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Ancien Régime

Publié le 09/02/2013

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1   PRÉSENTATION

Ancien Régime, désignation méprisante attribuée à la monarchie française par les révolutionnaires de 1789. Dès l’été 1789, nombre de députés à l’Assemblée nationale constituante ont utilisé cette notion pour désigner l’État monarchique existant avant la transformation des États généraux en juin 1789. Cette expression désigne donc, de façon homogène et uniforme, le gouvernement de la France tel qu’il a été exercé aux XVIIe et XVIIIe siècles.

À la suite de Tocqueville (l’Ancien Régime et la Révolution, 1856), l’expression est reprise au XIXe siècle par les historiens pour désigner la période qui correspond, globalement, aux règnes d’Henri IV (1589-1610), Louis XIII (1610-1643), Louis XIV (1643-1715), Louis XV (1715-1774) et Louis XVI jusqu’en juin 1789, soit près de deux siècles qui peuvent être étudiés comme une entité à laquelle s’opposent radicalement les révolutionnaires de 1789. L’historiographie récente, tout en insistant sur la difficulté d’une telle uniformisation, a souligné que la simple continuité dynastique est en effet le symptôme d’une longue période marquée par des caractères de stabilité évidents. Dans l’ordre politique, administratif et social, les caractères fondamentaux restent largement identiques tout au long de la période.

2   ORDRE POLITIQUE
2.1   Le roi

La légitimité des rois, d’Henri IV à Louis XVI, est avant tout d’ordre dynastique. Issus de la famille des Bourbons, ils sont les héritiers d’Hugues Capet selon la règle dite de la loi salique qui, depuis le XIVe siècle, a établi le principe de la primogéniture masculine pour la transmission de la couronne. Trois frères se sont ainsi succédé après Henri II mais, aucun d’eux n’ayant eu de fils légitimé, Henri de Bourbon, descendant en ligne directe de Robert de Clermont, l’un des fils de Louis IX, est devenu l’héritier légitime de la couronne à la mort de François d’Anjou, le quatrième fils d’Henri II.

La légitimité royale se manifeste initialement dans la double cérémonie des obsèques royales qui montre au peuple, de façon concrète, la transmission du pouvoir royal (« Le roi est mort, vive le roi ! «), puis dans celle du sacre où le principe dynastique est renforcé par le rappel du principe électif auquel Hugues Capet a dû le trône. Le sacre confère également au roi une dignité religieuse équivalente à celle d’un évêque : il est oint du saint chrême, huile de la sainte ampoule, miraculeusement renouvelée depuis le baptême de Clovis, et reçoit l’anneau épiscopal ; l’Église légitime ainsi, à son tour, le principe dynastique. Celui-ci enfin est confirmé par les pouvoirs miraculeux que seuls possèdent les détenteurs du pouvoir royal, pouvoirs dits thaumaturgiques qui consistent à guérir par le toucher les malades atteints des écrouelles.

Dynastique, élective, religieuse, miraculeuse, la royauté française s’est dotée d’un appareil idéologique complexe dès le XIVe siècle, avec le Songe du Vergie. Régulièrement, des traités sont publiés pour étoffer cette idéologie royale, de Robert Gaguin et son Compendium sous Louis XII à Charles Loyseau et son Traité des ordres et simples dignités (1610). Richelieu puis Louis XIV ajoutent leur pierre à l’édifice monarchique qui fait du roi, au nom de l’histoire et de l’harmonie sociale, le seul détenteur de tous les pouvoirs qu’il incarne.

Chacun de ces pouvoirs est symbolisé par un objet, représenté sur les portraits officiels de Louis XIV et de Louis XV par Hyacinthe Rigaud : la couronne, qui symbolise la dignité royale ; le sceptre avec ses fleurs de lys pour le pouvoir politique ; la main de justice ; l’épée de Charlemagne qui, avec les talons rouges et les éperons, désigne le suzerain, prince des nobles et chef militaire de la nation (à ce titre maître de l’ordre de Saint-Louis), elle-même représentée par les fleurs de lys, don de Marie à Clovis ; le globe surmonté d’une croix montre enfin la valeur à la fois universelle et religieuse de ce pouvoir absolu. Les cérémonies des entrées royales sont autant de moments où cette symbolique est déployée.

