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60 ans après, Vichy reste une référence

Publié le 17/01/2022

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21 avril 2002 LA diversité des sources et des références de l'actuel Front national, qui fut créé pour affronter les législatives de 1973, rend difficile de distinguer dans son idéologie et dans sa rhétorique ce qu'il reprend en langue originale, non seulement de l'héritage de Vichy, des ligues d'avant-guerre, du « nationalisme chrétien » inspiré du Bernanos de la Grande Peur des bien-pensants, mais aussi du poujadisme des années 1950 ainsi que du passif et des frustrations de la décolonisation... Parmi les hommes qui se sont penchés alors sur le berceau du FN, on retrouve un certain nombre de personnalités qui, par leur passé, font le lien avec les « années noires ». En bonne place figure un ancien milicien, François Brigneau, pétainiste de toujours, Gabriel Jeantet, ancien cagoulard, lui aussi pétainiste. François Duprat (1941-1978), maître à penser d'Ordre nouveau, se trouvait être un des auteurs favoris des Sept couleurs, la maison d'édition fondée par Maurice Bardèche, beau-frère du rédacteur en chef de Je suis partout..., Robert Brasillach. Le même Maurice Bardèche, qui s'ingéniait à faire passer la tradition des intellectuels fascistes des années 1930 dans le monde d'après la Libération, tout en guidant les premiers pas du négationnisme dans son ouvrage de 1948, Nuremberg ou la terre promise. Si les nostalgiques de Vichy vieillissent irrémédiablement, Jean-Marie Le Pen lui-même ne manque pas de se référer à eux en reprenant pour l'essentiel le contenu de leurs plaidoyers d'après-guerre. Voici, par exemple, comment, lors de la fête des Bleu Blanc Rouge de septembre 1994, M. Le Pen parlait du chef de l'Etat français (tel était le nom que s'était donné le régime né de la défaite de juin 1940 ) : « Je n'ai jamais cru que le maréchal Pétain était un traître, et j'ai pensé, naïvement peut-être, mais sincèrement, comme l'immense majorité des Français, que le général de Gaulle et le maréchal Pétain étaient d'accord dans leur effort patriotique, l'un pour être le bouclier, l'autre pour être l'épée de la France. » Il y reviendra souvent. Au soir du premier tour de la présidentielle, dimanche 21 avril, M. Le Pen évoque encore la période de l'Occupation, mais cette fois au travers de l'hommage à une militante, décédée le jour même, Rolande Birgy, ancienne résistante « qui avait reçu le titre de «Juste» », rappelle-t-il. Quelque jours plus tôt, le président du Front national avait accordé une interview au quotidien israélien Haaretz (daté du 21 avril). Il y expliquait que Vichy constituait un cas à part et que le gouvernement y était aux ordres de l'occupant. Quant à la déclaration de Jacques Chirac au Vél' d'Hiv, le 16 juillet 1995, reconnaissant la responsabilité de l'Etat français dans la persécution des juifs, c'est peu de dire qu'elle inspire à M. Le Pen les plus vives réticences. Pour lui, le pays occupé n'étant pas maître de ses choix, la France n'a aucune responsabilité dans une politique menée contre les juifs - qu'il qualifie de « criminelle ». La déclaration de Jacques Chirac n'aurait été inspirée que par des calculs électoralistes visant à capter les sympathies de certains milieux juifs, ajoute-t-il. Sur ce point, Jean-Marie Le Pen reproduit une version des plus édulcorées de l'histoire de Vichy - celle du « double jeu ». Une version qui convenait non seulement aux rescapés de la collaboration, mais également à ceux qui voulaient croire la France entièrement résistante. Ce mythe a été ébranlé à la fois par l'historiographie et par la mémoire publique à dater des années 1970. Il ré-émerge à de rares occasions. Notamment dans la stratégie de la défense de Maurice Papon, lors de son procès d'assises à Bordeaux en 1997-1998. En réalité la plupart des historiens s'accordent pour reconnaître que le statut des juifs - la loi Raphaël Alibert, du nom du garde des sceaux de 1940 - fut promulgué le 3 octobre 1940 (il y en aura un autre, le 2 juin 1941) avant même qu'aucune demande expresse de l'occupant ait été formulée. L'attitude de Vichy sur « la question juive » facilitera la tâche aux Allemands, efficacement secondés par la police française, politique qui aboutira à la déportation et à l'assassinat dans les camps d'extermination de plus de 76 000 juifs de France, hommes, femmes, enfants. La théorie exculpatoire de Vichy fait par ailleurs bon marché de la tentative faite par les hommes arrivés au pouvoir à la faveur de la débâcle de mettre en oeuvre, en l'absence de tout contrôle parlementaire, par la voie d'une administration aux mains d'experts devenus rois, une transformation complète de la société par l'Etat baptisée « révolution nationale », en l'occurrence inspirée par un rejet de l'idéologie des Lumières. A sa manière, le projet politique d'une « République populiste » cher à M. Le Pen où le référendum compte plus que le Parlement n'est pas si éloigné de la situation concrète prévalant dans une période où, sur les pièces de monnaie, la semeuse avait été remplacée par le profil du chef. NICOLAS WEILL Le Monde du 29 avril 2002

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