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Article de presse: Contenir la subversion en Amérique latine

Publié le 17/01/2022

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25 octobre 1983 - Il y a tout lieu de penser que la politique " volontariste " de M. Ronald Reagan envers l'Amérique centrale va être continuée. D'une part, le président a fait de cette région une sorte de test de son inflexibilité envers les " ennemis de l'Amérique ", ou réputés tels : on l'a bien vu lors de l'invasion de la Grenade en 1983. On ne peut d'autre part-autre gage de continuité-oublier qu'il a davantage en ce domaine (avec son style propre, il est vrai) maintenu qu'il n'a innové : c'est l'humble et doux M. Carter, rapidement revenu de son " égarement " de 1979 envers les sandinistes, et non ce " boute-feu " de M. Reagan, qui a été le premier artisan du durcissement américain! Dès 1980, le Honduras a, discrètement, commencé à recevoir des crédits importants en vue de devenir le principal point d'appui de l'effort militaire de Washington contre le péril révolutionnaire en Amérique centrale. Et c'est le 14 janvier 1981, quelques jours avant la prestation de serment de M. Reagan, que fut décidée la reprise de l'aide américaine au Salvador. Cette résolution répondait à l'annonce, quatre jours plus tôt, par le Front Farabundo-Marti de libération nationale (FMLN) du lancement de son " offensive finale " contre la junte de San-Salvador. Dans les quelques semaines qui ont suivi son arrivée à la Maison Blanche, M. Reagan avait tenté de lancer, à propos du Salvador, une opération de grande envergure, visant en réalité le Nicaragua révolutionnaire et, par-delà-plus par fidélité à ses prises de position électorales qu'en vue d'objectifs immédiats-Cuba elle-même. Il s'agissait de démontrer à la face du monde-en commençant par ces alliés européens coupables de " complaisances " envers les marxistes centre-américains-la réalité de l'aide des sandinistes (eux-mêmes assistés par La Havane, autrement dit par Moscou) aux guérilleros salvadoriens. Un Livre blanc avait été hâtivement réalisé. Affirmant plus qu'il ne prouvait, ce document n'avait reçu qu'un accueil poli de ce côté-ci de l'Atlantique. Au contraire, la déclaration franco-mexicaine d'août 1981, reconnaissant la qualité de belligérant au FMLN, ainsi que l'annonce, en janvier suivant, de la livraison par la France de matériel militaire au Nicaragua, devaient convaincre M. Reagan qu'il lui fallait renoncer à enrôler Paris-et, au-delà, l'Europe-dans sa croisade en Amérique centrale. Il n'en poursuivit pas moins l'effort de son prédécesseur avec une grande opiniâtreté. Tout l'automne de 1981 fut marqué par une grande tension dans la région, qui ne s'apaisa un peu qu'avec la rencontre " secrète ", à Mexico, début novembre, de M. Haig, alors secrétaire d'Etat, avec le numéro 3 cubain, M. Carlos Rafael Rodriguez. Y eut-il, ce jour-là, un " marchandage ", et lequel? Ou la Maison Blanche avait-elle surtout, durant cette phase, cherché à tester les réactions à une approche plus musclée du problème centre-américain? Toujours est-il que le discours officiel sortit " rodé " de cette première étape. On n'affirmait plus, à Washington, que l'affaire était uniquement un épisode de l'affrontement Est-Ouest : elle trouvait bel et bien son origine dans des dysfonctionnements sociaux graves et anciens des sociétés de l'isthme; cette situation était utilisée par le camp communiste pour subvertir l'hémisphère occidental. En foi de quoi, la réponse ne pouvait être uniquement, ni même principalement, militaire. Elle devait résider dans " les quatre D " : " défense ", " développement " et " démocratie " (on ajoutait : " dialogue " ). Le volet militaire était cependant prioritaire, faute de quoi le reste ne pourrait même pas être entrepris; le développement supposait une aide économique; la démocratie supposait des élections dans tous les pays à régime encore militaire. Cette politique fut effectivement mise en route. Défense : M. Reagan batailla ferme avec une Chambre des représentants à majorité démocrate pour obtenir une augmentation substantielle des crédits destinés au Salvador; la militarisation du Honduras fut accélérée; et le feu vert fut donné, début 1982, à l'offensive des contre-révolutionnaires nicaraguayens aidée, on le sut plus tard, par la CIA. Développement : le président lança, au début de 1982, son projet dit " Initiative pour le bassin caraïbe " (CBI). Ce " mini-plan Marshall " visait, en fait, à promouvoir ou à conforter le capitalisme-base de toute richesse-dans quelque vingt-cinq Etats centre-américains et antillais. Cuba, la Grenade et le Nicaragua ne se verraient évidemment pas accorder le bénéfice de ces facilités financières et commerciales. M. Reagan dut en rabattre, vis-à-vis du Congrès et des syndicats américains, par rapport à son projet initial, qui ne fut finalement accepté qu'en août 1983. Démocratie : des élections eurent lieu au Salvador (constituante en 