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Y a t-il une limite a l'interprétation ?

Publié le 03/03/2009

Extrait du document

Sommes-nous les prisonniers d'Hermès? En effet, ce dieu est tout autant messager de Zeus auprès des hommes (leur amenant par ce biais le sentiment d'honneur et de justice dans le mythe du Protagoras), que patron mythologique des discours trompeurs. Ainsi est-il celui qui montre et tout à la fois cache, délivre une information, et vole ce dont il s'empare pour le jetée dans les limbes de l'oubli. Hermès est de ce fait le dieu qui jette un voile, qui dissimule une clarté et une transparence originelle derrière l'opacité plus ou moins prononcée de ce qui cache. Il est l'éclipse de la signification, ce qui présente et tout à la fois obscurcit. La question reste alors de savoir si tout se présente de cette manière, si tout est à dévoiler pour s'offrir enfin comme vrai. La vérité exige-t-elle toujours ce dévoilement, doit-elle être fidèle à son étymologie grecque – αληθεια, a-letheia, en grec, de ληθη l'oubli accompagné du a privatif – et ne plus être simplement description ou explication? En somme, l'activité herméneutique peut-elle trouver des régions où elle ne peut prétendre s'appliquer? Il semble qu'il y ait tout de même parfois du clair, de l'évident qui ne mérite nullement qu'on parte dans une investigation sémantique. Le sens s'offre parfois à même les choses comme une évidence au point qu'il ne soit peut-être pas toujours nécessaire de succomber à cette ivresse des profondeur, au point qu'il soit superflu de partir en quête d'un signifié, d'un noyau qui ferait sens originellement. Cette obsession de l'en-deçà semble ne plus avoir de sens justement dans certaines branches du savoir qui exigent d'autres modalités de connaissance: on n'interprète pas une équation, ni les foncteurs de la logique propositionnelle; nous n'attendons pas de notre mécanicien qu'il nous propose une interprétation de notre panne! Et pourquoi? A vrai dire, dans la trivialité des exemples précédents, nous convoquant deux raisons: d'un côté, les choses semblent parfois assez fixes et établies pour ne pas ergoter selon son bon caprice; de plus, il nous parvient tacitement que l'interprétation n'offre pas la même certitude et la même nécessité qu'une explication scientifique qui remonte le cours causal d'un événement. En notre esprit apparaît bientôt les élucubrations médiumniques, la parodie du praticien analyste qui demeure silencieux durant la cure et finit par une théorie hallucinante... L'interprète n'est pas certain: il traque les signes là où personne ne les constate, il prétend voir des liens là où l'on ne juge voir que des coïncidences ou des contiguïtés événementielles. L'univers est-il à ce point incertain pour que l'on organise cette traque du sens dans chaque parcelle du savoir? Ne trouve-t-on pas par endroit des points, ou même des ilots assez statiques pour suspendre enfin l'interprétation?

« l'état d'âme, le symbole s'éloigne déjà assez pour que la relation n'aille pas de soi.

La retranscription de ces états est toujoursparcellaire, relative, et n'embrasse jamais de manière nécessaire (aussi nécessaire que le lien entre chose et état d'âme) l'étatqu'elle retransmet dans l'espace de la signifiance.

En somme, le langage paie ici sa non naturalité, soit le fait qu'il soit uneconvention et que le son qui représente ne s'impose pas comme tel parmi d'autres sons.

Enfin, le langage, à son tour, et en raisondu jeu qu'il instigue entre lui et l'état d'âme, nécessite à son tour un interprétation: il s'agit alors de décoder ce qui fût à l'originecodé par la production linguistique.

L'interlocuteur doit aller chercher, par delà le mot, par delà le symbole et même l'état d'âmeretranscrit, l'objet vers lequel le langage fait signe.

Le langage est donc interprétation et à interpréter en raison du jeu dont ilassure la pérennité tout au long de son déroulement.

En ce sens, la textualité, et le langage nécessite l'interprétation en raisonmême de leur fonctionnement particulier.

En montrant, en dévoilant l'état d'âme, il cache tout à la fois par leur support même cequ'il montre.

Et parce que la traduction reste ainsi partielle, on peut penser que toute langue, tout texte nécessite uneinterprétation.

Nietzsche: se rabattre sur les faits? II. Le langage nous éloigne donc du monde, il introduit un jeu qui provoque l'interprétation du fait même qu'il soit déjà lui mêmeinterprétation.

On pourrait alors aisément penser qu'il soit possible de se rabattre sur les faits bruts pour ainsi dire, soit se passerde la parole de l'autre, pour s'en remettre aux sonorités du monde.