Entre la cérémonie des funérailles et celle du sacre, un laps de temps parfois long peut s’écouler lorsque le dauphin, devenu roi à la mort de son père, est encore mineur ; une régence pallie la « vacance « ; de celle de Blanche de Castille pour Louis IX à celle de Philippe d’Orléans pour Louis XV, elle ne soulève guère de problèmes : le (ou la) régent(e) exerce le pouvoir au nom du roi, lequel est, vers l’âge de treize ans, reconnu majeur et commence à gouverner effectivement. Il faut pourtant cinq années de guerre civile (1589-1594) pour que le roi Henri IV soit accepté par la nation : il doit en effet vaincre les troupes de la Sainte Ligue groupées autour du clan catholique du duc de Mayenne et appuyées par les armées de Philippe II d’Espagne. La maîtrise de l’armée apparaît de fait, depuis Charles VII, comme la condition essentielle à la réalité du pouvoir royal.

2.2   L’armée royale

Destinée à compenser les faiblesses du système féodal de l’ost, l’armée royale est créée par la « grande ordonnance « de 1445. C’est durant la guerre de Cent Ans que de Grandes Compagnies sont levées et rémunérées par un impôt à l’origine extraordinaire, la taille. Progressivement, l’armée royale améliore son fonctionnement, et l’affaiblissement des armées privées des princes, du XVe au XVIe siècle, en fait le seul instrument de guerre lors des conflits qui opposent François Ier et Henri II à Charles Quint. Elle est dotée d’une artillerie de plus en plus considérable, et certaines villes reçoivent des régiments de façon stable comme les Trois-Évêchés concédés à la France par le traité du Cateau-Cambrésis de 1559. François Ier tente même d’en améliorer l’unité en créant une « légion « sur le modèle romain.

Les guerres de Religion sont, de 1562 à 1598, la dernière tentative importante de résurrection des guerres et des armées privées. Il faut que celle des protestants et celle du roi — vérité plus théorique que réelle — s’unissent lorsque Henri de Navarre devient roi de France, en 1589, pour que les troupes ligueuses des princes catholiques soient vaincues ou ralliées : cinq années de recettes fiscales du royaume sont déboursées à cette occasion par Henri IV et son ministre Sully.

À partir du XVIIIe siècle, l’armée royale est organisée en régiments de soldats professionnels, français ou étrangers (suisses, hussards, reîtres et lansquenets), recrutés par les sergents des différents régiments. Ceux-ci, rattachés au moins par le nom à une province (le Royal-Champagne, le Royal-Artois), sont confiés à des princes de haut lignage (comme Condé, Turenne, Saxe) et casernés dans des citadelles fixes en temps de paix. Le roi décide de la guerre et, jusqu’à Louis XIV au moins, de sa conduite ; Louis XV et Louis XVI sont de plus en plus en retrait de ce point de vue. L’armée la plus importante reste celle de Louis XIV : en 1701, elle représente 300 000 soldats, soit un soldat pour 66 habitants du royaume ; en 1788, cependant, l’effectif revient à 180 000 hommes, soit un soldat pour 145 habitants.

Cette armée, qui suscite au XVIIIe siècle de nombreuses critiques, permet cependant au royaume d’acquérir son extention quasi définitive ; son recrutement, souvent populaire, malgré les excès de certains recruteurs, lui fait jouer un rôle assez important dans la constitution de la nation française. Un tel système permet aussi à la noblesse traditionnelle de préserver son rôle guerrier tout en la rendant dépendante du bon vouloir du roi, libre de donner ses régiments à ceux qu’il estime fidèles. La haute noblesse, dite noblesse d’épée, est de plus en plus jalouse de ce privilège et obtient que lui soient réservés les grades d’officiers supérieurs dans les régiments. Elle demeure toujours présente dans les conseils du roi : en effet, monarque absolu, celui-ci doit aussi écouter son entourage car, comme cela a été enseigné à François Ier, « Le roi ne doit vouloir tout ce que le roi peut. «

