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Article de presse: Bataille pour la liberté de l'esprit en URSS

Publié le 22/02/2012

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esprit
21 octobre 1962 - La mort de Staline-et la mise en sommeil de l'appareil policier-incita les plus prudents des écrivains et artistes soviétiques à sortir de leur réserve. Chostakovitch, mis à mal quelques années plus tôt par Jdanov, prit sa revanche en écrivant qu'il ne fallait pas craindre les recherches hardies. De son côté le critique Pomerantsev affirmait dans Novy Mir, que la sincérité était l'élément essentiel du talent. Il blâmait ceux qui avaient tout sacrifié à l'esprit de parti. Un vieux routier, Ilia Ehrenbourg, réhabilitait dans un court récit l'art moderne, attaquait les peintres officiels, riches, honorés mais sans talent et s'apitoyait sur ceux qui avaient refusé de composer avec les directives du parti. Ehrenbourg eut le flair de déceler le changement et le titre qu'il donna à son récit servit à qualifier cette période post-stalinienne : le Dégel. Cela n'alla pas sans difficultés. Dès le mois de mai 1954, la Pravda partit en guerre contre les auteurs, qui, dans la revue Novy Mir, avaient plaidé pour la sincérité. Quelques mois plus tard le rédacteur en chef, Tvardovski, fut destitué et remplacé par Simonov. Il fallut attendre 1956 pour assister à la première offensive sérieuse de ceux qu'on appelle parfois les " libéraux ". Après les révélations du rapport secret, les écrivains furent obligés de s'interroger. Pourquoi avaient-ils célébré ce " culte de la personnalité " ? Pour certains, le choc fut terrible : trois mois après le congrès, Fadeev se suicidait. En même temps, un autre auteur encore inconnu, Vladimir Doudintsev, faisait sensation en publiant, toujours dans Novy Mir, son roman L'homme ne vit pas seulement de pain. Le livre raconte l'histoire du savant Lopatkine, qui a inventé une machine mais qui se heurte à un directeur d'usine, à un académicien, à l'entourage d'un ministre et qui est condamné aux travaux forcés. Ce livre, plutôt médiocre d'un point de vue esthétique, restera au moins dans l'histoire de la société, car pour la première fois un auteur soviétique dénonçait le régime bureaucratique. On trouverait bien d'autres manifestations de ce dégel, par exemple dans l'almanach Moscou littéraire. Ceux de Pogodine, qui déniait au parti le droit de s'occuper de la vie personnelle des militants. De Yachine, qui mettait en scène des kolkhoziens devenant des automates dès qu'ils s'assemblaient en comité de parti. Du poète Rojdevstvenski évoquant " un être terrible (évidemment Staline) qui soumettait les hommes à son pouvoir sans partage ". Les révoltes de Pologne et de Hongrie amenèrent un retour de bâton. Doudintsev fut mis au banc des accusés lors d'une réunion de l'Union des écrivains de Moscou le 22 octobre 1956. Une campagne fut lancée contre les rédacteurs de Moscou littéraire et Khrouchtchev se mêla de l'affaire en recevant, le 19 mai 1957, des représentants de l'Union des écrivains. Un Khrouchtchev déchaîné qui menaçait des pires châtiments les récalcitrants, regrettant que, en Hongrie, Rakosi et Gerö n'aient pas fusillé quelques écrivains agités. Pourtant cette campagne antilibérale tourna court. Khrouchtchev n'était pas homme à jouer le rôle du censeur tatillon. Il n'était d'ailleurs pas suffisamment au fait des querelles esthétiques pour mener jusqu'au bout les opérations de nettoyage. Il ne s'intéressait pas assez aux questions littéraires et artistiques pour s'en mêler. Mais, en ce printemps 1957, les conservateurs marquèrent des points avec la création de l'Union des écrivains de la République russe, où ils faisaient la loi, et la publication du roman de Kotchetov, un des chefs de file de la tendance dogmatique et rédacteur en chef de