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Article de presse: Bill Clinton, aussi complexe que l'Amérique

Publié le 22/02/2012

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5 novembre 1996 - Justifiant plus que jamais son surnom de " Comeback Kid " (le rescapé), Bill Clinton revient pourtant de très loin. A l'automne 1994, sa présidence était à la dérive, sa crédibilité au plus bas, ses rapports avec la presse exécrables. Les candidats démocrates aux élections législatives évitaient de s'afficher avec lui. Le 8 novembre, deux ans à peine après son arrivée à la Maison Blanche, l'électorat lui infligeait un terrible désaveu, envoyant massivement au Congrès les troupes républicaines de Newt Gingrich, baptisé pour l'occasion " leader de la révolution conservatrice ". Bill et Hillary Clinton accusèrent très mal le coup, que personne, à la Maison Blanche, n'avait vu venir. Le choc fut pourtant salutaire. Contraint à la cohabitation, Bill Clinton met quelques mois à se ressaisir. Au printemps 1995, après avoir appelé à la rescousse Dick Morris, conseiller qui l'a déjà aidé, en 1982, à reconquérir le poste de gouverneur en Arkansas, il arrête sa stratégie : recentrage, retour à l'image de " nouveau démocrate " sur laquelle il a fait campagne en 1992 et dont il s'était écarté depuis son arrivée au pouvoir. L'Amérique, pense-t-il, a soif de modération, pas du grand coup de barre à droite que veut lui imposer Newt Gingrich elle a aussi besoin d'un leader. Il faut effacer l'idée selon laquelle " Bill Clinton a un discours de droite mais gouverne à gauche ". Il faut effacer l'impression chaotique de la première période, marquée par des volte-face sur les homosexuels dans l'armée, sur les nominations de hauts responsables, sur la promesse, très vite abandonnée, d'une baisse des impôts pour les classes moyennes et par la débâcle de la réforme du système de santé. Le 7 avril 1995, dans un discours prononcé à Dallas, il expose les termes de sa contre- offensive : brandissant l'arme du veto présidentiel, il promet de résister pied à pied à la législation républicaine chaque fois qu'elle portera atteinte à l'éducation, à l'environnement, à la santé. Contraint et forcé, le président a révisé ses ambitions à la baisse : s'il y a un message qu'il a retenu du camouflet de novembre 1994, c'est le rejet de Washington et de la bureaucratie fédérale par l'électorat. Renonçant aux énormes chantiers de la santé et de l'aide sociale, il devient donc le gardien de la stabilité, celui qui cherche à protéger ses compatriotes des excès de la " révolution conservatrice " . Bill Clinton adopte un profil plus paternel, un rôle que ses talents d'orateur, sa chaleur communicative et son génie du contact lui permettent d'exercer à merveille lors de tragédies nationales comme celles de l'attentat d'Oklahoma City. Il se fait le champion des valeurs et de la sécurité, des thèmes qu'il vole sans vergogne aux républicains, en y ajoutant la compassion. Pour beaucoup de démocrates, il manifeste enfin l'instinct et la finesse politiques qui l'avaient fait élire en 1992. De plus en plus, il va battre les républicains sur leur propre terrain. Tout en endossant leur promesse de revenir à l'équilibre budgétaire en sept ans, il réussit à creuser l'écart à l'occasion du débat sur les moyens pour y parvenir. La différence entre démocrates et républicains est simple : les premiers sont les garants du bien-être du plus grand nombre, les seconds sont les champions des coupes sévères. De technique, le débat sur le budget devient un débat sur les valeurs. M. Clinton le remporte haut la main et commence son ascension dans les sondages. Au bout du compte, Newt Gingrich est peut-être la meilleure chose qui soit arrivée à Bill Clinton. La métamorphose, pourtant, n'est pas aussi manichéenne qu'on pourrait le croire : le président reste un personnage complexe, qui échappe aux classifications. Ne serait-il, finalement, qu'un homme comme les autres ? Enfant pauvre d'une famille brisée de l'Arkansas, arrivé à la Maison Blanche en surmontant obstacle après obstacle, le président n'a pas toutes les réponses à un monde qui change et ses contradictions reflètent les interrogations de sa génération. Mais Bill Clinton et les Américains ont fini par se comprendre. SYLVIE KAUFFMANN Le Monde du 30 août 1996

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