2.3   Les conseils et la cour

L’origine des différentes instances chargées de conseiller le roi se trouve dans le principe même de la monarchie capétienne : Hugues Capet est l’élu des comtes et barons de la Francie occidentale constituée par le partage de Verdun. Le roi de France est donc entouré de la curia regis où siègent, outre ses plus proches parents, les principaux dignitaires religieux et laïques du royaume. Progressivement, cette curia regis se divise entre une instance judiciaire représentant le roi de Justice, le Parlement de Paris, et une instance politique, le Conseil du roi. Chacune de ces instances revendique au nom de la monarchie un contrôle sur l’action du roi, lequel en définit la composition. Le Parlement est chargé au niveau de l’État de deux missions principales : d’une part, il est l’instance d’appel suprême de la justice royale ; d’autre part, il est chargé d’enregistrer les décisions du roi, c’est-à-dire de les légitimer. Il est doté d’un droit de remontrance dont il se sert régulièrement : le concordat de Bologne, signé en 1516, n’est ainsi enregistré qu’après deux ans de tractations. Lorsque la situation est bloquée par le Parlement, le roi peut tenir un lit de justice et, sous un dais, imposer au Parlement sa royale volonté.

La Fronde et le milieu du XVIIIe siècle sont deux périodes où le Parlement entre en réel conflit avec le roi : Louis XV doit rappeler aux parlementaires son absolue puissance lors de la « séance de la Flagellation « le 3 mars 1766 (« C’est légal, parce que je le veux. «). Les privilèges attachés aux offices parlementaires — en particulier, l’anoblissement — ne parviennent jamais à faire du Parlement un instrument tout à fait docile du pouvoir royal.

De la même façon, les conseils du roi apparaissent comme des instruments souvent ambigus de l’exercice du pouvoir absolu. À mesure que croissent les besoins de l’État et ses missions, les conseils royaux, dont les attributions se chevauchent souvent, se multiplient (conseil des dépêches, des parties, d’en haut, privé, secret, etc.).

Même s’ils sont toujours choisis par le roi, certains « conseillers « siègent de droit comme les reines mères, les reines, les princes du sang, voire les grands nobles ; d’autres le sont en fonction de leurs compétences et de leur fidélité réelles ou supposées (Richelieu sous Louis XIII, Louvois, Colbert sous Louis XIV, Necker sous Louis XVI) ; enfin, il est possible d’acheter un office de « conseiller du roi «. Au maximum, cependant, il n’y a jamais eu plus de cent conseillers du roi.

L’enjeu du pouvoir porte toujours sur le conseil le plus proche du roi (secret, privé ou d’en haut), celui qu’il réunit pour les affaires politiques et militaires les plus importantes. En substance, les grands princes voient d’un assez mauvais œil l’immixtion de techniciens au conseil royal : le combat du cardinal de Richelieu contre Marie de Médicis, qui s’achève le 10 novembre 1630 par la « journée des Dupes « et le triomphe du cardinal, est l’une des manifestations de cette confrontation. Son issue peut être, sauf sous Louis XIV, la désignation d’un « principal ministre « dont Richelieu reste l’archétype : l’influence de ces personnages est décisive dans les choix politiques de Louis XIII et de Louis XV. Richelieu, Mazarin, Guillaume Dubois (1656-1723) et Fleury sont tous issus du haut clergé : la responsabilité qui leur est confiée l’est aussi en fonction de ce prestigieux statut.

La faveur royale constitue donc la condition nécessaire pour exercer des responsabilités militaires, politiques ou religieuses au sein du royaume : cela concentre de plus en plus autour du roi les élites du pays en mal de puissance. La Cour devient bientôt, dès Henri II, le signe apparent de la puissance royale. Henri III en codifie une première fois l’étiquette, que précisent davantage Louis XIII et surtout Louis XIV. Le palais de Versailles devient le lieu non seulement où s’exerce le pouvoir royal, mais aussi où ce pouvoir se montre par l’intermédiaire d’une myriade de courtisans, hommes et femmes, prêtres et laïcs, dont la hiérarchie est manifestée par leur proximité au roi : plus on est physiquement proche du roi, plus on reçoit ses faveurs (voir Cour, société de). De la même logique procède l’admission aux différentes étapes qui jalonnent la journée royale, du « petit lever « au « petit coucher «. Si la position à la Cour conditionne la fonction dans l’État monarchique, elle conditionne également l’accès aux pensions et aux offices lucratifs par l’attribution desquels le roi traduit sa reconnaissance.

