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Article de presse: Douze jours qui ébranlèrent l'Iran

Publié le 22/02/2012

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iran
1er février 1979 - Téhéran. Jeudi 1er février. 8 h 30. L'avion de Ruhollah Khomeiny se pose sur un aérodrome désert. Des véhicules militaires ont pris position. L'ayatollah Taleghani, chef religieux de Téhéran, monte à bord et redescend avec l'imam. Ils gagnent le salon d'honneur plein à craquer où ils sont accueillis par une immense et interminable ovation. L'imam remercie " toutes les classes de la nation, les déshérités, les bazaris, les universitaires, les ouvriers et les paysans qui ont fait preuve d'un extraordinaire courage dans la lutte ". Puis, de cette voix nasillarde et monocorde qu'on reconnaît entre toutes depuis que des millions de cassettes l'ont diffusée clandestinement dans le pays, il rappelle son programme : " Nous avons renversé le chah mais ce n'est qu'une première étape... Nous avons encore un long chemin devant nous... Les Pahlavi ont tout détruit... Nous sommes devant une page blanche. Nous voulons détruire le système existant et établir un autre régime avec un autre contenu et d'autres formes. Je demande à tout le peuple musulman de conserver son unité... C'est là le secret de notre succès ". Commence alors la première des douze folles journées qui verront la chute de la monarchie vieille de deux mille cinq cents ans, l'effondrement de la cinquième armée du monde et l'échec cinglant de l'Amérique qui, depuis 1951, a fait de l'Iran le " gendarme du Golfe ". De l'aéroport au centre de la capitale et, de là, à Behechte Zahra (30 kilomètres), rebaptisé " Cimetière des martyrs ", c'est la marée humaine. Trois? Quatre? Cinq millions? Tout le monde veut voir l'imam, le saluer, le remercier, le toucher. Les quarante mille membres du service d'ordre islamique, souvent débordés, ont du mal à protéger sa voiture. Seule l'invocation " Allah Akbar " ramène momentanément le calme, y compris chez les fedayins marxistes-léninistes, qui arborent des drapeaux rouges frappés d'une fourche et d'une faucille. Lundi 5 février. Contrastant avec la solennité ampoulée du régime impérial, la salle de cinéma de l'école Alavi, près du Majlis (Parlement), où s'est installé Khomeiny, au coeur de Téhéran, sert de décor à l'intronisation du premier ministre islamique que l'imam oppose au premier ministre impérial. Chapour Bakhtiar se réclame de la Constitution de 1906? Eh bien, l'imam-qui la trouve trop " occidentale " et ne lui accorde guère de crédit-explique que son initiative ne la contredit pas, puisqu'elle stipule que " le peuple est la source du pouvoir ". " Or, dit-il, par ses manifestations et le nombre de ses martyrs, le peuple m'a choisi comme chef et la religion m'autorise à agir comme je le fais. " Un mollah lit alors le décret, en forme de " firman " impérial, nommant Mehdi Bazargan chef d'un gouvernement provisoire. Mince, sec, chauve, visage buriné et sévère, barbiche blanche, cet ingénieur septuagénaire formé en France est un musulman moderniste. Ancien du Front national de Mossadegh, il est, de surcroît, un ami de Chapour Bakhtiar depuis plus d'un quart de siècle. Le choix de ce réformiste est alors le meilleur possible : il va calmer les alarmes de l'Occident et endormir la méfiance des nationalistes, des laïcisants de l'Université et de tous les démocrates qui gravitent autour de l'Association iranienne pour la défense des libertés et des droits de l'homme crée par Mehdi Bazargan et quelques amis. En revanche, ce choix inquiète les radicaux, les Moudjahidin Khalq (musulmans) et les Fedayin Khalq (marxistes-léninistes). L'imam n'en a cure : le panache que leur a valu la lutte armée dans la forêt de Siakhal contre le chah ne les empêche pas d'être minoritaires. Il s'occupera donc, plus tard, de leur élimination! Jeudi 8 février. A l'appel de l'imam, le peuple descend une nouvelle fois dans la rue au cri de " Marg bar Bakhtiar! " (A mort Bakhtiar!). Depuis le " vendredi noir " (8 septembre 1978) où l'armée a tiré sur la foule et le " dimanche rouge " (5 novembre) qui ouvre le cycle des émeutes de Téhéran, ce sera la dernière des gigantesques processions qui ont été, chacune dans son style, un jalon décisif dans la révolte d'un peuple aux mains nues. L'insurrection A Tassoua, la veille du grand deuil chiite de l'Achoura commémorant le martyre de l'imam Hussein, le 10 décembre, ce fut le " cortège de la protestation " autorisé in extremis par le chah, à condition que son nom ne soit pas conspué. Le 11 décembre, ce fut " le cortège du défi ". La foule, qui avait