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Article de presse: Alexandre Soljenitsyne : comme un chêne

Publié le 22/02/2012

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8 octobre 1970 - L'histoire de la découverte d'Alexandre Soljenitsyne avait commencé, sinon comme un conte de fées, du moins comme un acte moral quand, en décembre 1962, avait paru avec l'appui du secrétaire général du Parti communiste de l'URSS, Nikita Khrouchtchev, le premier livre sur la vie quotidienne dans un camp stalinien : Une journée dans la vie d'Yvan Denissovitch. Ce texte allait jouer un rôle non négligeable, tant à l'intérieur qu'à l'étranger, dans la déstalinisation. Encouragé par ses lecteurs-anonymes-et par une foule d'anciens détenus qui lui envoient des matériaux, dès 1963, il a commencé à rédiger l'Archipel du Goulag, qu'il achèvera en cinq ans. " Que le KGB déboule en ce moment, écrit-il en 1966, et le murmure de millions d'agonies, tous les testaments imprononcés des disparus, tout tombe entre leurs mains je n'arriverai plus désormais à le reconstituer... " Devant les manifestations d'hostilité qui se font plus nombreuses, notamment de la part de Mikhaïl Cholokhov qui vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Soljenitsyne décide d'engager la lutte, ouvertement, contre le pouvoir : en mai 1967, dans une lettre adressée au congrès des écrivains de Moscou, il réclame la " suppression de toute censure " et demande à l'Union de " défendre les auteurs persécutés ". Il est sans moyen d'existence : on ne l'édite plus dans les revues, aucun de ses ouvrages n'a paru en livre en URSS où l'on ne dispose que des exemplaires de la revue Novy Mir, depuis longtemps épuisés. Il proteste contre les fonctionnaires de la littérature et les policiers qui, depuis des années, s'efforcent de le discréditer et l'empêchent de publier ses oeuvres. " Ils ne sont capables d'aimer que les morts ", écrit-il encore, reprenant les mots de Pouchkine. Il n'aura droit à aucune cérémonie à la Maison des écrivains pour son cinquantième anniversaire, comme c'est la coutume. Et il va bientôt être exclu de l'Union des écrivains, privé du droit de demeurer à Moscou il trouve alors un refuge chez le violoncelliste Rostropovitch, au village de Joukovka. Il ne cesse de ruer, de riposter aux insinuations orales comme aux attaques écrites, qualifie ceux qui viennent de l'exclure d' " aveugles qui guident des aveugles ", se démène ouvertement ou multiplie les provocations comme personne avant lui n'avait osé le faire. On lui suggère de s'exiler : " Personne n'a l'intention de retenir Soljenitsyne ni de l'empêcher de quitter le territoire soviétique, s'il le désire, pour se rendre là où ses écrits antisoviétiques sont accueillis avec tant d'enthousiasme ", fait savoir dans un communiqué le secrétariat de l'Union des écrivains. En lui décernant le prix Nobel 1970, cinq ans après Cholokhov, dix ans après Pasternak, l'Académie suédoise fait déborder la coupe... A la différence de Pasternak, qui avait dû refuser, il accepte la distinction, mais ne se rend pas à Stockholm ( " Mon voyage serait mis à profit pour me couper de mon pays... " ). Il ne se passera plus de mois sans que la presse, la télévision, ses " collègues ", son ancienne femme même ne l'accusent de faire le jeu de l'ennemi, d'être une menace pour la détente. Le pouvoir semble avoir perdu le mètre-étalon de l'injure ad hominem et ne plus savoir quelle attitude prendre devant ce monstre qui échappe aux règles ex-protégé de Khrouchtchev, prix Nobel, il prend trop de place. Ils avaient le choix : l'emprisonner ou le faire partir en Occident. Ils ont préféré ne pas faire de martyr et ont cru qu'on pouvait tuer quelqu'un en le diffamant. Et ils se sont trompés, tout comme l'Occident s'était trompé en croyant tenir avec Soljenitsyne un homme de gauche ! Lui, tel un chêne qu'on n'abat pas, continue depuis le Vermont à menacer, à récrire l'histoire de la révolution, à prophétiser, à affirmer qu'il rentrera dans son pays. NICOLE ZAND Le Monde du 3 février 1984

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