La Cour est donc le vivier dans lequel la puissance royale puise in fine ses principaux représentants. Secrétaires du roi, intendants de province, conseillers, commissaires, fermiers généraux constituent l’armature de l’ordre administratif qui contrôle le royaume sous l’Ancien Régime.

3   ORDRE ADMINISTRATIF
3.1   Le service civil du roi

Le service du roi, à l’origine relativement restreint (quelques dignitaires et serviteurs autour des premiers Capétiens), augmente considérablement lorsque s’étendent le domaine royal et le pouvoir du roi sur ses vassaux. Les missions traditionnelles consistent en l’administration du palais royal avec, par exemple, l’échanson, le garde des Sceaux royaux et les serviteurs de la maison royale. La police et l’administration du domaine sont déléguées à des baillis et sénéchaux, tandis que, à partir du XIVe siècle, une administration embryonnaire est instituée pour collecter les impôts extraordinaires destinés à financer l’effort de guerre du royaume. La justice enfin est réservée à des officiers royaux.

3.2   Les officiers

Dès le XVe siècle, les offices royaux peuvent être mis en vente et deviennent l’une des sources normales du revenu royal. Ces offices concernent l’administration à tous les échelons, de la paroisse à l’État en passant par les bailliages et les gouvernements. Ils recouvrent des fonctions de police, de justice et de fiscalité qui se substituent progressivement aux mêmes fonctions qu’exerçaient aux échelons locaux les officiers des seigneurs. Ils peuvent être prestigieux et onéreux, tels les offices de président à mortier au Parlement de Paris.

Au début du XVIe siècle, il n’y a encore que cinq mille officiers royaux. À mesure que croissent les besoins financiers de la monarchie, le nombre des offices augmente également : certains offices peuvent ainsi être conjointement tenus par plusieurs officiers. En 1661, Colbert dénombre 45 780 offices, dont ceux de « jurés crieurs de vin « ou de « taxateurs de ports de lettres et paquets en tous les bureaux de poste « ; cette inflation le scandalise au point qu’il cherche à en limiter la pratique. Néanmoins, la création d’office est devenue, selon l’expression de l’historien A. Doucet, une « forme normale d’administration «.

Pour la monarchie, l’intérêt des offices est, au moins jusqu’au XVIIe siècle, incontestable et multiple. D’une part, ceux auxquels sont accordés les offices deviennent les serviteurs du roi. Nombre d’offices seigneuriaux sont ainsi transformés en offices royaux à l’échelon du bailliage (le phénomène a été très clairement montré pour le bailliage de Senlis) ; la création des offices permet donc à la monarchie d’étendre son emprise administrative, policière, fiscale et judiciaire sur l’ensemble du royaume. D’autre part, la création des offices ainsi que les divers revenus liés à leur possession assurent au pouvoir des rentrées d’argent de plus en plus importantes. La fameuse taxe dite de la Paulette qui permet de rendre héréditaire la possession des offices (1604) est un exemple de ces revenus attachés aux offices.

La vénalité des offices et leur hérédité, en principe interdites l’une et l’autre, sont progressivement légalisées au cours du XVIe siècle. Il transforme le corps des officiers en une catégorie sociale à part qui, progressivement, peut s’affranchir de la dépendance royale. Aussi les fonctions les plus importantes sont-elles confiées non à des officiers, mais à des commissaires sur lesquels le roi peut conserver un contrôle entier.