la Literatournaya Gazeta : les Frères Erchov, un roman mais aussi un pamphlet dirigé contre les libéraux. Pourtant, une certaine coexistence s'établissait entre ces grands courants artistiques. Le calme paraissait rétabli lorsque l'affaire Pasternak éclata. Depuis le début du stalinisme, Pasternak renonçait à publier des oeuvres originales. Il vivait de traductions. Après le XXe congrès, il put croire venu le moment de sortir de sa réserve. Il avait dans ses tiroirs le Docteur Jivago, un roman ni anticommuniste ni procommuniste. Simplement, le héros y déclarait que " ces petites affaires du monde ne l'intéressaient pas ". Deux revues avaient publié quelques extraits du manuscrit. Cependant, les éditeurs officiels en URSS ne retenaient pas son livre. L'écrivain confia alors les droits de traduction à un éditeur italien qui passait pour un ami de l'URSS. Le roman fut lu dans le monde entier... sauf dans la patrie de l'auteur. L'affaire rebondit en octobre 1958, lorsque l'Académie royale de Suède décerna le prix Nobel à Pasternak. Ce choix provoqua à Moscou une campagne d'une extraordinaire violence. Pasternak fut abreuvé d'injures, privé du titre d'écrivain soviétique. Le pouvoir fit, à cette occasion, rédiger une circulaire interdisant à tous les auteurs d'envoyer à l'étranger une oeuvre avant qu'elle n'ait été publiée en URSS. Il ne prit pas toutefois contre Pasternak les mesures extrêmes que l'on pouvait redouter-emprisonnement ou bannissement. Pasternak mourut en 1960. Les libéraux ne s'avouèrent pas vaincus. D'ailleurs Tvardovski avait repris la direction de Novy Mir et, au IIIe congrès de l'Union des écrivains (18-23 mai 1959), Khrouchtchev vint prononcer un discours assez détendu. Il s'en prit à la fois à ceux qui laquaient la réalité et à ceux qui la noircissaient mais il invita les autorités à ne pas se montrer trop sévères à l'égard de ceux qui s'étaient trompés de bonne foi. C'est à cette époque qu'apparaissent de jeunes auteurs au ton nouveau : Tendriakov, Aksionov, Kazakhov ou Evtouchenko, Voznessenski, Akkmadouline. Des jeunes encouragés par un homme dont le nom revient sans cesse pendant cette période Tvardovski. Une journee presque heureuse C'est lui encore qui est à l'origine de l'événement majeur : la publication dans sa revue d'un récit de 67 pages signé par un auteur d'un certain âge mais encore tout à fait inconnu, Une journée d'Ivan Denissovitch. La journée sans importance, " presque heureuse ", du paysan Choukhov, arrêté en février 1942 parce que, son unité encerclée par les Allemands, il avait traversé les lignes pour rejoindre l'armée soviétique... Et il avait été condamné pour espionnage sans jamais comprendre ce qui lui arrivait. Avant de publier cette oeuvre extraordinaire, le premier récit véritable en URSS sur les camps de concentration, Tvardovski avait demandé et obtenu le feu vert de Khrouchtchev. Pourtant, quelques jours après la publication du récit de Soljenitsyne, le même Khrouchtchev, habilement conduit par les conservateurs, visitait dans la salle du Manège à Moscou l'exposition des artistes soviétiques. Il fut amené dans la salle où étaient présentées les oeuvres des non-figuratifs. Et il réagit avec violence contre les novateurs. Alors des écrivains de grand renom, des savants, s'inquiétèrent publiquement et demandèrent au premier secrétaire de ne pas user de méthodes " étrangères à l'esprit de notre temps ". Mais une nouvelle campagne orchestrée par Ilyitchev, secrétaire du comité central chargé de l'idéologie, était lancée contre le modernisme et le formalisme. Argument suprême des conservateurs qui inspiraient la campagne les novateurs rejettent l'autorité du parti. Khrouchtchev était forcément sensible à un tel argument. Et il se crut obligé de prendre position, ce qu'il fit le 8 mars 1963. Etonnant discours que celui-là. Parfois