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Article de presse: Carrero Blanco

Publié le 22/02/2012

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20 décembre 1973 - Ce soldat figé dans un éternel garde-à-vous, d'une fidélité ombrageuse et têtue à ses convictions de lieutenant de vaisseau et à ses camarades de guerre civile, était devenu au fil des ans l'éminence grise du régime et l'incarnation, dans un pays bouleversé, d'un paléo-franquisme irréductible. L'amiral Luis Carrero Blanco disparaît avant son maître, et l'histoire, une fois de plus ironique, réduit à néant tous les plans qui l'avaient érigé en une institution de la survivance. A soixante-neuf ans, il était devenu l'an dernier le légataire universel d'une dictature qu'il avait pour fonction de stabiliser en monarchie. Les Espagnols, qui ne détestent pas les plaisanteries macabres, lui avaient dédié un de leur chistes; on le montrait le jour de la disparition du caudillo, les talons joints et la main à la casquette : " Et comme il n'y aura plus personne pour lui dire : " Repos ! " il n'y aura pas d'après-franquisme. " C'était un homme discret jusqu'à l'effacement, plus familier de sa bibliothèque et des couloirs du Pardo que des sifflets à l'échelle de coupée. Né à Santona, le 4 mars 1903, il avait choisi l'Ecole navale, parfait sa formation en France et enseigné brillamment la stratégie à l'Ecole de guerre de Madrid. Dans la campagne du Maroc, de 1924 à 1926, il avait forgé les amitiés destinées à devenir un jour complicités dans la rébellion contre la République. Le capitaine de vaisseau qui, en juin 1937, rejoint les insurgés à San-Sebastian s'est déjà fait une doctrine de l'Etat qui n'a rien de la cautèle et de l'opportunisme d'un Darlan, cet illustre collègue promis à la même mort. Il rêve du joug et des flèches emblématiques de Ferdinand et Isabelle dans le sein d'un " Etat traditionnel catholique ", autoritaire dans la mesure où il faut bien mettre aux fers les matelots sans discipline mais étranger aux rêveries socialisantes d'un José Antonio ou des Juntes ouvrières " national-syndicalistes ". Conservateur de naturel et de naissance, officier d'une arme où il a ressenti le loyalisme-fort répandu-au gouvernement républicain comme un outrage au bon sens et à la nation, il ne cessera jamais de pourfendre toute innovation, aussi suspecte à ses yeux que le communisme de saper l'ordre conquis sur les Maures et accordé par Dieu à sa Castille. Entré dans les conseils de gouvernement en 1951, à un poste subalterne de sous-secrétaire, il sera ce familier et factotum, mi-conseiller politique mi-officier d'ordonnance, que les dictateurs vieillissants gratifient de leur confiance et chargent de régler leur succession. Trente ans durant, tandis que le caudillo oppose et élimine les tendances disparates qui lui donnèrent la victoire, l'amiral n'est l'homme d'aucun camp, l'ami ou l'otage de personne, mais l'image vivante de la fidélité au chef inspiré qu'il faut accompagner jusque dans ses volte-face. C'est à ce titre que, en septembre 1967, il devient vice-président du gouvernement, remplaçant le capitaine général Munoz Grandes, autre grand dignitaire militaire mais qui a eu trop d'idées personnelles pour demeurer en place. En juillet 1972, il reçoit la preuve suprême de confiance, et le général Franco le désigne pour occuper la présidence du gouvernement à titre intérimaire le jour où il disparaîtra. Délégué à l' " instauration " de la monarchie-car sur ordre d'en haut on ne parle jamais de " restauration " en Espagne,-l'amiral n'a pas la sympathie du jeune Juan Carlos, qui serait bien en peine d' " ouvrir " ou de libéraliser le nouveau régime sous la tutelle de cette momie politique. Trop âgé pour être un dauphin, et déjà bien mûr pour le rôle d'exécuteur testamentaire, le chantre de l'orthodoxie franquiste était-il en mesure d'assurer une transition harmonieuse ? Il n'avait pas acquis, dans l'ombre stérilisante du maître, la stature qui permet de clouer au pilori le " système des partis " et de transformer ses nostalgies de midship ultra en dogmes de la vie nationale. Du moins pouvait-il-et il l'avait prouvé en éliminant des marches du trône le comte de Barcelone, trop " libéral " à ses yeux-interdire les évolutions dangereuses et intimider les fortes têtes de l'équipage. Une explosion a fait l'économie des spéculations sur le style que l'autoritarisme tatillon du chargé de mission posthume du caudillo eût donné à la dévolution de l'héritage. PAUL-JEAN FRANCESCHINI Le Monde du 21 décembre 1973

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