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Article de presse: Imre Nagy, un communiste populaire

Publié le 17/01/2022

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5 juin 1958 - En octobre 1957, une série d'article d'Imre Nagy sont publiés (1). Dans la première phrase de l'édition hongroise, l'auteur indique qu'il s'agit d'une " dissertation " (dolgozat) destinée à justifier son attitude pendant son passage à la présidence du conseil de juillet 1953 à avril 1955, à réfuter les accusations lancées contre lui par Matyas Rakosi et Erno Gerö, à montrer la seule voie praticable vers le socialisme. Ce document est important pour comprendre le climat de la Hongrie à la veille de la révolution. Après avoir prédit plusieurs fois les conséquences désastreuses de la collectivisation et l'industrialisation, après avoir protesté contre " la violation grossière de la légalité socialiste ", Imre Nagy-ex-moscovite, membre du Parti communiste depuis 1918-avait été choisi par Moscou pour inaugurer une nouvelle politique. Il raconte lui-même comment Nikita Khrouchtchev, Anastase Mikoyan et... Molotov ordonnèrent un changement radical de la politique suivie jusqu'alors par Matyas Rakosi. A partir de juillet 1953, Nagy tente d'appliquer à la Hongrie les principes de le NEP : on ralentit la " cadence infernale " de l'industrialisation on encourage les industries de consommation et l'artisanat on allège le fardeau des exploitants agricoles individuels bref, on s'efforce de relever le médiocre niveau de vie de la population. Le nouveau président du conseil essaie de mettre fin aux déportations, de liquider les camps d'internement et de réhabiliter les victimes-vivantes, comme Janos Kadar, ou exécutées, comme Laszlo Rajk-des procès préfabriqués. Mais cette expérience a été sabotée dès le début par les manoeuvres de l'ancienne équipe rakosiste. Les directives d'Imre Nagy sont exécutées à contrecoeur ou ne le sont pas du tout. Dans sa " dissertation ", l'ancien président du conseil décrit le déroulement d'une lutte à l'intérieur du parti, au cours de laquelle les rakosistes employèrent successivement ruse, pression et chantage pour se maintenir au pouvoir. Lorsque, à la fin de 1954, les Soviétiques rectifièrent une fois de plus la ligne générale et mirent fin à l'expérience Malenkov, les rakosistes avaient réussi à convaincre les maîtres du Kremlin que Nagy était " un déviationniste de droite et un nationaliste dangereux ". Bien entendu, on ne lui donne pas l'occasion de se défendre, et c'est pour cela qu'à partir de 1955 Matyas Rakosi, Erno Gerö, Andreas Hegedus et d'autres staliniens cherchèrent à revenir à la situation d'avant 1953, au milieu d'une terreur accrue, et à donner à la vie économique une nouvelle orientation, défavorable une fois de plus au consommateur. Mais, parallèlement à cette tentative de " restalinisation " de la Hongrie, d'importants changements s'opérèrent en politique étrangère. L'Union Soviétique-au moins en paroles-souscrit aux cinq principes de la conférence de Bandoung sur le respect de l'indépendance des Etats, petits et grands Khrouchtchev et Boulganine font le voyage de Belgrade et reconnaissent le droit de chaque nation d'aller au socialisme par une voie qui lui soit propre. C'est exactement ce que réclame Imre Nagy, tombé en disgrâce politique depuis le début de l'année et frappé d'une attaque cardiaque. Le vieux militant s'enferme dans le logement modeste qu'il occupe dans le quartier de Pasaret, à Buda, et rédige un texte à l'intention du comité central. En soulignant l'importance historique de la conférence de Bandoung et de la rencontre de Belgrade, il démontre d'une façon indiscutable que le néostalinisme de Rakosi et de ses acolytes ne pourra sauver le socialisme hongrois d'une catastrophe sans précédent. La renaissance des méthodes policières, dit-il, ne peut que renforcer les réactionnaires et les fascistes, alliés naturels des staliniens et autres secrétaires. Imre Nagy affirme que la politique des blocs est en contradiction avec l'indépendance et avec la souveraineté nationale garanties par les cinq principes de Bandoung et réclame le droit pour la Hongrie de pouvoir jeter les bases d'une politique nationale indépendante. Il veut suivre la voie tracée par Lajos Kossuth, héros national de la révolution de 1848, qui préconisait non pas l'alliance de la Hongrie avec une grande puissance ou un groupe de puissances, mais une étroite coopération politique, économique et culturelle avec les peuples voisins, dans le cadre d'une fédération de peuples libres, jouissant de droits égaux. Imre Nagy, avec l'appui de la majorité de l'opinion publique, désirait voir le bloc soviétique se transformer en une sorte de Commonwealth dont les membres jouiraient, sur le plan politique et sur le plan économique, d'une indépendance réelle, tout en gardant avec l'URSS des liens solides mais reposant sur une " base d'égalité ". On comprend dès lors pourquoi les intellectuels hongrois et de larges couches de la paysannerie et de la classe ouvrière l'ont choisi comme porte-parole de leurs revendications. Le plus grand crime d'Imre Nagy, aux yeux de ses accusateurs, ne réside pas dans ses conceptions politiques et économiques " erronées " mais dans son immense popularité. Paradoxalement, dans un pays où la direction du Parti communiste s'est complètement compromise au cours des années du stalinisme, c'est justement un communiste qui devient le symbole de tout un peuple. Alors qu'un Rakosi, un Gerö ou un Hegedus ne se déplaçaient que dans un convoi de voitures blindées aux rideaux baissées, Imre Nagy-exclu du comité central, limogé de la présidence du conseil-prenait paisiblement l'autobus 5 pour aller de son logement de Pasaret au centre de Budapest. En cours de route, il discutait avec les autres voyageurs de leurs opinions sur la situation politique et économique. Il s'asseyait tranquillement à la terrasse d'une confiserie célèbre, place Vorosmarthy, où des inconnus venaient lui serrer la main. Dans les rues de la capitale, lorsqu'il se promenait, les passants le saluaient. Un soir, alors qu'il s'était rendu au Théâtre Erkel de Budapest, où l'on donnait une représentation de Tannhäuser, le baryton chanta " reviens, reviens " en se tournant vers sa loge. La salle-deux milles trois cents personnes,-joyeusement complice, applaudit à tout rompre... Lorsque le 23 octobre 1956 la manifestation pacifique de la jeunesse de Budapest s'est transformée, du fait de la provocation armée de la police politique, en lutte sanglante, Gerö et Hegedus ont appelé Nagy pour sauver la situation, dans l'espoir qu'ils réussiraient du même coup à le discréditer aux yeux de l'opinion publique. Mais cette tentative s'est soldée par un échec cuisant. En dépit de ses faiblesses et de ses hésitations durant les journées révolutionnaires, Imre Nagy restait l'homme capable de sauver la Hongrie. Appelé au pouvoir in extremis par ses accusateurs de la veille, il n'a pu devenir maître des éléments déchaînés qui voulaient la liberté totale pour le peuple hongrois, oubliant que les Soviétiques ne pouvaient accepter en aucun cas la " libération " de la Hongrie sans risquer la désintégration de leur empire en Europe orientale. Ayant quitté " de (son) gré " en novembre 1956 l'ambassade de Yougoslavie, où il s'était réfugié, il fut envoyé en Roumanie (2). THOMAS SCHREIBER Le Monde du 25 octobre 1957

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