WILHELM DILTHEY

Avec Schopenhauer, puis avec Nietzsche, se construit lentement ce qu'on appellera la « théorie de la vision du monde « (Weltanschauung). « Vivre c'est apprécier « disait Nietzsche, c'est évaluer, c'est choisir, c'est donner soi-même un sens à un monde naturel et humain qui n'en a pas avant notre « interprétation «.    De ce point de vue, chaque système philosophique n'a pour vérité que la psychologie de son auteur, sa « vision du monde «, exprimant une attitude personnelle, une « manière de voir « qui est « une manière d'être «. Alors religion, œuvres d'art, métaphysiques, sont des expressions au même titre.    Le philosophe allemand Dilthey s'engage complètement dans cette voie. Son œuvre fondamentale pour l'histoire des sciences humaines, est son Introduction à l'étude des sciences humaines (1883) avec ce sous-titre Essai sur le fondement que l'on pourrait donner à l'étude de la société et de l'histoire. Il attaque la conception positiviste qui est, malgré elle, une explication, un souci explicatif. Il faut renoncer à cette pensée causale et rationaliste qui conduit à une réalité abstraitement reconstruite, et essayer de comprendre la réalité humaine, essentiellement sociale et historique. Or ces deux sciences humaines, de ce point de vue, s'appuient sur la psychologie, science de base, étude de l'individu comme conscience et comme unité psycho-physique. Comprendre n'est pas expliquer, c'est connaître intuitivement par une participation vécue. On a donc besoin d'une psychologie compréhensive descriptive et analytique reconnaissant l'unité structurale de l'individualité, sa manière d'être au monde, Dilthey dit « son style «, ces styles se classant d'ailleurs dans une typologie caractérologique, comme il l'exposera dans Le monde de l'esprit.    L'influence de Dilthey, quoique peu visible, a été forte. En effet il influencera le développement de l'historicisme en sociologie, que défendra son disciple le sociologue Mannheim (1893-1947), l'antipositivisme de Max Scheler, puis le courant existentialiste en psychologie et en psychopathologie, avec Karl Jaspers auteur, entre autres œuvres, de la Psychopathologie générale (1913) et de Psychologie des conceptions du monde {Psychologie der Weltanschauungen, 1919), inspiratrices de l'analyse existentielle de Binswanger {Daseins-Analyse, reprise de Heidegger), et, naturellement, du mouvement phénoménologique sous toutes ses formes. Les vues de Dilthey se prolongèrent en une pédagogie et une esthétique.