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Article de presse: De Séoul à Tokyo, deux crises de nature très distincte

Publié le 17/01/2022

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- Le plongeon sans fin de la monnaie coréenne et la permanence de mauvaises nouvelles boursières au Japon traduisent un seul et même phénomène : les deux économies les plus fortes de la région sont victimes d'une crise de confiance sans précédent de la part des marchés. Les investisseurs extérieurs et les banques locales n'accordent plus de crédit à l'économie de chacun des deux pays, au sens propre comme au sens figuré. Du coup, ces marchés n'accordent pas plus d'importance au plan du FMI de 57 milliards de dollars (plus de 336 milliards de francs) pour la Corée du Sud qu'au programme de relance de l'économie japonaise confirmé par le gouvernement Hashimoto le 17 décembre. Ce programme, d'une ampleur supérieure à n'importe quel plan du FMI, prévoit outre des allégements fiscaux l'émission d'un emprunt d'Etat de 77 milliards de dollars pour stabiliser le système financier du pays. Le caractère synchrone de ces deux crises permet-il de les assimiler ? Les deux pays présentent des faiblesses comparables : avec quelques années de décalage, la Corée du Sud a suivi à peu de choses près le même modèle de développement économique que le Japon. Un modèle aujourd'hui remis en cause, et qu'on peut résumer par la constitution de grands groupes industriels financés essentiellement par des banques (et non par le recours aux marchés financiers), avec en arrière-plan un Etat fort, canalisant une bonne part des crédits à l'industrie avec un manque de transparence évident. Un système que le spécialiste du Japon Christian Sautter qualifiait récemment d'" oligopole cordial " un mot qu'on pourrait également appliquer à la Corée. " Historiquement, l'Etat a joué un rôle encore plus important en Corée qu'au Japon : après la guerre de Corée, l'Etat et l'armée ont été les piliers de la reconstruction du pays " , souligne Michel Fouquin, économiste au CEPII. L'un des résultats de ce système, c'est qu'il aboutit à une mauvaise allocation des actifs financiers en raison d'interventions publiques intempestives, et qu'il ne permet pas de soumettre à la discipline du marché l'attribution des crédits. Ajustements douloureux Là s'arrête cependant le parallèle entre les deux pays. Dans le premier cas, celui de la Corée du sud, on est en présence d'une économie marquée par un fort endettement extérieur. La crise s'explique en grande partie, ici, par la présence de déficits courants importants (4 % du PIB en 1997, un niveau comparable à celui de l'Indonésie). Ces déficits importants, conjugués à une surchauffe des investissements et de nombreuses faillites, ont provoqué la chute de la monnaie lorsque les investisseurs étrangers ont compris, vers la fin du mois d'octobre dernier, que la Corée risquait de se trouver en état de défaut de paiement comme, avant elle, la Thaïlande ou l'Indonésie. Le montant de la dette coréenne, qui commence à apparaître dans toute son ampleur, illustre a posteriori la stratégie d'endettement à tout-va des conglomérats (les chaebols). Il s'agit d'une dette essentiellement privée, alors que l'Etat coréen, lui, est bien moins endetté que la plupart des pays développés (la dette publique tourne autour de 20 % du PIB, un niveau trois fois inférieur à la limite exigée dans le traité de Maastricht). La crise coréenne est donc avant tout une crise de liquidités, dont le pays ne se sortira qu'au prix d'ajustements très douloureux, avec la mise au chômage probable de dizaines de milliers de personnes. On n'est pas du tout dans le même cas de figure au Japon. Ce pays dégage depuis plusieurs décennies des excédents courants colossaux, autrement dit le pays dégage suffisamment d'épargne pour financer le reste du monde, et en particulier les Etats-Unis. " Les crises coréenne et japonaise sont de nature très différente, souligne Hellmut Schutte, économiste au centre Euro-Asie de l'INSEAD (Fontainebleau). Premièrement, la structure industrielle du Japon demeure très solide, avec des entreprises qui demeurent très fortes, ce qui n'est pas le cas en Corée. Deuxièmement, les excédents de la balance courante japonaise et les réserves en devises du pays sont un atout de premier plan pour sortir de la crise " . Menace de déflation Donc, " aucun risque pour le Japon de se trouver en état de défaut de paiement comme la Corée du Sud " , comme le remarque Frédéric Atlan, de la Caisse des dépôts et consignations. On sait que le programme d'assainissement mis en place par le Japon à lui tout seul est supérieur à celui du FMI pour la Corée. Les raison de la crise japonaise sont avant tout de nature domestique, avec un marasme lié à l'atonie de la demande intérieure depuis les hausses d'impôt du printemps dernier. On est ici dans le contraire d'une situation de surchauffe. Baisse de la consommation, baisse du crédit, stagnation de l'activité : le Japon connaît une crise typique d'un pays développé. Confronté depuis longtemps à la nécessité de réformer les structures de son économie, à commencer par celles de son secteur financier, le Japon n'a pas entrepris à temps les ajustements qui s'imposaient. Au cours des années qui viennent de s'écouler, le Japon a exporté ses difficultés en misant tout sur une monnaie faible, favorable aux exportations. Aujourd'hui, la crise des marchés asiatiques (où le Japon est exposé tant par le biais de prêts bancaires que d'investissements directs importants) sert de révélateur aux déficiences d'une économie encore trop fermée, où les marchés financiers ne sont pas assez développés. Au coeur de la crise, la faiblesse du secteur bancaire : les banques ont conservé sans les effacer de " mauvaises dettes " héritées de la bulle immobilière des années 80. Au Japon, la crise asiatique affaiblit une économie déjà atone. La menace, ici, est celle d'une déflation (baisse des prix généralisée), potentiellement très dangereuse pour le reste du monde. LUCAS DELATTRE Le Monde du 25 décembre 1997

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