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Y a-t-il en l'homme des fonctions qu'il ne puisse déléguer à des machines ?

Publié le 07/01/2006

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Je dis les paroles, ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en mêmes façon que nous de la voix ; et que ces signes soient à propos, pour exclure celui des fous, qui ne laisse pas d'être à propos des sujets qui se présentent, bien qu'il ne suive pas la raison ; et j'ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu'elle la voit arriver, ce ne peut être qu'en faisant de la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu'une de ses passions ; à savoir, ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise lorsqu'elle l'a dit ; et ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul. Car, bien que Montaigne et Charron aient dit qu'il y a plus de différence d'homme à homme, que d'homme à bête, il ne s'est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu'elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui n'eût point de rapport à ses passions ; et il n'y a point d'homme si imparfait, qu'il n'en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu'elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leur passion, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient... Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas; car cela même sert à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu'une horloge laquelle montre bien mieux l'heure qu'il est que notre jugement ne nous l'enseigne. Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges...     Bergson   On a rappelé que l'homme avait toujours inventé des machines, que l'Antiquité en avait connu de remarquables, que des dispositifs ingénieux furent imaginés bien avant l'éclosion de la science moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d'elle : aujourd'hui encore de simples ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs n'avaient pas pensé. L'invention mécanique est un don naturel. Sans doute elle a été limitée dans ses effets tant qu'elle s'est bornée à utiliser des énergies actuelles et, en quelque sorte, visibles : effort musculaire, force du vent ou d'une chute d'eau.

L’homme peut accomplir des actions « machinales «, fruit de l’habitude et de la répétition. Mais le terme « machine «, renvoyant purement et simplement à quelque chose qui fonctionnerait sans liberté, est-il attribuable à l’homme ? On s’aperçoit cependant qu’au fil des conceptions philosophiques, l’homme, en dépit de son pouvoir décisionnel quant à ses actes et à ses idées, a toujours une marque mécanique, qu’elle soit du simple ordre biologique, ou d’un ordre plus englobant, comme le voit d’ailleurs dans les théories de l’inconscient, où tout est réglé comme une horloge. 

« Introduction L'homme peut accomplir des actions « machinales », fruit de l'habitude et de la répétition.

Mais le terme « machine », renvoyantpurement et simplement à quelque chose qui fonctionnerait sans liberté, est-il attribuable à l'homme ? On s'aperçoit cependant qu'au fildes conceptions philosophiques, l'homme, en dépit de son pouvoir décisionnel quant à ses actes et à ses idées, a toujours une marquemécanique, qu'elle soit du simple ordre biologique, ou d'un ordre plus englobant, comme le voit d'ailleurs dans les théories del'inconscient, où tout est réglé comme une horloge.

I.

l'homme est un animal technique.

a. L'homme est « nu » au départ, et, selon le mythe du Protagoras , il dut s'emparer du feu et des « sciences propres à conserver sa vie » ( Platon , Protagoras ).

C'est de là que provient la technique : elle fournit à l'homme les moyens d'adaptation à un environnement qui peut lui être hostile (la nature).

Le terme « technique » vient du grec « technè » qui se définit comme un savoir-faire dont le but est un comportement efficace et approprié aux circonstances.

L'homme est ainsi défini comme étant un « homofaber » (l'homme fabricateur d'outils).

Et le fait de fabriquer souligne pour Bergson l'intelligence humaine ( L'évolution créatrice ). Aristote déjà montrait que la « technè » est une « disposition tournée vers la création », et « accompagné de raison », ce qui l'oppose aux animaux (cf.

Ethique à Nicomaque , VI, 4). b.

L'outil sera ainsi la traduction matérielle de l'intelligence de l'homme : « Ce n'est pas parce qu'il a des mains que l'homme est le plus intelligent des êtres, mais c'est parce qu'il est le plus intelligent qu'il a des mains » (Aristote, Les parties des animaux ).

L'outil, ou l'objet conçu et fabriqué par l'homme pour exécuter son travail, est considéré comme un prolongement naturel de la main.

Mais lavéritable innovation est la machine, puisqu'elle a un fonctionnement autonome, et peut ainsi remplacer l'homme sur de nombreusestâches à accomplir.

Mais la machine, aussi « intelligente » soit-elle, reste dépendante de l'homme : elle ne se fabrique ni ne se répareelle-même.