sagement défilé la veille pendant huit heures jusqu'à l'Arc de triomphe de Chahyad (à 13 kilomètres du centre), était encore plus nombreuse et, frondeuse cette fois, avait scandé " Marg bar chah! " (A mort le chah!). A Arbaïne (quarante jours après l'Achoura), à la mi-janvier, après le départ du chah, ce fut le " cortège de la première victoire " et, pour le retour de Khomeiny, le " cortège du lyrisme ". Ce jeudi, c'est le " cortège de la révolution " : les slogans sont plus durs, plus politiques, et des manifestants, en plus grand nombre, portent le linceul ou un ruban blanc autour de la tête pour signifier qu'ils sont prêts à mourir en martyrs. Le climat est insurrectionnel. Samedi 10 février. La veille, à 22 h 30, les djavidan (immortels) de la garde impériale donnent, sans le savoir, le signal du soulèvement. Ils descendent dans sept camions de la caserne de Saltanabad pour " corriger " les homafars (techniciens de l'armée de l'air) coupables de regarder à la télévision le film sur le retour de Khomeiny. La fusillade, intense, se poursuit jusqu'à l'aube. Des homafars sans armes bravent les fusils-mitrailleurs qui les déciment et parviennent en criant " Allah Akbar! " jusqu'aux djavidan, qu'ils étranglent de leurs mains. Une clameur envahit la ville : les habitants du quartier ne cessent de psalmodier " Allah Akbar " alors que la fusillade reprend. Les Fedayin Khalq ont rassemblé vers 9 heures 100000 personnes à l'université pour un défilé politique. Soudain des messagers surgissent en criant : " C'est le massacre! L'armée tire! " La foule se répand dans la rue. Les militants aguerris des mouvements de guérilla seront le fer de lance de l'insurrection. Celle-ci prend de court Khomeiny, qui avait interdit le recours aux armes, l'heure du Djihad (guerre sainte) n'ayant pas encore sonné. Les autres occupent les points stratégiques. La capitale se hérisse de barricades. La radio annonce la proclamation de la loi martiale et du couvre-feu à 16h30. La radio pirate des religieux s'empresse de dénoncer ces mesures " illégales et illégitimes ". 16 h 30. Le soleil brille. La ville en fièvre défie le couvre-feu. Comme obéissant à un mot d'ordre, rues, places et avenues se couvrent de brasiers : les pneus qui brûlent en dégageant une fumée dense et noire-à la fois écran protecteur et signe de ralliement-font leur apparition. Pas un quartier n'échappe à l'émeute. Dans la nuit, des commissariats de police sont attaqués, pillés, incendiés. Dimanche 11. Vers 5 heures, quelque 50 000 personnes cernent la manufacture d'armes, près de la place Jaleh où se produisit le massacre du " vendredi noir ". Les assiégés savent que, même s'ils tirent, ils n'empêcheront pas la foule de donner l'assaut et de les massacrer à leur tour. Ils parlementent et cèdent en échange de la vie sauve. C'est alors la curée : rejoints en hâte par des mollahs en kaftan, mitraillette en bandoulière, les militants des mouvements de guérilla emportent les armes pour les mettre à l'abri, mais en utilisent quelques-unes pour attaquer d'autres cibles. Des messagers à motocyclette font la liaison et lancent des mots d'ordre qu'on se passe de bouche à oreille : " A la radio! ", " A la police militaire! "... Casernes, bâtiments administratifs, palais impériaux, tombent les uns après les autres. Lundi 12. Dans son premier bulletin, la radio donne lecture d'un communiqué des Fedayin Khalq annonçant qu'ils contrôlent l'aéroport. La dernière journée des " trois glorieuses " est consacrée à réduire les ultimes poches de résistance des partisans du chah. Une course de vitesse commence aussitôt entre les religieux et les autres mouvements politiques. Mais les premiers ont l'habileté d'investir immédiatement les centres du pouvoir : police, SAVAK, médias, justice. L'épuration En moins de vingt jours, le climat se détériore considérablement. Khomeiny annonce que le " criminel Bakhtiar " s'est enfui à l'étranger. L'épuration de l'armée commence. Militaires et hommes politiques sont jugés sommairement et exécutés aussitôt sur le toit de la chambre où dort Khomeiny, de crainte qu'en parlant ils ne compromettent les religieux qui ont collaboré avec l'ancien régime. Des comités révolutionnaires fleurissent sous l'impulsion de mollahs connus comme " conservateurs " mais subitement animés d'un activisme inquiétant. Des jeunes surpris à boire sont fouettés, les caves des grands hôtels saccagées et des homosexuels fusillés. Les minorités ethniques et religieuses prennent peur. Les intellectuels s'inquiètent. PAUL BALTA Le Monde du 5-6 février 1984
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« Samedi 10 février.