3.3   Les commissaires

Les commissaires reçoivent du roi des « lettres de commission « leur attribuant une mission précise, souvent limitée dans le temps et dans l’espace. Au fur et à mesure que les officiers deviennent une caste fermée, le pouvoir réel des commissaires se fait de plus en plus important. Les premières commissions sont confiées par Henri II pour des « chevauchées « dans les provinces ; elles se multiplient et s’institutionnalisent avec la création, par Richelieu, des intendants de police, justice et finance — en particulier par l’édit de 1635. D’autres commissions sont créées — notamment celles de la marine — sous Louis XIII et Louis XIV. Le terme demeure cependant ambigu : nombre de commissaires sont en fait des officiers, comme les commissaires de police au Châtelet de Paris.

Les plus importants parmi ces commissaires sont les intendants du roi en province. Choisis parmi les membres de la noblesse, le plus souvent parmi les maîtres des requêtes au Conseil des parties, et envoyés dans une généralité, ils y représentent l’autorité du roi en matière judiciaire, fiscale, policière et militaire. Ils peuvent, par exemple, transférer les causes d’un tribunal à un autre et ont eux-mêmes le pouvoir judiciaire. Leur rôle, très controversé à la fin du XVIIIe siècle, est pourtant essentiel à l’unification du royaume, et ils sont souvent les instigateurs d’une véritable politique sociale de la monarchie.

4   ORDRE SOCIAL
4.1   Les ordres de la société

L’Ancien Régime repose sur l’idée de la tripartition sociale. La société est divisée entre les Oratores, ceux qui prient, les Bellatores, ceux qui combattent, et les Laboratores, ceux qui travaillent. Cette division est aussi une hiérarchie : ceux qui prient sont les premiers, ceux qui travaillent les derniers. L’existence de privilèges attachés aux deux premiers ordres est la marque de cette hiérarchie.

Il y a, entre les ordres, des possibilités de passage : nombre de curés et de moines sont issus du tiers ordre, ou tiers état, tandis que le recrutement des abbés et des hauts prélats s’effectue la plupart du temps dans la noblesse. De même, l’achat d’offices anoblissants, comme les offices de conseiller au Parlement, est un moyen de passer de la roture à la noblesse. Selon les périodes, ces différentes passerelles sont plus ou moins étroites : les règnes de François Ier ou de Louis XIV, soucieux d’abaisser le prestige des privilégiés, favorisent la promotion des roturiers.

L’appartenance aux deux premiers ordres garantit des privilèges nombreux : exemptions fiscales, en particulier pour le clergé, autorisation de prélever des impôts, les droits seigneuriaux, sur les fiefs laïques ou religieux, possibilité d’accéder à différentes fonctions politiques ou militaires, ainsi que de nombreux privilèges honorifiques, dont le port de l’épée, théoriquement réservé à la noblesse. Ces ordres privilégiés imposent aussi des contraintes, tel le célibat pour les ecclésiastiques.

4.1.1   Le clergé

De Henri IV à Louis XVI, la fonction des ordres privilégiés évolue. Dès le XVIe siècle, l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) donne aux curés un rôle central dans l’état civil : ils sont chargés d’enregistrer les baptêmes, les mariages et les décès. Le contrôle du roi sur le clergé depuis le concordat de Bologne contribue à faire du premier ordre un relais efficace de l’autorité monarchique : les prêtres doivent ainsi lire les édits royaux lors des messes dominicales, et l’appel du 19 janvier 1789 apprend à tous les sujets du royaume que le roi en appelle à leurs avis éclairés pour renflouer les caisses de l’État. Le clergé, confirmé dans son rôle de direction morale par l’élimination progressive des protestants aux xvie et xviie siècles, doit en même temps accepter de se mettre non plus au service de Rome mais au service du roi.

4.1.2   La noblesse

Le même phénomène concerne la noblesse. Celle-ci, qui bénéficie en théorie du monopole des armes, doit renoncer définitivement à contrôler des armées privées après les guerres de Religion : désormais, le service militaire devient le service du roi. Les vieilles structures féodales de l’ost demeurent, mais n’ont plus guère de consistance dans un État où les fiefs sont tous contrôlés par le pouvoir royal. Les nobles n’ont d’ailleurs plus les moyens de subventionner des troupes, et doivent acheter au roi des brevets d’officiers pour continuer à assumer leur fonction traditionnelle.