Khrouchtchev y reconnaît ses limites. Il avoue par exemple qu'il a des goûts plutôt rustiques. Il aime entendre et peut être chanter l'Internationale ou des chansons de troupe. Mais, dit-il, " je ne prétends pas que ma perception de la musique soit la même pour tous ". Ce qui ne l'empêche pas de juger et, ce qui est plus grave, de condamner. Dans ce même discours, il est tour à tour paternel, peiné et violent contre ces esthètes " bons à rien qui bouffent le pain du peuple ". Il faut donc remettre au pas tous ces gens qui composent des oeuvres que l'homme normal-Khrouchtchev-ne comprend pas. S'agissait-il vraiment de querelles esthétiques ? Cette crise était politique. Le premier secrétaire encourageait les libéraux, notamment après le XXe congrès, lorsqu'il avait besoin de leur concours. Au printemps de 1963, il devait les condamner parce qu'il ne contrôlait plus le mouvement, de même qu'en 1956 la critique du culte de la personnalité lui avait échappé. L'affaire revint sur le tapis lors de la réunion du comité central du 15 juin 1963 consacrée aux questions idéologiques. Khrouchtchev cette fois encore s'en prit aux libéraux mais il baissa le ton parce qu'il avait d'autres soucis, avec les Chinois notamment. L'offensive antilibérale tourna court. Ehrenbourg mis en cause peu auparavant poursuivit la publication de ses mémoires. En août, Tvardovski alla même à la datcha de Khrouchtchev donner lecture de son dernier poème. Au moment de la chute de M. " K ", tous les écrivains et artistes contestés par les conservateurs étaient en place et revendiquaient le droit d'exercer convenablement leur métier. Quel fut donc le sens de la politique culturelle de Khrouchtchev ? Peut-on clarifier ces conflits de tendances ? Les victoires des novateurs ont toutes été précaires mais, en fin de compte, ce sont eux et eux seuls qui ont marqué des points. Par goût esthétique, le premier secrétaire était avec les conservateurs, mais il avait besoin des modernes pour lutter contre ses adversaires ou pour faire sa propagande à l'étranger. Il désavoua avec brutalité ceux qui allaient plus loin que le chef d'orchestre, mais il ne prit aucune décision, et cette heureuse aboulie favorisa ceux qui avaient quelque talent. De crise en crise, la zone de liberté des auteurs s'est élargie pendant ces années. Les termes libéraux, conservateurs, modernistes, etc., sont commodes mais d'une valeur approximative quand il s'agit de l'URSS et surtout de la politique de ses principaux dirigeants. Staline voulait imposer sa ligne à lui. Ecrivains, artistes, ne pouvaient être que les interprètes, les illustrateurs, de sa pensée. A l'époque khrouchtchévienne, la situation était plus complexe. Lors des grandes crises, il s'agissait naturellement de replacer les intellectuels sous contrôle. Mais, fait nouveau, les hommes qui se disputaient le pouvoir ont essayé d'utiliser dans leur propre bataille les querelles d'écrivains... La campagne antimoderniste de la fin de 1962 n'a-t-elle pas été organisée par Kozlov, alors second secrétaire du PC, qui cherchait à affaiblir, voire à écarter de la scène, le premier secrétaire ? M. " K " aura alors été entraîné à manoeuvrer maladroitement sur un terrain choisi par ses adversaires et rivaux. Et en s'aventurant ainsi, n'était-il pas condamné à perdre des sympathies qui, même dans un système à la soviétique, ne sont pas négligeables pour se hisser au pouvoir ou pour s'y maintenir. Les artistes qui, jusqu'en 1953, étaient les esclaves du dictateur, ont donc acquis pendant la période khrouchtchévienne une certaine liberté de manoeuvre. Mais pour cela ils ont dû, consciemment ou inconsciemment, se faire les instruments des hommes qui se disputaient le pouvoir. BERNARD FERON 1965
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« Les libéraux ne s'avouèrent pas vaincus.