La veille, à 22 h 30, les djavidan (immortels) de la garde impériale donnent, sans le savoir, le signal dusoulèvement. Ils descendent dans sept camions de la caserne de Saltanabad pour " corriger " les homafars (techniciens de l'armée de l'air)coupables de regarder à la télévision le film sur le retour de Khomeiny.

La fusillade, intense, se poursuit jusqu'à l'aube.

Deshomafars sans armes bravent les fusils-mitrailleurs qui les déciment et parviennent en criant " Allah Akbar! " jusqu'aux djavidan,qu'ils étranglent de leurs mains.

Une clameur envahit la ville : les habitants du quartier ne cessent de psalmodier " Allah Akbar "alors que la fusillade reprend. Les Fedayin Khalq ont rassemblé vers 9 heures 100000 personnes à l'université pour un défilé politique.

Soudain desmessagers surgissent en criant : " C'est le massacre! L'armée tire! " La foule se répand dans la rue.

Les militants aguerris desmouvements de guérilla seront le fer de lance de l'insurrection.

Celle-ci prend de court Khomeiny, qui avait interdit le recours auxarmes, l'heure du Djihad (guerre sainte) n'ayant pas encore sonné.

Les autres occupent les points stratégiques.

La capitale sehérisse de barricades.

La radio annonce la proclamation de la loi martiale et du couvre-feu à 16h30. La radio pirate des religieux s'empresse de dénoncer ces mesures " illégales et illégitimes ". 16 h 30.

Le soleil brille.

La ville en fièvre défie le couvre-feu. Comme obéissant à un mot d'ordre, rues, places et avenues se couvrent de brasiers : les pneus qui brûlent en dégageant unefumée dense et noire-à la fois écran protecteur et signe de ralliement-font leur apparition.

Pas un quartier n'échappe à l'émeute.Dans la nuit, des commissariats de police sont attaqués, pillés, incendiés. Dimanche 11.

Vers 5 heures, quelque 50 000 personnes cernent la manufacture d'armes, près de la place Jaleh où se produisitle massacre du " vendredi noir ".

Les assiégés savent que, même s'ils tirent, ils n'empêcheront pas la foule de donner l'assaut et deles massacrer à leur tour.

Ils parlementent et cèdent en échange de la vie sauve.

C'est alors la curée : rejoints en hâte par desmollahs en kaftan, mitraillette en bandoulière, les militants des mouvements de guérilla emportent les armes pour les mettre àl'abri, mais en utilisent quelques-unes pour attaquer d'autres cibles.

Des messagers à motocyclette font la liaison et lancent desmots d'ordre qu'on se passe de bouche à oreille : " A la radio! ", " A la police militaire! "... Casernes, bâtiments administratifs, palais impériaux, tombent les uns après les autres. Lundi 12.

Dans son premier bulletin, la radio donne lecture d'un communiqué des Fedayin Khalq annonçant qu'ils contrôlentl'aéroport. La dernière journée des " trois glorieuses " est consacrée à réduire les ultimes poches de résistance des partisans du chah.

Unecourse de vitesse commence aussitôt entre les religieux et les autres mouvements politiques.

Mais les premiers ont l'habiletéd'investir immédiatement les centres du pouvoir : police, SAVAK, médias, justice. L'épuration En moins de vingt jours, le climat se détériore considérablement. Khomeiny annonce que le " criminel Bakhtiar " s'est enfui à l'étranger. L'épuration de l'armée commence.

Militaires et hommes politiques sont jugés sommairement et exécutés aussitôt sur le toit de lachambre où dort Khomeiny, de crainte qu'en parlant ils ne compromettent les religieux qui ont collaboré avec l'ancien régime.Des comités révolutionnaires fleurissent sous l'impulsion de mollahs connus comme " conservateurs " mais subitement animés d'unactivisme inquiétant.

Des jeunes surpris à boire sont fouettés, les caves des grands hôtels saccagées et des homosexuels fusillés.Les minorités ethniques et religieuses prennent peur.

Les intellectuels s'inquiètent. PAUL BALTA Le Monde du 5-6 février 1984. »

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