De plus, alors que la demeure noble par excellence est le château durant tout le Moyen Âge, elle devient l’hôtel urbain (les quartiers du Marais, du faubourg Saint-Germain, puis Saint-Honoré, sont à Paris les lieux de résidence noble par excellence) ou le palais royal, en l’occurrence le palais de Versailles. Par un système combinant des pensions soigneusement distribuées, l’institutionnalisation de l’étiquette et l’obligation de dépenses, Louis XIV sait réduire la noblesse de France à n’être plus que la vitrine du prestige royal. Les nobles les moins fortunés, les « hobereaux de province «, voient souvent leur condition sociale tendre vers la misère et doivent chercher une nouvelle fortune à Paris ; les « cadets de Gascogne « sont l’illustration de ce mouvement migratoire. D’autres, comme le sire de Gouberville qui a laissé à la fin du XVIe siècle un précieux journal, deviennent les gestionnaires scrupuleux d’un domaine dont l’exploitation soigneuse est la condition impérative pour échapper à la ruine.

La noblesse traditionnelle, dite « noblesse d’épée «, dont les origines remontent aux croisades, doit se résoudre à admettre les nouveaux nobles venus de l’office (la « noblesse de robe «) : les nécessités financières obligent les grandes familles nobles à se mésallier, à épouser des roturières pour redorer des blasons ternis par la ruine. Régulièrement, les tenants de la tradition tentent de lutter contre cette tendance : à la fin du XVIIIe siècle, la « réaction féodale « voit ainsi de nombreux seigneurs redonner vie à d’anciens prélèvements qui sont tombés en désuétude, tandis que les offices supérieurs de l’armée sont réservés aux nobles pouvant faire état de « quatre quartiers « (quatre générations) de noblesse (1781). Ce raidissement dans la structure sociale entre en ligne de compte dans les fureurs paysannes de la Grande Peur.

4.1.3   Le tiers état

Le tiers ordre représente environ 95 p. 100 de la population du royaume et cette dénomination recouvre des réalités aussi différentes que celles des armateurs bordelais lesquels, au XVIIIe siècle, traitent de pair avec la grande noblesse éclairée, et les paysans métayers du Bourbonnais ou du Languedoc écrasés d’impôts et soumis parfois aux restes d’un arbitraire seigneurial extrême.

Le tiers ordre a une représentation commune lors des états généraux, une instance exceptionnelle que le roi peut convoquer en cas de crise pour remédier aux problèmes de l’État. Si les convocations sont assez nombreuses aux XVe et XVIe siècles, il n’y en a aucune entre 1614 et 1789. L’unité du tiers ordre est donc une fiction sous l’Ancien Régime. Il en est de même de l’idée selon laquelle le tiers ordre regroupe les non-privilégiés car, en fait, d’innombrables privilèges locaux existent : les villes de Normandie sont exemptées de la taille, de nombreux officiers bénéficient d’importants avantages fiscaux, une hiérarchie très stricte existe entre les différentes stratifications sociales du tiers état, hiérarchie qui se manifeste lors des processions accompagnant les entrées royales. Le Traité des ordres et simples dignités, publié en 1610 par le juriste Charles Loyseau, détaille ainsi la hiérarchie qui, au sein du tiers état, sépare presque irrémédiablement le « peuple gras « du « peuple menu «, selon une terminologie fréquente à l’époque.

Tout individu du tiers état appartient d’abord et principalement à une corporation, professionnelle en ville ou paroissiale à la campagne. Cette corporation, ou jurande (les dénominations variant beaucoup), est dotée de règles — les « coutumes « dans les villages — extrêmement codifiées pour les métiers urbains. La vie publique ne s’inscrit que dans ces cadres communautaires contraignants et, sauf lors des États généraux, jamais dans celui du tiers état. La vie privée est normalement celle d’une famille plus ou moins étendue, soudée par le mariage dont le caractère religieux garantit l’absolue solidité.