Alors la capacité de fabriquer des outils ou des machines apparaît, au même titre que le langage, comme indissociable del'humanité : « le progrès technique est lié au progrès des symboles techniques du langage » (Leroi-Gourhan, Le geste et la parole ). II.

Le mécanisme a.

Le mécanisme est une théorie philosophique du vivant, qui consiste à se représenter la nature comme une grande machine, dont le fonctionnement découle strictement de l'agencement des différentes parties.

Le triomphe de cette attitude est lié à la naissance de lamécanique classique, et Descartes en est le plus éminent représentant.

Ainsi, Descartes montrera que la mort d'un homme par exemple est due à la corruption d'une de ses parties (un organe) : « jugeons que le corps d'un homme vivant diffère autant de celuid'un homme mort que fait une montre, ou autre automate (c'est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu'elle estmontée et qu'elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour sonaction, et la même montre, ou autre machine, lorsqu'elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d'agir » ( Les passions de l'âme , art.

4 à 6). b.

Dans la Logique du vivant , le biologiste F.

Jacob attribue cette convergence au fait que « l'univers devient soumis à une certaine régularité, à certaines lois ou groupes de lois que nul, même Dieu, ne peut changer et dont la logique s'articule en un ordre de lanature ».

C'est par exemple à cette époque que le biologiste anglais Harvey , inspiré par le modèle mécanique du fonctionnement des pompes, met en évidence le rôle exact du cœur dans la circulation sanguine.

La connaissance du vivant, de l'homme, s'appuie sur lemodèle de la machine.

Mais on peut se demander enfin, à la lumière d'une compréhension mécanique de l'homme, qui a construit lamachine ? Descartes dira que c'est Dieu ; ainsi, il remet l'irrationnel au sein du rationalisme.

c.

Kant critiquera la conception cartésienne de l'homme-machine.

Il rappelle que, pas plus que les montres ne peuvent se reproduire entre elles, une explication strictement mécaniste ne peut suffire à rendre compte de l'existence des êtres organiséscomplexes.

Ceux-ci témoignent, selon lui, de la « réalité objective » des fins de la nature : « un être organisé n'est pas simplementmachine, car la machine possède uniquement une force motrice ; mais l'être organisé (comme l'homme) possède en soi une forceformatrice qu'il communique aux matériaux, qui ne la possèdent pas (il les organise) : il s'agit ainsi d'une force formatrice qui sepropage et qui ne peut pas être expliquée par la seule faculté de mouvoir (mécanisme) » ( Critique de la faculté de juger ). III.

la « machinisation » de l'homme a.

L'homme est conditionné par les machines.

On se demande alors quel est le processus dans un régime technique, à savoir si l'homme doit s'adapter à la machine ou la machine s'adapter à la « nature » de l'homme.

Mais il apparaît que ce questionnement eststérile puisque « l'homme est un être conditionné pour qui toute chose, donnée ou fabriquée, devient immédiatement condition de sonexistence ultérieure », et qu'il « s'est adapté à un milieu de machines dès le moment où il les a inventées » (H.

Arendt, Condition de l'homme moderne ).

Selon Arendt , le cas des machines diffère de celui des outils (où tout est au service de l'homme).

En effet, les machines exigent que le travailleur les serve et qu'il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique.

b.

Le machinisme aussi montre la part inquiétante du travail en ceci qu'il abêtit l'homme.

La division sociale des métiers est utile est permet l'acquisition d'une habileté intéressante ; mais la division technique des tâches est problématique.

Leur extrêmeparcellisation ôte toute signification à leur exécution.

Le travailleur, tel Charlot dans Les Temps modernes , ne se représente plus ni le but de son activité, ni même la liaison des différents moments qui la constituent.

Et le caractère répétitif, mécanique des gestes, faitalors du travail une des pratiques humaines les moins intellectuelles, voire les moins humaines.

Plus le travail est rationalisé(taylorisme, fordisme etc.), plus il devient « bête ».

Cette mécanisation inintelligente des tâches témoigne d'un aspect essentiel dutravail.

Ainsi Hannah Arendt réduit la définition du travail à la satisfaction animale des besoins par la reproduction du cycle production/consommation.

Conclusion Le côté strictement mécanique de l'homme est insuffisant à une compréhension globale de l'homme.

D'où les critiques qu'ont pusêtre adressées à Descartes.

Par ailleurs, la société technique, qui a vu la machine remplacer l'outil, a aussi vu l'homme capable d'êtreabsolument absorbé, dégradé, rabaissé, par rapport à ce qu'il a lui-même produit.. »

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