Mais ce serait encore ici peut-être être dans l'erreur.

Commenous l'explique Nietzsche, les faits n'existent proprement pas si l'on entend par là quelque chose d'objectif, quelque chose qui sepasse de discussion.

Si nous avons vu que le langage participait à l'éclipse de ce qu'il montre tout à la fois, Nietzsche nous invite àconsidérer les propos de chacun comme pure perspective.

Ce que je vois, c'est précisément moi qui le vois et non un autre.Revenons dans un premier temps à Leibniz qui nous rappelle que tout sujet n'est qu'un point de vue, une perspective précisémentsur le monde de même qu'on peut jouir de différentes vues sur une ville sans jamais l'embrasser entièrement dans son être.

On nepourra plus prétendre à la noble et neutre enquête ontologique qui débute toujours par l'interrogation το τι εστι ( to ti esti , qu'est ce que...); il faudra se résigner au fait, comme l'explique Nietzsche dans un fragment, que « il n'y a pas de faits, seulement des interprétations ».

Comment cela se traduit-il concrètement dans son travail? Quelle méthode adopter? Nous ne croyons donc plus au το τι εστι puisque celui qui parle n'est qu'une perspective sur le monde, et qu'il doit de ce faits'assumer comme tel.

Nous ne disons plus « qu'est-ce que cette chose? », mais bien « Qui suis-je moi qui parle de cette chose, et qu'est-ce qui motive en moi que je puisse en parler de la sorte? ».

Un déplacement s'établit ainsi du qu'est-ce que... au qui est-ce qui ...

.

Tout jugement sur la réalité s'enracine dans un état du sujet, un état particulier qui assimile toute naïve prétention d'objectivité à une douce illusion.

Pis, celui qui y prétend a au fond encore plus à cacher.

On ne peut guère sedistancier de soi, et nos discours ne trouvent jamais leur motivation dans une volonté impartiale de vérité, mais bien dans l'arrière-fond du sujet, les forces même qui l'habitent, que celles-ci soient conscientes ou non.

Suivons l'exercice nietzschéen dans unouvrage intitulé Le Crépuscule des idoles .

Nietzsche n'analyse pas tant le discours de Socrate, mais bien dans un premier temps la personne même de Socrate.

Qui est-il? « Socrate était de la populace.

On sait, on voit même encore combien il était laid »: si l'attaque peut sembler quelque peu arbitraire (nous reviendrons d'ailleurs à cette arbitrarité), Nietzsche la met en rapport avec une charmante et périmée criminologie qui déclare le criminel comme également laid, comme monstrum in fronte (face monstrueuse ).

Socrate criminel donc, monstre laid, qui acquiesce le fait d'être empli secrètement de tous « les mauvais vices et désirs ».

Et ce n'est pas fini, puisque Nietzsche interroge même la méthode socratique à l'aune du personnage.

Socrate est ironique, mais est-ce « l'expression d'une révolte? De ressentiment populaire? ».

Ainsi, Socrate devient celui qui se venge de l'aristocratie, le dialecticien qui utilise cette méthode pour dégrader « l'intelligence de son antagoniste.

Quoi? La dialectique n'est-elle qu'une forme de vengeance chez Socrate? ». De monstrum in fronte , Socrate devient monstrum in animo : chez lui le terrible hydre des désirs de déchaînent de manière chaotique, près à emporter son être.

Il lui faut donc, contre ce tyran, convoquer la force, inventer, un contre-tyran qui soit susceptible de remporter le combat.

Ainsi, celui qui, devant la laideur de Socrate ne put s'empêcher d'y voir un esprit qui devaitêtre empli d'obscurs vices, Socrate répond plus précisément: « Cela est vrai, mais je me suis rendu maître de tous »? Si Socrate clame la raison, c'est précisément parce qu'il en a fait son tyran, garant de son propre équilibre psychologique.

JamaisSocrate n'a choisi, jamais il n'a opté librement pour la voie rationnel: il y était contraint parce qu'il y trouvait un remède.

De samaladie, Socrate nous communique sa recette, c'est une vérité nous dit-il, la vérité: même lorsqu'il prétend tout ignorer, il prêcheen vérité le remède à sa santé, une morale dont la racine est l'urgence: « on était en danger, on n'avait pas le choix: ou couler à fond, ou être absurdement raisonnable...

il faut imiter Socrate et établir contre les appétits obscurs une lumière du jouren permanence – un jour qui serait la lumière de la raison.

Il faut être à tout prix prudent, précis, clair: toute concessionaux instincts et à l'inconscient ne fait qu'abaisser...

».

Socrate était un décadent, et sa vision des choses nous révèle cette. »

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