4.2   Une société religieuse

La religion est le fondement principal de ce système social. La société doit être le reflet de la volonté divine telle qu’elle est transmise par l’Église catholique, excluant les minorités religieuses comme les protestants et les juifs. D’une part, le corps politique est profondément ancré dans la foi. Le roi tient son pouvoir de Dieu : il est roi de droit divin, cette légitimité ayant complètement supplanté celle due à l’élection, devenue purement allusive et formelle. Évêque par le sacre, il a vis-à-vis de ses sujets le rôle du pasteur et doit, selon sa seule volonté, les conduire vers le salut politique, c’est-à-dire vers l’harmonie de l’ordre social et de la paix civile. Le Concordat lui donne la responsabilité du choix des prélats supérieurs et une autorité très grande sur son Église, celle-ci représentant le premier des ordres. Cette primauté du clergé trouve sa justification dans le credo selon lequel, la vie n’étant qu’une « vallée de larmes «, son objectif unique doit être la préparation du salut. En la matière, le rôle de l’Église est décisif, d’autant que les conditions matérielles, difficiles pour la majorité du peuple, rendent plausible le credo précédent : un seul enfant sur quatre atteint l’âge de vingt ans au XVIIe siècle, et l’une des prières les plus célèbres demande : « Seigneur, délivre-nous de la faim, de la peste et de la guerre «.

L’organisation du clergé est à l’image de la « Cité de Dieu « selon les préceptes de saint Augustin. Sa stricte hiérarchie, qui place au-dessus des hommes ceux qui choisissent la vie monastique, est une réplique exacte de celle qui, au ciel, sépare Dieu des bienheureux. L’organisation de la société doit, pour être parfaite, reproduire cette même échelle des valeurs.

Le rôle de la noblesse est de préserver l’harmonie sociale en défendant la société du mal, du démon. En effet, jusqu’au XVIIIe siècle, la lutte contre les révoltes populaires se formule non seulement en termes politiques ou sociaux, mais aussi en termes religieux : même quand elle est menée localement par des curés, la révolte est forcément œuvre du Malin. La grande brutalité des répressions contre les croquants, les va-nu-pieds ou les camisards — soulevés pour des raisons à la fois religieuses, fiscales et sociales — est aussi d’origine religieuse.

La noblesse, par nature chargée de mener les troupes au combat, tient son rang de la volonté divine ; si la cérémonie de l’adoubement s’est largement perdue aux XVIIe et XVIIIe siècles, le seigneur est toujours le défenseur de son curé, et l’église paroissiale lui accorde de nombreuses marques d’estime, comme le banc réservé. Au contraire, le travail est l’héritage du péché originel. Longtemps, l’Église a maintenu une condamnation sans appel des manipulations monétaires qui sont par force devenues une spécialité des juifs, puis des protestants ; puis, à partir du XIVe siècle, les positions de Rome s’assouplissent. Néanmoins, pour le deuxième ordre, travailler, c’est déroger et donc renoncer à la noblesse ; le travail rappelle l’incapacité de l’Homme à atteindre la perfection du paradis perdu : certes, il est nécessaire de nourrir l’Église qui s’en rapproche et la noblesse qui la défend, mais cette nécessité ne peut qu’être laissée à la population la plus vile. Et plus le travail rapproche de la terre, plus grand est le mépris dans lequel il est maintenu dans l’imaginaire de l’Ancien Régime. Aussi les plus pauvres des paysans sont-ils paradoxalement les plus taxés, les plus durement exploités.

4.3   L’effondrement du système

L’effondrement du système se produit avec une rapidité surprenante, entre le 17 juin et le 26 août 1789. Les ordres disparaissent, comme le droit divin du roi, c’est-à-dire les deux fondements de cet Ancien Régime. Cette révolution, qui marque l’entrée dans l’histoire de la notion d’Ancien Régime, achève un processus commencé probablement dès la mort du « Grand Roi « Louis XIV en 1715 et qui s’est développé pendant le siècle des Lumières.

