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Article de presse: Comment Staline et Churchill partagèrent les Balkans

Publié le 17/01/2022

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9 octobre 1944 - Winston Churchill n'en était pas très fier, mais il avait eu l'honnêteté de tout avouer dans ses Mémoires. Rendant compte de sa visite à Staline, le 9 octobre 1944, au Kremlin, il expliquait comment l'offensive soviétique contre les troupes allemandes en déroute dans les Balkans inquiétait alors la Grande-Bretagne, très influente dans la région, notamment en Grèce. Quel était le meilleur moyen de préserver ses intérêts, sinon de s'entendre directement avec le dictateur de Moscou pour faire " la part du feu " et se partager les zones d'influence ? C'est donc ce que fait le premier ministre britannique, qui, après avoir lancé un appel à " éviter de nous heurter pour des questions qui n'en valent pas la peine ", propose à Staline " une prédominance de 90 % en Grèce pour nous " et " l'égalité 50/50 en Yougoslavie ". " Pendant que l'on traduisait mes paroles, poursuit Churchill, j'écrivis sur une demi-feuille de papier (...). Je poussai le papier devant Staline à qui la traduction avait alors été faite. Il y eut un léger temps d'arrêt. Puis il prit son crayon bleu, y traça un gros trait en matière d'approbation, et nous le rendit (...). Il y eut ensuite un long silence. Le papier, rayé de bleu, demeurait au centre de la table. Je dis finalement : Ne trouvera-t-on pas un peu cynique que nous ayons l'air d'avoir réglé d'une façon aussi cavalière ces problèmes dont dépend le sort de millions de gens ? Brûlons ce papier. " Non, gardez-le, dit Staline " ". En fait, Churchill ne le garda qu'à moitié, puisque l'original a été perdu. Mais il en existe une copie, que des chercheurs de la BBC, préparant une série documentaire récemment diffusée à Londres, ont retrouvée dans les archives de l'ancien premier ministre britannique à Cambridge. Si le texte russe a été écrit par un interprète, le document en anglais est de la main de Churchill, à l'exception du " gros trait au crayon bleu " par lequel Staline marqua son " approbation ", et que l'on voit en haut à gauche (barrant le chiffre de 10 % affecté aux " autres " en Roumanie). On retrouve le même crayon bleu, mais une signature beaucoup plus explicite du dictateur soviétique sur un autre document très symbolique de l'ancien partage de l'Europe : la carte délimitant la frontière entre la Pologne et la Russie aux termes des accords Staline-Ribbentrop du 28 septembre 1939. Un sens plus favorable à l'URSS En fait, les chiffres convenus entre Churchill et Staline furent revus dès le lendemain par Eden et Molotov, les chefs des deux diplomaties, dans un sens plus favorable encore à l'URSS : celle-ci garda ses 90 % en Roumanie, mais sa part fut portée à 80 % en Hongrie et en Bulgarie, à 60 % en Yougoslavie. En revanche, on ne toucha pas à la prépondérance britannique en Grèce, ce qui permit à Churchill d'écraser quelque temps plus tard les maquisards de l'armée communiste Elas. Et ces accords particulièrement " cavaliers " de 1944 auront été, au fond, parmi les plus solides de l'histoire de l'après-guerre : la Hongrie de Kadar n'était-elle pas, en très gros, communiste à 80 %, la Yougoslavie de Tito à 60 % ? MICHEL TATU Le Monde du 21 janvier 1992

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