Article de presse: Aung San Suu Kyi, la recluse de Rangoun
Publié le 22/02/2012
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rendre à Oslo, en novembre 1991, pour recevoir le prix Nobel de la paix ne représente pas l'épreuve la plus dure pour elle : leseul fait de l'avoir reçu représente un encouragement sans égal, alors que l'armée occupe les monastères et réduit le pays ausilence en imposant un " état de terreur ", pour reprendre l'expression employée à l'époque par Amnesty International.
Le plusgrave est qu'elle ne peut pas voir grandir ses deux fils.
Quand elle a été assignée à résidence en 1989, Alexander avait seize anset Kim douze ans.
Les généraux, qui souhaitent la voir partir, l'autoriseraient bien à s'exiler, à condition qu'elle s'engage à renoncer à la politique.En retour, elle pose quatre conditions à son départ : la formation d'un gouvernement civil la possibilité d'expliquer librement lesraisons de son départ pendant cinq minutes à la télévision l'autorisation de se rendre à pied de son domicile à l'aéroport enfin, lalibération des détenus politiques.
Elle donne ainsi raison au comité Nobel, qui a salué sa lutte comme " l'un des exemples les plusextraordinaires de courage civique en Asie ces dernières décennies ".
Cependant, l'attribution du prix renforce nettement lapression sur les généraux.
Aung San Suu Kyi est en " bonne santé ", finissent-ils par déclarer à Raul Manglapus, début décembre1991 à Rangoun, sans pour autant autoriser le chef de la diplomatie philippine à rencontrer leur prisonnière.
Une semaine plustard, à la suite de deux jours de manifestations d'étudiants dans la capitale, universités et collèges sont fermés sur l'ensemble duterritoire.
Au même moment, un vice-ministre japonais, venu réclamer l'élargissement de la prisonnière, repart sans l'avoirrencontrée et les mains vides.
Le Slorc a néanmoins senti que sa position deviendrait vite intenable, d'autant que ses voisins les six Etats qui formentl'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN : Bruneï, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande) ont,sous la pression de Bangkok, assoupli leur attitude en proposant un " engagement constructif " à son égard.
Le 2 mai 1992, Mm Suu Kyi est enfin autorisée, pour la première fois en deux ans et demi, à recevoir son époux et leurs deuxenfants.
Des prisonniers politiques sont libérés.
En résidence surveillée depuis 1989, U Nu, premier ministre de 1947 jusqu'aucoup d'Etat de Ne Win en 1962, retrouve la liberté à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.
De la poudre aux yeux, estiment alors de nombreux observateurs, en avançant quelques solides arguments : recrutement forcéde travailleurs, absence totale de libertés, tortures dans les prisons...
A une nuance près : la junte doit apprendre à compter avecsa prisonnière, qui, dans le discours que son fils aîné a lu à Oslo, a réitéré sa confiance en " la capacité des gens de son pays " àrétablir les droits fondamentaux en Birmanie, " une fois que la réconciliation nationale y aura été réalisée ".
Les visites de sa familledeviendront, par la suite, plus régulières.
Le 14 février 1994, autre première : elle reçoit un membre de la Chambre américainedes représentants, Bill Richardson, auquel elle répète que la " seule réponse " au problème birman est " le dialogue avec lavolonté de se réconcilier ".
Dialogue, réconciliation...
C'est le thème favori de cette championne de la non-violence.
Elle sait que,depuis 1991-1992, la Chine a rééquipé une armée birmane qui a doublé ses effectifs.
Pendant sa détention, Rangoun est devenule client de Pékin.
En 1994, le Slorc, qui amorce alors une ouverture économique du pays et établit quelques liens avec sesvoisins, se sent plus solide que cinq ans auparavant.
En juillet et pour la première fois, son ministre des affaires étrangères a étéinvité à assister, à Bangkok, à la conférence annuelle de ses homologues de l'ASEAN.
Mme Suu Kyi a beau considérer, non sans raison, comme une " farce " la réunion d'une convention nationale chargée, avanttout, d'habiller le pouvoir des militaires, elle sait que toute négociation, pour avoir une chance d'aboutir, doit avoir pour ultimeobjectif une intégration institutionnelle des forces armées dans la vie politique.
Le rapport de forces est, de façon trop flagrante,favorable à des généraux qui, après trente années de dictature militaire pratiquement ininterrompue, ont trouvé dans la Chine unpoint d'appui leur permettant de sortir un peu de leur isolement.
En dépit de leur aversion pour la junte, l'Union européenne et lesEtats-Unis ont repris langue avec elle.
Mme Suu Kyi doit en tenir compte et, de toute façon ce qui réduit encore davantage samarge de manoeuvre , elle entend éviter tout affrontement, toute violence.
Quel étrange destin que le sien.
Elle a fait des études à Rangoun et à New-Delhi, où sa mère a représenté la Birmanie, avantd'obtenir une bourse pour l'université d'Oxford, où elle a étudié la politique, l'économie et la philosophie.
Après une affectation ausecrétariat de l'ONU à New York, elle a étudié à l'université de Kyodo.
Elle préparait une thèse de doctorat à l'Ecole des étudesorientales et africaines de Londres quand elle a dû se précipiter à Rangoun, en avril 1988, au chevet d'une mère mourante.
Sonretour a coïncidé avec les manifestations contre le régime Ne Win.
" La crise actuelle, a-t-elle déclaré à l'époque, relève de laresponsabilité de l'ensemble de la nation.
En tant que fille de mon père, je ne peux pas rester indifférente à ce qui se passe.
Cettecrise nationale pourrait, en fait, être qualifiée de seconde lutte pour l'indépendance.
"
ON la retrouve vite derrière un micro.
Elle devient un point de ralliement, en particulier pour les étudiants, notammentlorsqu'elle lance une campagne nationale, le 25 août 1988, pour tenter d'imposer un régime démocratique.
Même après le retourdes militaires au pouvoir, elle est la première à s'en prendre, nommément, à Ne Win, le dictateur qui a mené, en un quart de sièclede " voie birmane vers le socialisme ", un pays riche au bord de la ruine.
Elle est devenue une source d'inspiration.
Cinq ans plus.
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