1982, présidentielle en 1984), au Guatemala (constituante en 1984) et au Panama (générales en 1984). Aucune de ces consultations ne répondit, certes, tout à fait aux critères de la démocratie occidentale; à tout le moins, chacune représenta-t-elle un recul plus ou moins net de ce passé centre-américain caricaturalement livré aux centurions. Au milieu de l'été 1983, M. Reagan créa une commission bi-partisane, présidée par l'ancien secrétaire d'Etat, M. Henry Kissinger, et dont l'objectif était l'élaboration d'une politique à long terme envers l'Amérique centrale. En fait, cette politique était déjà non seulement élaborée, mais largement engagée! Il s'agissait donc, essentiellement, de la faire endosser par les démocrates. De fait, la " commission Kissinger ", après six mois de consultation et de travail acharné, accoucha, en janvier 1984, d'un rapport suggérant... une combinaison d'aide militaire et économique en vue d'aboutir à la démocratisation de l'Amérique centrale. Tout au plus l'audace résidait-elle dans le montant de l'aide suggérée (près de 8,4 milliards de dollars d'ici à 1990). Deux événements compliquèrent la tâche de M. Reagan : la guerre des Malouines, au printemps 1982, où Washington se porta aux côtés de Londres contre l'Argentine, et l'invasion de la Grenade en 1983. Dans les deux cas, en effet, un anti- " yanquisme " à fleur de peau se manifesta en Amérique latine, y compris de la part de gouvernements peu suspects d'hostilité à l'essentiel des thèses reaganiennes : les voisins du Sud, c'est un fait, n'aiment pas ouvertement la pax americana, même lorsqu'elle sert leurs intérêts. En revanche, l'échec de l'extrême droite, tant aux élections guatémaltèque que salvadorienne cette année, fut une bénédiction pour un gouvernement-républicain et conservateur-qui avait enfin compris qu'il n'y avait plus de salut pour les Etats-Unis dans la région si la vieille oligarchie d'esprit féodal ne lâchait pas prise face à de nouvelles couches plus modernes, sinon toujours progressistes. De ce point de vue, l'élection à la présidence du Salvador de M. Napoleon Duarte fut une aubaine pour M. Reagan. On le vit bien lorsque M. Duarte, lors d'une tournée aux Etats-Unis, sitôt après son élection, réussit à convaincre les démocrates de débloquer une importante rallonge à l'aide militaire au Salvador. A partir de ces prémisses, comment imaginer le deuxième mandat de M. Reagan pour ce qui touche à l'Amérique centrale? Beaucoup de facteurs sont en partie indépendants de la volonté de Washington. Les guérillas guatémaltèque et salvadorienne parviendront-elles à se maintenir dans un environnement international de moins en moins favorable? Le revirement nationaliste, en avril 1984, des forces armées honduriennes sera-t-il autre chose qu'un feu de paille? Les contre-révolutionnaires nicaraguayens atteindront-ils, sans la CIA. (1) ce niveau de crédibilité dans la lutte armée qu'ils n'ont jamais approché lorsqu'ils jouissaient de l'aide quasi officielle des services secrets américains? Le gouvernement de Managua saura-t-il, après les élections du 4 novembre, doser la fermeté militaire et la souplesse politique? Enfin, l'Europe se convertira-t-elle, sur ce point, au " reaganisme ", laissant dès lors bien démunis les Etats du groupe de Contadora (Mexique, Colombie, Venezuela, Panama) dans leur recherche d'une solution négociée aux problèmes de la région? Malgré de récents revers, une défaite sur le terrain de l'armée salvadorienne apparaît peu probable. La poursuite de l'aide américaine et le renforcement du poids de M. Duarte devraient, au contraire, conduire à une pause, voire à un reflux de la guérilla. Celle-ci s'est, le 15 octobre à La Palma, assise à la même table que le président, pratiquement à ses conditions. C'est évidemment au Nicaragua que tout se jouera. Managua, face à Washington, est, militairement, totalement isolé : M. Fidel Castro a exclu toute aide de Cuba à son allié après l'invasion de la Grenade. Mais un coup de force américain est-il à l'ordre du jour? Le président Reagan a proclamé, à la veille de sa réélection, qu'il n'en était pas question. Quoiqu'on tienne, à la Maison Blanche, les élections du 4 octobre pour " du toc ", on doit bien y voir que ce scrutin contribue à asseoir la légitimité du Front sandiniste. Une reprise de l'aide de la CIA aux " contras " ne sera pas aisée à justifier; sauf conduite grossière de M. Daniel Ortega et de ses amis, l'opinion internationale devrait, pour un certain temps au moins, redevenir plus favorable à Managua. Mais nul ne peut connaître les réactions de l'hôte de la Maison Blanche : on le vit, quelques heures après l'attentat meurtrier de Beyrouth contre les " marines ", lancer la force américaine à l'assaut de la Grenade. JEAN-PIERRE CLERC Le Monde du 9 novembre 1984

« démocratie occidentale; à tout le moins, chacune représenta-t-elle un recul plus ou moins net de ce passé centre-américaincaricaturalement livré aux centurions. Au milieu de l'été 1983, M.

