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Article de presse: Henry Kissinger

Publié le 22/02/2012

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22 août 1973 - Que serait l'équipe de Richard Nixon, mis à part le charme discret d'un William Rogers, sans la vedette internationale qu'est devenu Henry Kissinger ? Il ne se passe pas de semaine sans que sa personnalité dynamique, tantôt enjouée, tantôt soucieuse, apparaisse sur les écrans de télévision. Il a sa légende de bourreau de travail et de bourreau des coeurs, qu'il ne dédaigne pas d'entretenir simultanément. Il a accumulé les performances dès son plus jeune âge. Né à Fürth, en Allemagne, le 27 mai 1923, il était venu en 1938 aux Etats-Unis avec ses parents, qui fuyaient, à cause de leur origine juive, le régime nazi. La cinquantaine à peine franchie (et fêtée à New-York dans un style bien à lui), le voici promu secrétaire d'Etat, poste qu'il occupera sans renoncer au rôle éminent qu'il jouait déjà à la Maison Blanche comme président du Conseil national de sécurité. Pourtant, on se tromperait en lui appliquant l'image classique du " professeur passé à la politique ". Malgré les succès qu'il y a remportés très jeune-il passa son diplôme d'études supérieures, summa cum laude, avec une thèse de presque quatre cents pages sur " le sens de l'histoire : réflexions sur Spengler, Toynbee et Kant " -il restera toujours un peu en marge du corps universitaire de Harvard, qui ne s'empressera nullement de lui ouvrir la voie royale tracée au talent... L'université, pour lui, n'est pas une fin en soi, mais avant tout un lieu de travail, de lectures, d'approfondissement, bref, de préparation à l'action hors du périmètre du campus et du yard (synonyme de campus à Harvard). Sa fortune, ses chances d'avancement, il ira les chercher ailleurs. C'est, en effet, par le biais du Council of Foreign Affairs, auquel l'a recommandé son " patron " de Harvard, le professeur de sciences politiques William Elliot, le seul homme peut-être à lui avoir fait confiance sans réserve à cette époque, que Henry Kissinger hasarde ses premiers pas dans les cercles de l'intelligentsia politique de New-York, " club " alors aussi fermé que l'était le milieu des vieilles universités de la côte atlantique. C'est New-York qui découvrira et lancera Kissinger. On lui confie la supervision d'une enquête collective sur l'influence des armes atomiques sur la politique étrangère, et cette commande deviendra un livre portant la marque d'un seul homme, publié sous le titre Nuclear Weapons and Foreign Policy. Les temps sont mûrs pour une analyse raisonnée du sujet. Le livre, conçu au départ pour un public d'initiés, connaît une diffusion inespérée, qui tire soudain son auteur de l'obscurité. Deux ans après sa publication, en 1956, Henry Kissinger est recruté par le Fonds Rockefeller Frères, qui veut financer une série de projets de recherche sur les différents aspects de la prochaine décennie. De là datent les étroites relations entre le gouverneur Nelson Rockefeller et Henry Kissinger. De là part aussi l'éducation politique de Henry Kissinger, invité à fréquenter l'élite de la finance et des grandes sociétés intéressées au rôle des Etats-Unis dans le monde. Cette ascension brillante est suivie d'une attente incertaine. Sans doute Henry Kissinger ne manque-t-il pas d'occupation : outre son enseignement régulier, en sciences gouvernementales, à Harvard, il a créé, avec des subventions extérieures, ce " séminaire d'été " qui familiarise chaque année une soixantaine d'étrangers avec le système américain. Il écrit de nombreux articles. Il s'est classé parmi les plus connus des experts des problèmes de la défense moderne. Les bons offices de ses " consultations " lui valent de nombreux déplacements. Mais si on lui prête toujours une oreille attentive, on ne lui propose pas pour autant de responsabilités officielles. Il ne se sent pas utilisé à la mesure de ses capacités. Il en souffre. Et c'est par entraînement, résignation, attachement passif, qu'il accepte en 1968 d'entrer dans la caravane électorale de Nelson Rockefeller, candidat, battu d'avance, à la présidence. Henry Kissinger est " repêché " par Richard Nixon, dont il devient le conseiller en politique étrangère. Il n'est plus, enfin, l'éternelle " éminence grise " par intermittence. Il inspire, dirige, organise, avec une grande latitude. Les caméras de l'actualité sont braquées sur lui comme sur personne d'autre. Ce n'est pas seulement la gloire, dont il n'a sans doute cure. C'est le pouvoir, l'accomplissement d'une vocation longtemps rentrée. ALAIN CLEMENT Le Monde du 24 août 1973

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