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Article de presse: Hassan II : cinq personnages pour faire un roi

Publié le 17/01/2022

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7-9 juin 1965 - Le fils.- " Moi qui suis né sur les marches d'un trône... " Cette formule qu'aime bien employer le jeune roi résume très naturellement les enfances de ce chef qui n'a d'abord eu qu'à naître, dans une cour alors toute alanguie de docilité frileuse, pour être l'un des êtres les plus choyés et comblés de notre temps. Mais déjà, à la veille du baccalauréat, Moulay Hassan est saisi par la politique. Car le protectorat est déjà entré en crise, et le sultan aspire à devenir un roi indépendant. Et l'adolescent à la vie facile doit progressivement faire place à un collaborateur très proche du roi, et très écouté. Le lieutenant.-Au moment où le sultan Mohammed jette son défi au régime instauré par Lyautey, lors d'un voyage à Tanger resté fameux, en 1947, le prince a dix-huit ans. Ce n'est pas la première fois que le souverain associe son fils à ses démarches. Dans le livre qu'il a consacré à Hassan II, l'écrivain anglais Rom Landau rapporte que lors de son entrevue avec le président Roosevelt, en janvier 1943, à Anfa, entrevue précédée d'une rencontre discrète en tête à tête, Sidi Mohammed s'était fait accompagner de son fils aîné. " Ce fut mon premier secret d'Etat ", assure aujourd'hui le jeune souverain : il avait alors quatorze ans. C'est pourtant le voyage à Tanger qui fera du prince l'un des lieutenants du roi, nouveau chef du nationalisme marocain. Chef de l'organisation des " scouts hassaniens ", le fils du souverain s'adresse, comme sa soeur Lalla Aïcha, à la jeunesse tangéroise : son assurance, ses connaissances, l'élégance de son élocution en arabe, l'imposent aussitôt. La plupart des observateurs voient en lui l'animateur de la tendance la plus exigeante du nationalisme monarchique, le trait d'union entre le palais et le parti de l'Istiqlal. Le dauphin.-Chef d'état-major des Forces armées royales, il mène, avec beaucoup de décision et de courage personnel, une opération difficile : l'intégration de l'Armée de libération du Nord. On le voit à Paris, au Caire, représentant Mohammed V avec une extrême assurance. Nul ne s'étonne donc lorsque son père, rompant avec une tradition qui veut que le souverain soit désigné par les oulémas et les notables de la cour, fait de lui son héritier officiel, au mois de juillet 1957. Ainsi consacré, il semble alors prendre du champ, souhaiter un effacement relatif. C'est l'époque où vient au pouvoir une équipe, celle de MM. Ibrahim et Bouabid, avec laquelle on lui sait peu d'affinités. Il voyage, prononce des conférences, hante les belles résidences de la famille royale. Mais cette demi-retraite est surtout un temps de préparation. Et sa " rentrée " politique sera éclatante : au lendemain d'élections municipales qui, au mois de mai 1960, ont vu un net progrès de la gauche, le prince héritier persuade son père de prendre lui-même la tête du gouvernement et de lui confier la vice-présidence. C'est le " régime présidentiel dans le cadre de la monarchie ". Dix mois durant, le dauphin gouverne, sous l'égide d'un souverain déjà miné par la maladie et plus attentif peut-être à assurer la situation du Maroc dans le cadre africain-par la création du groupe de Casablanca-et à faire prévaloir ses revendications sur la Mauritanie qu'à assumer directement les charges du pouvoir réel dans le royaume. Moulay Hassan donne alors la mesure de son autorité naturelle, qui est grande, de son intelligence, qui est vive, de ses sympathies pour l'Occident, qui sont évidentes. On dit volontiers de lui que incertain de régner, il s'empresse, avec une sorte de voracité fiévreuse, de gouverner. L'épigone.-Le 26 février 1961, vers 17 heures, un formidable silence s'abat sur le Maroc, suivi d'une longue et plaintive clameur. Le roi Mohammed V est mort. Un désarroi immense s'empare des esprits. Pour quelques heures. Car la nuit n'est pas venue que le nouveau roi s'est fait connaître, après avoir saisi effectivement les moyens du pouvoir-conjuguant ainsi le mode de succession antique, qui donnait le règne au plus fort, lui laissant le soin de le faire ratifier par les docteurs de la loi et les grands, et la procédure héréditaire instaurée en 1957. Hassan II n'est proclamé que trois jours plus tard : mais déjà le Maroc sait qu'il a un maître. Dans sa vie privée comme dans son comportement politique, le jeune souverain s'affirme étrangement imprégné de l'exemple d'un homme et d'un père qu'il a beaucoup admiré. Le successeur.-Mais les tempéraments des deux souverains sont si différents, et surtout leur formation si diverse, que l'antithèse reste frappante entre le premier et le second roi du Maroc indépendant moderne. Le fils de Moulay Youssef n'avait reçu aucune éducation politique et culturelle de type moderne. Négligé par ses précepteurs, porté au pouvoir comme par hasard, il ne devait rien, en tant que leader nationaliste et gouvernant, qu'à une intelligence innée, à une autorité naturelle voilée sous une sorte de réserve maussade, à une expérience directement et rapidement acquise. Hassan II, lui, a été instruit en vue du règne. Et il l'a été par les maîtres marocains et français les plus brillants, tant en arabe qu'en littérature française ou en droit. D'où une grande confiance en ses moyens et une culture politique et littéraire sans commune mesure avec celle de Mohammed V. D'où un style de gouvernement assez neuf. Ainsi cohabitent sur le trône le descendant très respectueux des sultans alaouites, fidèle à la tradition prophétique et ligoté par des règles de vie séculaires, et le souverain le plus moderne, le plus apte à traiter une affaire constitutionnelle, financière, administrative, à régler lui-même un point de protocole ou de droit. C'est le dernier de tous ces personnages que verront les Français, de la faculté de droit de Bordeaux, où il retrouvera des maîtres de dix ans, au perron de l'Elysée. Ils verront un homme jeune, point grand mais la taille bien prise, svelte, allègre, et dont la désinvolture s'est ombrée maintenant de gravité. Ils entendront un orateur raffiné, gourmand des mots les plus précieux de notre langue. Ils recevront le souverain d'un pays que bien des liens librement consentis, et quelques autres hérités du passé, rattachent au nôtre, et dont le talent, l'aisance, la culture, témoignent d'une symbiose historique qui n'a pas fini de porter ses fruits. JEAN LACOUTURE Le Monde du 26 juin 1963

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