Reagan créa une commission bi-partisane, présidée par l'ancien secrétaire d'Etat, M.

HenryKissinger, et dont l'objectif était l'élaboration d'une politique à long terme envers l'Amérique centrale.

En fait, cette politique étaitdéjà non seulement élaborée, mais largement engagée! Il s'agissait donc, essentiellement, de la faire endosser par les démocrates. De fait, la " commission Kissinger ", après six mois de consultation et de travail acharné, accoucha, en janvier 1984, d'unrapport suggérant...

une combinaison d'aide militaire et économique en vue d'aboutir à la démocratisation de l'Amérique centrale.Tout au plus l'audace résidait-elle dans le montant de l'aide suggérée (près de 8,4 milliards de dollars d'ici à 1990). Deux événements compliquèrent la tâche de M.

Reagan : la guerre des Malouines, au printemps 1982, où Washington se portaaux côtés de Londres contre l'Argentine, et l'invasion de la Grenade en 1983.

Dans les deux cas, en effet, un anti- " yanquisme "à fleur de peau se manifesta en Amérique latine, y compris de la part de gouvernements peu suspects d'hostilité à l'essentiel desthèses reaganiennes : les voisins du Sud, c'est un fait, n'aiment pas ouvertement la pax americana, même lorsqu'elle sert leursintérêts. En revanche, l'échec de l'extrême droite, tant aux élections guatémaltèque que salvadorienne cette année, fut une bénédictionpour un gouvernement-républicain et conservateur-qui avait enfin compris qu'il n'y avait plus de salut pour les Etats-Unis dans larégion si la vieille oligarchie d'esprit féodal ne lâchait pas prise face à de nouvelles couches plus modernes, sinon toujoursprogressistes.

De ce point de vue, l'élection à la présidence du Salvador de M.

Napoleon Duarte fut une aubaine pour M.Reagan.

On le vit bien lorsque M.

Duarte, lors d'une tournée aux Etats-Unis, sitôt après son élection, réussit à convaincre lesdémocrates de débloquer une importante rallonge à l'aide militaire au Salvador. A partir de ces prémisses, comment imaginer le deuxième mandat de M.

Reagan pour ce qui touche à l'Amérique centrale? Beaucoup de facteurs sont en partie indépendants de la volonté de Washington.

Les guérillas guatémaltèque et salvadorienneparviendront-elles à se maintenir dans un environnement international de moins en moins favorable? Le revirement nationaliste, enavril 1984, des forces armées honduriennes sera-t-il autre chose qu'un feu de paille? Les contre-révolutionnaires nicaraguayensatteindront-ils, sans la CIA.

(1) ce niveau de crédibilité dans la lutte armée qu'ils n'ont jamais approché lorsqu'ils jouissaient de l'aide quasi officielle des services secrets américains? Le gouvernement de Managua saura-t-il, après les élections du 4novembre, doser la fermeté militaire et la souplesse politique? Enfin, l'Europe se convertira-t-elle, sur ce point, au " reaganisme ",laissant dès lors bien démunis les Etats du groupe de Contadora (Mexique, Colombie, Venezuela, Panama) dans leur recherched'une solution négociée aux problèmes de la région? Malgré de récents revers, une défaite sur le terrain de l'armée salvadorienne apparaît peu probable.

La poursuite de l'aideaméricaine et le renforcement du poids de M.

Duarte devraient, au contraire, conduire à une pause, voire à un reflux de laguérilla.

Celle-ci s'est, le 15 octobre à La Palma, assise à la même table que le président, pratiquement à ses conditions. C'est évidemment au Nicaragua que tout se jouera.

Managua, face à Washington, est, militairement, totalement isolé : M.

FidelCastro a exclu toute aide de Cuba à son allié après l'invasion de la Grenade. Mais un coup de force américain est-il à l'ordre du jour? Le président Reagan a proclamé, à la veille de sa réélection, qu'il n'enétait pas question.

Quoiqu'on tienne, à la Maison Blanche, les élections du 4 octobre pour " du toc ", on doit bien y voir que cescrutin contribue à asseoir la légitimité du Front sandiniste.

Une reprise de l'aide de la CIA aux " contras " ne sera pas aisée àjustifier; sauf conduite grossière de M.

Daniel Ortega et de ses amis, l'opinion internationale devrait, pour un certain temps aumoins, redevenir plus favorable à Managua.

Mais nul ne peut connaître les réactions de l'hôte de la Maison Blanche : on le vit,quelques heures après l'attentat meurtrier de Beyrouth contre les " marines ", lancer la force américaine à l'assaut de la Grenade. JEAN-PIERRE CLERC Le Monde du 9 novembre 1984. »

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