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Article de presse: Aldo Moro, symbole de la DC

Publié le 17/01/2022

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9 mai 1978 - Officiellement, Aldo Moro n'était que le président du parti gouvernemental. Un poste honorifique, ne donnant en principe à son titulaire qu'un rôle de médiation entre les différents courants démocrates-chrétiens. Le pouvoir, le vrai, était ailleurs: au secrétariat général ou à la présidence du conseil. Mais, par sa personnalité, ses antécédents et l'avenir qui lui était réservé, Aldo Moro apparaissait comme l'homme politique le plus important du parti et du pays. C'est lui qui a fait entrer les socialistes au gouvernement au début des années 60; lui encore qui avait ouvert la porte de la majorité parlementaire aux communistes quelques jours avant l'attentat du 16 mars; lui, enfin, qui était destiné à devenir président de la République en décembre 1978. Et pas pour inaugurer les chrysanthèmes; au Quirinal, il serait le garant d'une formule politique-la sienne-qui associerait les communistes au pouvoir. Ce sexagénaire énigmatique, à la peau étonnamment sombre, apparaissait à beaucoup comme un étranger. Il semblait venir d'ailleurs, parler un autre langage que ses concitoyens, dominer les combinazione de sa haute silhouette courbée, même s'il en était le principal artisan. Dans un pays où tout le monde se tutoie, les députés de son propre parti lui disaient souvent " vous ". Il les impressionnait et les troublait. Après chacun de ses interminables discours, prononcés d'une voix monocorde, on s'interrogeait fébrilement sur ce qu'il avait voulu dire. Le " morotéisme " était à la fois une politique de médiation, un moyen de hausser continuellement le niveau du débat et un art inimitable de noyer le poisson. Et la vie privée d'Aldo Moro ne se prête guère aux histoires pittoresques. Quand on a cité l'université, le cinéma, la lecture des romans policiers, l'amour des fleurs et de la musique, on a tout dit ou presque. Sa jeunesse est très lisse: né le 23 septembre 1916 à Paglie, près de Lecce, dans les Pouilles, de parents enseignants, il sera un premier de classe tranquille, sans fantaisie. Son éducation très chrétienne, des études de droit et des qualités personnelles évidentes le font devenir président de la Fédération universitaire catholique à vingt-trois ans, puis dirigeant du Mouvement des diplômés catholiques, dont Mgr Montini, le futur Paul VI, est l'aumônier. A la Libération survient une chose étrange, qui apparaît ubuesque avec le recul du temps: Aldo Moro se voit refuser une carte d'adhésion à la Démocratie chrétienne. Et par qui? Un pharmacien de Bari. Ce notable règne alors sur la fédération provinciale du parti. Il n'aime pas le jeune avocat, le trouve plus apolitique qu'antifasciste, comme beaucoup de jeunes de sa génération; plus théoricien et moraliste qu'homme d'action; de plus, il le juge obscur (déjà!). Aldo Moro est à deux doigts d'adhérer au Parti socialiste, quand son évêque lui demande de " faire le député " sur les listes démocrates-chrétiennes. Cette fois, il entre au parti-et par la grande porte. Huit fois il sera réélu dans la circonscription de Bari. Et, pendant ces huit législatures, il occupera des fonctions d'importance croissante: sous-secrétaire d'Etat aux affaires étrangères (mai 1948-janvier 1950); président du groupe démocrate-chrétien à la Chambre (juin 1953-juillet 1955); ministre de la justice (juillet 1955-mai 1957); ministre de l'instruction publique (mai 1957-juillet 1958); secrétaire général de la Démocratie chrétienne (mars 1959-décembre 1963); président du conseil dans trois gouvernements successifs (décembre 1963-juin 1968); ministre des affaires étrangères dans six autres cabinets (août 1969-juin 1972); encore président du conseil à deux reprises (novembre 1974-juillet 1976); et, enfin, à partir d'octobre 1976, président de la Démocratie chrétienne en attendant la consécration: le Quirinal. Un homme du centre qui regardait à gauche Le pharmacien de Bari s'était donc trompé. Aldo Moro sera le symbole même de la Démocratie chrétienne. Il incarnera, mieux encore que son auteur, la célèbre formule d'Alcide De Gasperi: " La Démocratie chrétienne est un parti du centre qui regarde à gauche. " Contrairement à d'autres " chevaux de race " démocrates-chrétiens, Aldo Moro est politiquement cohérent. Il ne virera pas de gauche à droite et vice-versa. Il sera toujours minoritaire, à contre-courant, mais gagnera. Sans doute est-ce l'une des raisons pour lesquelles les communistes le préféreront à tous les autres démocrates-chrétiens. Il va devenir l'interlocuteur le plus sûr d'Enrico Berlinguer. Un portrait comparé des deux hommes mériterait d'ailleurs d'être fait: ils sont austères l'un et l'autre, pessimistes, peu enclins à la familiarité et portés aux compromis historiques... Coïncidence? Aldo Moro l'avait emporté sur son principal concurrent, Amintore Fanfani, au moment de l'ouverture aux socialistes: il pensait, lui, que la Démocratie chrétienne devait faire des concessions politiques et pas seulement tactiques. A peine la coalition de centre-gauche était-elle formée qu'il voyait déjà plus loin: " Elargir la base populaire de l'Etat " aux communistes. Cette intuition deviendra nécessité après les élections locales de juin 1975 qui font fortement progresser le PCI. Ce sera, en effet, l'association des communistes au pouvoir, par petites étapes. Ils sont trop forts pour rester dans l'opposition, et la Démocratie chrétienne est trop faible pour gouverner sans leur soutien. Toute la stratégie d'Aldo Moro va être de favoriser la conversion du PCI aux principes de la démocratie occidentale, sans briser l'unité de la DC. Cette unité a toujours été sa hantise. Elle l'a conduit à fermer les yeux sur beaucoup de choses-même les plus scandaleuses-et on n'a pas fini de le lui reprocher. Elle l'a conduit aussi à réaliser de petits chefs-d'oeuvre politiques. Le dernier, quelques jours avant son enlèvement, aura été de restaurer l'unité des groupes parlementaires démocrates-chrétiens pour leur faire adopter à l'unanimité une motion byzantine, admettant sans le dire les communistes dans la majorité. Malgré les humiliations qu'il a subies ces dernières semaines, malgré les propos qu'on lui a fait écrire, il est bien placé pour figurer dans le mausolée des pairs de la République. On ne tue pas un homme de cette stature à coups de pistolet. ROBERT SOLE Le Monde du 10 mai 1978

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