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Article de presse: Aslan Maskhadov et l'indépendance de la Tchétchénie

Publié le 22/02/2012

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27 janvier 1997 - Les résultats des premières élections libres organisées en Tchétchénie après vingt et un mois de guerre dévastatrice, c'est-à-dire l'éclatante victoire (68,9 % selon des résultats non définitifs) du " résistant-en-chef ", Aslan Maskhadov, ne sont sans doute pas synonymes de reconnaissance de son indépendance par la communauté internationale. Mais ils pourraient y mener, malgré l'indignation qu'une telle hypothèse soulève toujours au Kremlin et, à la suite, dans les chancelleries occidentales. Car, de même qu'on n'a jamais cru possible une victoire tchétchène sur la Russie, on continuait, mercredi 29 janvier, à s'y méprendre sur les intentions du vainqueur du scrutin. S'il est exact, comme on l'a rabâché à Moscou, que l'ancien chef d'état-major de l'armée indépendantiste est un " modéré " enclin au compromis, rien en revanche ne permet de penser que cette modération le poussera à renoncer à la liberté acquise par son pays au prix fort, euphémisme au vu de l'état de sa capitale et des dizaines de milliers de nouvelles tombes dans les villages. Aslan Maskhadov l'a réaffirmé, mardi, devant la presse au lendemain du scrutin : " Ma priorité sera de travailler à ce que l'indépendance de la Tchétchénie soit reconnue par tous les pays, y compris la Russie ". Comme il ne peut imaginer de situation où les militaires russes soient poussés impunément par le pouvoir moscovite à recommencer leur fiasco tchétchène, il est bien conscient qu'en Russie " on fera tout maintenant pour nous vaincre par des méthodes économiques. Mais nous ne pouvons absolument par reculer sur les questions de principes, à savoir que la Tchétchénie ne fait pas partie de la Russie, comme l'a confirmé le traitement qui nous a été infligé ", dit-il dans un texte publié récemment à Grozny. Le général Maskhadov demande donc au Kremlin de reprendre les négociations sur la base des accords qu'il a signés le 31 août 1996 avec le général Lebed, et qui prévoient un délai " maximum " de cinq ans avant toute définition des " relations entre la Tchétchénie et la Russie " (et non pas d'un statut de la Tchétchénie au sein de la Fédération, comme on l'interprète à Moscou). Mais Chamil Bassaev, le commandant qui enflamme la partie la plus impétueuse de la jeunesse tchétchène, et qui reste, pour Moscou, le principal " terroriste " de la région, n'est pas d'accord avec ce délai. Il s'est présenté durant sa campagne électorale comme celui qui a fait suffisamment peur à la Russie (" qui ne comprend que le langage de la force ") pour l'obliger à céder non pas dans cinq ans, mais immédiatement. " Acte de diversion " " Admettant implicitement sa défaite électorale, le jeune Bassaev a affirmé qu'il donnait " quelques mois " au nouveau président pour faire ses preuves. Un de ses proches a précisé que son chef passera dans l'opposition dès que M. Maskhadov se rendra coupable d'un compromis " dommageable à l'indépendance tchétchène, tel que la signature d'un traité fédéral avec Moscou ". Si l'on se souvient que M. Bassaev fut l'auteur de la spectaculaire prise d'otages de Boudiennovsk, baptisée ici " acte de diversion ", qui avait forcé Moscou à négocier en juillet 1995, sa menace peut être prise au sérieux. Tout cela place M. Maskhadov dans la situation de Yasser Arafat confronté au Hamas. Le parallèle s'impose aussi quand on sait que, n'ayant trouvé aucun soutien auprès des Occidentaux, les Tchétchènes en furent réduits à accepter le seul financement qui s'offrait à eux, celui d'Etats ou d'organisations islamistes. Ils durent aussi admettre la présence à leurs côtés des quelques professionnels du " djihad " antirusse qui filmait le résultat de leurs embuscades meurtrières pour fournir des preuves de leur efficacité à leurs sponsors étrangers. Certains d'entre eux resteraient les protégés de M. Bassaev. " Mais aux dernières nouvelles, ils envisagent de poursuivre leur djihad au Tadjikistan : nous leur dirons mille merci et au revoir ", confie avec soulagement un partisan de M. Maskhadov. L'entourage de ce dernier n'est cependant pas uniforme : certains résisteraient mal à la tentation offerte par ces canaux de financement selon un scénario qu'a aussi connu, en son temps, la direction palestinienne. A l'instar du processus de paix au Proche-Orient, se trouvera-t-il ici des parrains capables de pousser le Kremlin à faire à temps des concessions à M. Maskhadov pour le renforcer face aux courants extrémistes ? Aide extérieure Le débat est manifestement engagé à Moscou. Mais la crise de succession qui s'y déchaîne va embrouiller l'issue et les difficultés qui attendent M. Maskhadov sont gigantesques. Il doit trouver rapidement, pour ne pas trahir l'espoir mis en lui, des moyens de relancer la machine économique du pays, totalement détruite par l'armée russe. Mais les chances sont minimes qu'il obtienne des réparations financières du Kremlin sans céder au chantage politique qui ne pourra manquer de les accompagner. M. Maskhadov a pourtant promis, mardi, de s'y employer. Saura-t-il mettre à profit, pour relever ce défi de la paix, les qualités dont il avait fait preuve durant la guerre ? Né en 1951 en déportation au Kazakhstan, Aslan Maskhadov fut diplômé en 1981 de l'académie d'artillerie Kalinine de Leningrad, avant de servir en Hongrie puis en Lituanie, comme commandant de division. Il démissionna de l'armée russe en décembre 1992 pour servir dans l'armée tchétchène en gestation. Le succès de l'opération finale, qui permit aux Tchétchènes de reprendre Grozny, lui revient. Doté de nerfs d'acier, il affirme ne pas tenir rigueur à Bassaev, son " frère d'armes ", des vives critiques électorales que ce dernier a porté contre lui ou plutôt contre " certains voleurs de son entourage ". M. Bassaev exige le renvoi de ces derniers avant d'envisager de travailler avec le nouveau président. Une telle collaboration est souhaitée par la population et serait un gage de stabilité indispensable au lancement de la reconstruction. Sans aide extérieure, la tâche est en tout cas insurmontable alors que de son succès dépend la stabilité dans une zone cruciale de l'arc de crise qui borde l'Europe. SOPHIE SHIHAB Le Monde du 30 janvier 1997

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