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A La Havane, le pape exhorte Cuba à "s'ouvrir au monde"

Publié le 17/01/2022

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21 janvier 1998 - Jean Paul II n'a pas dit que c'était l'un des plus beaux jours de sa vie, mais il a certainement pensé que c'était l'un des plus importants. Dès le début de son pontificat, il avait souhaité venir à Cuba et le rêve s'est réalisé. Qu'a-t-il pensé en descendant la passerelle de son pas hésitant, mercredi 21 janvier, et en voyant Fidel Castro, impeccablement revêtu d'un costume bleu marine, le cheveu court et la barbe en bon ordre, applaudir vigoureusement son hôte ? Il n'y a pas eu d'accolade ni d'embrassade, mais la poignée de mains a été chaleureuse et la satisfaction se lisait sur les deux visages. Il y a bien longtemps que le pape ne s'agenouille plus pour baiser la terre d'un pays qui l'accueille pour la première fois. Un groupe de quatre enfants, tout de blanc vêtus, lui a donc présenté, dans un panier, quelques poignées de cette terre "du plus beau pays que des yeux humains ont jamais vu", comme il a dit en citant Christophe Colomb. "Une terre dans laquelle la croix du Christ fut plantée il y a plus de cinq cents ans", a souligné Jean Paul II. De quoi satisfaire cet infatigable évangélisateur venu dire : "N'ayez pas peur d'ouvrir votre coeur au Christ", et délivrer un message de réconfort à toute la population "sans exception" aucune. Ce sera une visite de cinq jours qu'il a lui même qualifiée "d'historique" et au cours de laquelle il souhaite aller, d'un bout de l'île à l'autre, à la rencontre de tout un peuple, car il se sent "solidaire de ses aspirations et de ses désirs légitimes". Dès l'arrivée à La Havane, une foule immense est allée à sa rencontre. Une foule dense et colorée qui s'est massée tout au long de la vingtaine de kilomètres séparant l'aéroport José-Marti de la nonciature, résidence du pape pendant le séjour. "Ça y est, le pape est arrivé, bienvenue à Jean Paul II", criaient les jeunes dans leurs costumes d'écoliers, amenés à grand renfort de camions et d'autobus, pour saluer comme il se doit celui qui veut être l'apôtre de la réconciliation. Tout le parcours avait été copieusement pavoisé aux couleurs jaune et blanche du Vatican et à celles du drapeau cubain. Des citations du pape, de Fidel Castro, de Félix Varela, poète et prêtre cubain, ponctuaient les kilomètres de cette voie triomphale. Jean Paul II s'attendait-il à un tel accueil ? Il a en tout cas salué inlassablement "ce peuple qui a l'espoir d'un avenir meilleur". Encore et toujours pape de combat, "avec la même force qu'au début de son pontificat", comme l'a précisé dès l'aéroport Karol Wojtyla. Manifestement ce voyage le remplit d'aise. Particulièrement en forme, plaisantant même sur sa santé "dont il sait tout par la presse", il a pendant vingt minutes conversé avec les journalistes dans l'avion qui l'emmenait vers ce nouveau défi qu'il a si longtemps attendu de pouvoir relever. D'emblée, il a martelé qu'il ne fallait pas confondre "révolution" cubaine et "révolution" du Christ : "L'une veut dire révolution de l'amour et l'autre signifie haine, vengeance, victimes", a fait remarquer le pape, tout en reconnaissant que, si des avancées avaient été réalisées à Cuba dans le domaine de l'école et de la santé, "les progrès étaient moindres en ce qui concerne les droits de l'homme. Entre les deux idéologies marxiste et libérale individualiste, il convient de trouver la juste solution", a-t-il ajouté. Jean Paul II n'a pas caché que la question des droits de l'homme serait au centre de ses préoccupations, comme elle l'a été depuis le début de son pontificat, ainsi qu'il l'a rappelé à bord de l'avion : "Vous savez