D'ailleurs Tvardovski avait repris la direction de Novy Mir et, au III e congrès de l'Union des écrivains (18-23 mai 1959), Khrouchtchev vint prononcer un discours assez détendu.

Il s'en prit à la fois à ceux quilaquaient la réalité et à ceux qui la noircissaient mais il invita les autorités à ne pas se montrer trop sévères à l'égard de ceux quis'étaient trompés de bonne foi.

C'est à cette époque qu'apparaissent de jeunes auteurs au ton nouveau : Tendriakov, Aksionov,Kazakhov ou Evtouchenko, Voznessenski, Akkmadouline.

Des jeunes encouragés par un homme dont le nom revient sans cessependant cette période Tvardovski. Une journee presque heureuse C'est lui encore qui est à l'origine de l'événement majeur : la publication dans sa revue d'un récit de 67 pages signé par unauteur d'un certain âge mais encore tout à fait inconnu, Une journée d'Ivan Denissovitch.

La journée sans importance, " presqueheureuse ", du paysan Choukhov, arrêté en février 1942 parce que, son unité encerclée par les Allemands, il avait traversé leslignes pour rejoindre l'armée soviétique...

Et il avait été condamné pour espionnage sans jamais comprendre ce qui lui arrivait.Avant de publier cette oeuvre extraordinaire, le premier récit véritable en URSS sur les camps de concentration, Tvardovski avaitdemandé et obtenu le feu vert de Khrouchtchev. Pourtant, quelques jours après la publication du récit de Soljenitsyne, le même Khrouchtchev, habilement conduit par lesconservateurs, visitait dans la salle du Manège à Moscou l'exposition des artistes soviétiques.

Il fut amené dans la salle où étaientprésentées les oeuvres des non-figuratifs.

Et il réagit avec violence contre les novateurs.

Alors des écrivains de grand renom, dessavants, s'inquiétèrent publiquement et demandèrent au premier secrétaire de ne pas user de méthodes " étrangères à l'esprit denotre temps ".

Mais une nouvelle campagne orchestrée par Ilyitchev, secrétaire du comité central chargé de l'idéologie, étaitlancée contre le modernisme et le formalisme.

Argument suprême des conservateurs qui inspiraient la campagne les novateursrejettent l'autorité du parti.

Khrouchtchev était forcément sensible à un tel argument.

Et il se crut obligé de prendre position, cequ'il fit le 8 mars 1963. Etonnant discours que celui-là.

Parfois Khrouchtchev y reconnaît ses limites.

Il avoue par exemple qu'il a des goûts plutôtrustiques.

Il aime entendre et peut être chanter l'Internationale ou des chansons de troupe.

Mais, dit-il, " je ne prétends pas quema perception de la musique soit la même pour tous ".

Ce qui ne l'empêche pas de juger et, ce qui est plus grave, de condamner.Dans ce même discours, il est tour à tour paternel, peiné et violent contre ces esthètes " bons à rien qui bouffent le pain dupeuple ".

Il faut donc remettre au pas tous ces gens qui composent des oeuvres que l'homme normal-Khrouchtchev-ne comprendpas. S'agissait-il vraiment de querelles esthétiques ? Cette crise était politique.

Le premier secrétaire encourageait les libéraux,notamment après le XX e congrès, lorsqu'il avait besoin de leur concours.

Au printemps de 1963, il devait les condamner parce qu'il ne contrôlait plus le mouvement, de même qu'en 1956 la critique du culte de la personnalité lui avait échappé. L'affaire revint sur le tapis lors de la réunion du comité central du 15 juin 1963 consacrée aux questions idéologiques.Khrouchtchev cette fois encore s'en prit aux libéraux mais il baissa le ton parce qu'il avait d'autres soucis, avec les Chinoisnotamment.

L'offensive antilibérale tourna court.

Ehrenbourg mis en cause peu auparavant poursuivit la publication de sesmémoires.

En août, Tvardovski alla même à la datcha de Khrouchtchev donner lecture de son dernier poème. Au moment de la chute de M.

" K ", tous les écrivains et artistes contestés par les conservateurs étaient en place etrevendiquaient le droit d'exercer convenablement leur métier. Quel fut donc le sens de la politique culturelle de Khrouchtchev ? Peut-on clarifier ces conflits de tendances ? Les victoires des novateurs ont toutes été précaires mais, en fin de compte, ce sonteux et eux seuls qui ont marqué des points.

Par goût esthétique, le premier secrétaire était avec les conservateurs, mais il avaitbesoin des modernes pour lutter contre ses adversaires ou pour faire sa propagande à l'étranger.

Il désavoua avec brutalité ceuxqui allaient plus loin que le chef d'orchestre, mais il ne prit aucune décision, et cette heureuse aboulie favorisa ceux qui avaientquelque talent.

De crise en crise, la zone de liberté des auteurs s'est élargie pendant ces années. Les termes libéraux, conservateurs, modernistes, etc., sont commodes mais d'une valeur approximative quand il s'agit del'URSS et surtout de la politique de ses principaux dirigeants.

Staline voulait imposer sa ligne à lui.

Ecrivains, artistes, nepouvaient être que les interprètes, les illustrateurs, de sa pensée. A l'époque khrouchtchévienne, la situation était plus complexe.

Lors des grandes crises, il s'agissait naturellement de replacerles intellectuels sous contrôle.

Mais, fait nouveau, les hommes qui se disputaient le pouvoir ont essayé d'utiliser dans leur propre. »

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