Devoir de Philosophie

Article de presse: Assad, le Bismarck du Proche-Orient

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

10 février 1985 - Hafez El Assad-le protecteur des lions, en arabe-a deux passions : la Syrie, à laquelle il souhaite rendre le lustre qu'elle eut au temps de l'empire omeyyade, et l'Etat qu'il veut fort, stable et durable. Né en 1930 (1928 selon certaines sources) dans une famille paysanne de Kardaha, village de montagne proche de Lattaquié, il appartient à une famille de notables qui l'a inscrit, petit, à l'école française. Dans ce pays qui compte une vingtaine de communautés ethniques et religieuses mais où les sunnites sont majoritaires à 70 %, il fait partie de la secte des noçayris ou alaouites (10 % de la population, qui est de l'ordre de 10 millions d'habitants), la plus pauvre et la plus méprisée du pays parce qu'elle se situe à la lisière de l'islam. Contrairement aux enfants des bourgeois de Damas et d'Alep, qui faisaient des études de médecine, de droit ou d'ingénieur, les alaouites qui voulaient faire carrière n'avaient d'autre choix que d'entrer dans l'armée syrienne encadrée et commandée par des officiers français. C'est la filière que suivra le jeune Hafez après avoir adhéré à seize ans au Baas, Parti de la renaissance arabe socialiste, fondé en 1940 par le chrétien Michel Aflak et le musulman Salah Bitar. Lorsqu'il sort de l'académie militaire de Homs en 1955, il a en poche le brevet de pilote de guerre qui lui vaudra de suivre un stage en URSS, où il apprend le russe. Envoyé au Caire en 1958 au début de la République arabe unie, laquelle a scellé la fusion de l'Egypte et de la Syrie, il forme un comité militaire baasiste qui joue un rôle décisif quand le Baas s'empare du pouvoir à Damas le 8 mars 1963. Promu général d'aviation puis commandant en chef de l'armée de l'air, il devient, à trente-six ans, ministre de la défense. Chef de l'aile militaire du Baas, il va écarter l'aile civile au pouvoir, devenue très impopulaire, selon une tactique qui lui est chère : grignoter les positions de l'adversaire jusqu'au moment où, l'ayant suffisamment affaibli, il peut lui imposer sa volonté. Lorsqu'il s'empare du pouvoir en 1970, il est accueilli en libérateur. Marié, père de cinq enfants (quatre garçons et une fille), son destin se confond dès lors avec l'histoire de la Syrie, à laquelle il apporte la stabilité. Ce n'est pas négligeable dans cette " république des colonels " qui détenait le record des coups d'Etat : onze présidents depuis l'accession à l'indépendance, le 30 avril 1946. Sur le plan intérieur, il demeure un bâtisseur : il a donné son nom au lac de retenue du grand barrage de Tabqa sur l'Euphrate, symbole du développement agricole et industriel, même si ce développement comporte des ombres. Une série de mesures détendent le climat : abolition de la loi martiale, plus grande liberté pour la presse, libéralisation du commerce extérieur, amnistie pour les exilés politiques. Pour élargir la base du régime, il associe au gouvernement les communistes, les nassériens et des socialistes. Mais cette tentative de démocratisation ne désarme pas l'hostilité des activistes sunnites. Le régime se durcit à partir de 1975-1976, quand commence la guerre du Liban. L'agitation fondamentaliste devient chronique et atteint son point culminant à Hama en avril 1982. L'armée intervient alors brutalement, faisant quelque 10 000 morts... En politique étrangère, Assad a toujours aspiré à être le Saladin des temps modernes, l'unificateur des Arabes ou, tout au moins, le fédérateur de la région et le restaurateur de la Grande Syrie, groupant autour de Damas le Liban, la Jordanie et le futur Etat palestinien. Avec une obstination qui n'a cessé de surprendre, il a fait front face aux ambitions de ses voisins. D'abord son " frère ennemi " baasiste, l'Irakien Saddam Hussein, désireux, lui, d'être le nouvel Haroun Al Rachid, le raïs du Croissant fertile, dont le centre serait Bagdad; dès lors, il n'a pas hésité à s'allier à Khomeiny dans la guerre qui l'oppose à l'Irak depuis 1980. Ensuite Yasser Arafat, qui refusait l'hégémonie syrienne, estimant que l'OLP était le levain révolutionnaire de la région. Puis le roi Hussein de Jordanie, à la fois allié à Saddam Hussein et aux Frères musulmans syriens! Enfin, surtout faudrait-il dire, Israël, qui, pour conserver sa suprématie cherchait à faire éclater le Proche-Orient en petits Etats ethniques et confessionnels, en commençant par le maillon le plus faible : le Liban, ce Liban dont la Syrie est malade depuis qu'il s'est détaché d'elle avec l'aide de la France. Face aux multiples périls qui l'assaillaient, Hafez El Assad n'a pas hésité, sinon personnellement, du moins à travers les services dirigés par son frère Rifaat, à recourir au terrorisme d'Etat. A maintes reprises, on a cru sa chute prochaine. C'était sans compter avec la pugnacité et l'habileté de l'homme qui a su se rendre indispensable et s'imposer à tous. Pour l'URSS il est un précieux allié, pour les Etats-Unis un partenaire difficile mais réaliste pour Israël un ennemi déterminé mais cyniquement pragmatique pour les Arabes le meilleur bouclier face à l'Etat hébreu pour les opposants syriens laïques et modernistes un solide barrage devant la vague intégriste pour les Frères musulmans syriens un implacable tyran protégé par son alliance avec l'Iran khomeiniste; pour la France un partenaire obligé dans les négociations secrètes pour la libération des otages aux mains du Djihad islamique... PAUL BALTA Juillet 1986

Liens utiles