ce que j'en pense et ce que je vais dire à ce propos. Ce sont les fondements de chaque civilisation, de chaque organisation sociale. J'ai apporté ces convictions et cet engagement avec moi de la Pologne lors de la confrontation avec l'Union soviétique et les systèmes totalitaires. C'est une longue histoire. Vous ne pouvez pas attendre autre chose de moi." Le pape a fait remarquer que s'il avait été invité à Cuba - le seul pays d'Amérique latine où il ne s'était pas rendu - Fidel Castro devait s'attendre "à ce qu'il dise les choses qu'il est susceptible de dire". Mais que pense-t-il de l'homme Castro ? Ne s'agit-il pas de la rencontre entre un "ange" et un "démon" ? "Pas du tout, a-t-il répondu. On ne peut pas dire d'un homme qu'il est un ange. C'est la rencontre de deux hommes", tout simplement. De deux figures vieillissantes qui, au crépuscule de leur pouvoir, ne souhaitent pas se toiser, mais se comprendre. "Je veux que Fidel Castro me dise la vérité, comme homme, comme président, comme "commandante". Qu'il me dise la vérité sur le pays, sur les relations entre l'Eglise et l'Etat, c'est ce qui est important pour nous." Jean Paul II souhaite que "tous les deux se mettent sous l'aile de la Providence", mais il s'est bien gardé de porter un jugement personnel, de même que sur Che Guevara. "Je laisse au tribunal de Dieu le soin d'apprécier les mérites du "Che", tout en étant convaincu qu'il voulait servir les pauvres." "Nos approches coïncident sur bien des problèmes importants du monde d'aujourd'hui et nous nous en réjouissons énormément, devait répondre au pape, en l'accueillant à l'aéroport, le chef de l'Etat cubain. Sur d'autres, nos opinions diffèrent, mais nous rendons un hommage respectueux à la profonde conviction dont vous faites preuve pour défendre vos idées." Contrairement à son habitude, Fidel Castro a lu son discours, sans emphase, sans geste pour appuyer ses propos, comme si la présence du pape l'avait assagi. Il a rendu hommage à ses "courageuses déclarations sur Galilée, sur les erreurs déjà connues de l'Inquisition, sur les sanglants épisodes des croisades, sur les crimes commis pendant la conquête des Amériques et sur certaines découvertes scientifiques qui ne sont plus mises en question mais qui à leur époque furent objet de préjudices et d'anathèmes." "Qui vivra, verra" Le président Castro a évidemment évoqué les sanctions américaines, qualifiées de tentative de "génocide", due à la prétention de "provoquer la faim, la maladie, l'asphyxie économique totale d'un peuple qui refuse de se soumettre aux diktats et au règne de la plus forte puissance économique, politique et militaire de l'histoire, beaucoup plus puissante que l'ancienne Rome qui, pendant des siècles, fit dévorer par les bêtes féroces tous ceux qui refusaient de renier leur foi." Le pape ne s'est pas exprimé explicitement sur ce sujet dans son discours d'arrivée. Il s'était contenté de dire, en réponse à une question des journalistes sur ce thème, qu'il fallait que "ça change", soulignant au passage que les Etats-Unis suivaient avec "beaucoup d'intérêt" son déplacement dans l'île et que cela pouvait "peut-être permettre aux Américains et aux Cubains d'espérer un avenir meilleur". Il devait surtout marteler : "Puisse Cuba s'ouvrir au monde et le monde s'ouvrir à Cuba !" Pour Jean Paul II, il n'est pas question, pour le moment, d'envisager les conséquences d'un voyage qu'il définit avant tout comme "pastoral". "Je ne suis pas prophète", avait-il laconiquement répondu aux journalistes à bord de l'avion, interrogé sur le parallèle entre la Pologne et Cuba. "Qui vivra, verra", avait-il même répété à deux reprises. MICHEL BOLE-RICHARD Le Monde du 23 janvier 1998

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