devient « un jardin secret », etloin qu'il y ait contradiction entre les deux assertions que nous avions à examiner, nous pouvons constater entreelles un étroit rapport de causalité. Conclusion. — Devrons-nous donc conclure que la vie en commun est un obstacle à la connaissance de soi et qu'un solitaire se trouve dans des conditions idéales pour découvrir tous les secrets de son jardin intérieur ?Au contraire, nous devons le reconnaître, la vie en commun est le grand stimulant de toute notre activité et mêmede cet effort qui est nécessaire pour dépasser la zone superficielle de ce que nous prétendons paraître et atteindre,dans les abîmes inexplorés, ce que nous sommes vraiment.En effet, si les autres paraissent parfois se contenter de cette sorte de jardin public dans lequel nous exposons desfleurs de notre choix et le prendre pour notre vrai domaine, dans le fond ils sont fort sévères pour notre duplicité et,tôt ou tard, nous connaissons leur jugement.

Par là nous sommes invités à pousser des reconnaissances dans cettezone intime devenue étrangère pour nous et à pousser quelques reconnaissances dans le mystère de notre « jardin. »

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