4.4   La dégradation de l’image royale

La mort de Louis XIV impose, eu égard à la minorité du jeune Louis XV, une nouvelle période de régence. Celle-ci est assumée par Philippe d’Orléans, qui rompt immédiatement avec le lourd et imposant cérémonial caractéristique de Versailles à la fin du règne de Louis XIV. Par ses choix politiques — expérience de Law ou polysynodie —, parfois malheureux autant que par un comportement privé à l’opposé de l’austérité des dernières années de Louis XIV, Philippe d’Orléans propose de l’autorité royale une image renouvelée, beaucoup plus en accord avec les aspirations des élites du royaume, non seulement une partie de la noblesse, mais aussi de la roture.

Si la première partie du règne de Louis XV « le Bien-Aimé « à partir de 1721 redonne au prestige du roi un lustre nouveau, c’est à la fois parce qu’il sait montrer des qualités royales, en particulier au combat, et parce qu’il sait préserver et augmenter le nouvel esprit de la Régence, faisant de Voltaire son historiographe et encourageant dans tout le royaume la création des académies royales. Au tournant du siècle, perturbé par une grave maladie, traumatisé par l’attentat manqué de Pierre Damiens qui est condamné à une invraisemblable accumulation de supplices, le roi est confronté à une dégradation de son image et même de son autorité. Les parlementaires désireux d’imposer leur sagesse face à l’arbitraire royal, les philosophes outrés par les persécutions contre les protestants (affaire Calas) et par une censure qui retarde longtemps la publication de l’Encyclopédie, tous participent à la dégradation de l’image du roi. Sa mort, en 1774, soulève l’espérance : le jeune Louis XVI suscite l’enthousiasme. Simple, entouré par d’excellents esprits comme Turgot, Necker ou Malesherbes, intéressé par les progrès du siècle des Lumières, il annonce une souveraineté réformatrice. En fait, rapidement, il est en butte aux coteries de Versailles, à sa propre faiblesse et au creusement d’un déficit budgétaire vertigineux. Ce roi pacifique est incompatible avec l’essence même du monarque d’Ancien Régime, monarque guerrier ; jamais Louis XVI ne paraît sur un champ de bataille. Influencé par les avis contradictoires de son entourage, il hésite entre une politique conservatrice favorable à la réaction féodale, prônée en particulier par son frère Charles d’Artois, et une politique de réformes.

4.5   Le déclin de la société d’ordres

Le système des ordres décline à la fois par l’ascension contrariée des élites roturières, par la déchéance de la légitimité de la noblesse et par la division croissante au sein du clergé.

Les élites roturières ont pu, sous Louis XIV, accéder massivement à la noblesse et aux responsabilités politiques par l’intermédiaire des offices anoblissants. Or, avec Philippe d’Orléans et Louis XV, puis pendant la période de la réaction féodale, les anoblissements par office sont très nettement déconsidérés et restreints. Des mesures presque vexatoires ôtent aux plus fortunés des roturiers les possibilités d’exercer des fonctions importantes dans l’armée.

Parallèlement, le niveau des revendications des élites roturières croît : le mouvement des Lumières énonce une critique vigoureuse des principes de la fiscalité d’Ancien Régime, ainsi que de ceux du mercantilisme qui règne sur les choix commerciaux du royaume. La philosophie des Lumières, de Rousseau à Voltaire, oppose à l’idée d’une inégalité hiérarchique d’origine divine l’idée d’une égalité essentielle ordonnée par la nature. La large diffusion de l’Encyclopédie dans les milieux éclairés, tant bourgeois que nobles, traduit l’accueil favorable fait à ces idées. Ainsi, des considérations à la fois politiques, économiques et sociales se combinent pour contredire la hiérarchie sociale de l’Ancien Régime.

La crise de 1787-1788 et l’explosion de la question financière stigmatisent ces évolutions diffuses : la vacance du pouvoir, confessée par le roi lui-même, qui s’avoue incapable de faire les choix financiers judicieux pour redresser le budget de l’État, laisse aux multiples revendications toute latitude d’expression.

La Révolution française est le moment où les dysfonctionnements du système traditionnel entraînent son effondrement. Mais, paradoxalement, en abolissant l’Ancien Régime, elle le définit en insistant sur les profonds caractères d’unité d’une période qui, en deux siècles au moins, a connu tant de bouleversements et permis à la fois la stabilisation des frontières de la France et la naissance d’un sentiment national cohérent.

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