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Article de presse: John Major ou la défaite d'un battant dépourvu de charisme

Publié le 22/02/2012

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1er mai 1997 - John Major aura été à la fois victime de l'usure du pouvoir et des divisions des conservateurs qui, en proie à une sorte de frénésie suicidaire, se sont déchirés à belles dents, en particulier sur l'Europe. En dépit de son manque de charisme, il aura "tenu" six ans et demi après avoir remplacé Margaret Thatcher au pied levé le 28 novembre 1990. Il aura sans doute été l'homme politique le plus sous-estimé en Grande-Bretagne, dans son propre parti comme chez les travaillistes. La Dame de fer rappelle dans ses Mémoires qu'elle l'avait choisi faute de mieux, et qu'il était loin d'être prêt pour le "job". Il est vrai qu'il était difficile de succéder à une autocrate qui avait fait le vide autour d'elle. M. Major n'a pas dû seulement sa rapide ascension à son sérieux mais à ce qu'il était, raconte un ancien confident des deux premiers ministres, l'un des seuls à tenir tête à Maggie. Les volte-face, les humiliations et les coups bas de ses amis politiques ne doivent pas non plus faire illusion. Malgré son air emprunté et ses noeuds de cravate trop gros, son apparence de bonhomme en caoutchouc encaissant les coups pour revenir après à sa position d'antan, l'ex-premier ministre a toujours été plus populaire que son parti. Derrière son sourire se cache un "homme très dur", ambitieux, tenace, reconnaissent même ses adversaires eurosceptiques. "Plus dur que personne n'aurait pu le penser", dit l'un de ses proches, citant les propos d'un ancien ministre : "Il faudra lui décramponner un à un les doigts de la poignée de la porte pour qu'il quitte le 10 Downing Street". Ou qu'il soit battu aux élections. Ainsi, r M. Major à Mme Thatcher ne serait pas équitable. Il lui aura fallu deux ans et la victoire électorale de 1992 que lui doivent les tories, partis battus, pour se démarquer du spectre encombrant et donner un style personnel à son gouvernement. Alors que Mme Thatcher pouvait, par sa personnalité et sa confortable majorité, imposer ses vues à ses collègues, John Major a dû, au contraire, convaincre, tenter d'unifier les courants opposés de son parti : "Il n'était plus le PDG du gouvernement, mais une sorte de président honoraire, gérant mais ne dirigeant pas", estime un député tory. Pour mieux comprendre les années Major, mieux vaut commencer par le début. Contrairement à ses prédécesseurs, ce fils de forain recyclé dans le commerce de nains de jardin n'est pas passé par l'université et doit tout à sa ténacité : c'est par les cours du soir et la politique dans sa banlieue pauvre de Brixton qu'il s'est hissé à la force du poignet, à quarante-sept ans, après seulement onze ans aux Communes et quatre au gouvernement, au poste de premier ministre, à la surprise de tous. C'est là qu'il a cultivé ses qualités de persuasion, de tacticien parlementaire prompt à prendre l'opposition à contre-pied, sa résistance aux coups jointe à une réputation de chic type : "L'ami de tous, mais un homme dont les vrais amis se comptent sur les doigts d'une main." Et qui tranche par son honnêteté dans un parti secoué par les scandales. Choisi pour sa fidélité Il est clair que les travaillistes n'aiment pas cet homme issu d'un milieu modeste mais aux positions très à droite. "Il y a un clivage quasi schizophrénique entre son ambition, l'héritage qu'il défend et ses convictions profondes, qui sont plus décentes", nous disait un élu du Labour pour qui "Major sait tracer un chemin dans la jungle, il est compétent en cas de danger, mais il ne sait pas où il va. Il n'a ni but ni vision". Peu connu quand il a été propulsé aux affaires, choisi plus pour sa fidélité que pour ses idées propres. "Il ne vit pas dans le monde des grandes idées, mais des problèmes pratiques", dit quelqu'un qui le connaît bien, en expliquant qu' "il a longtemps eu peur d'entrer dans l'histoire comme le premier ministre qui aura eu le mandat le plus bref. Sa victoire en 1992 lui a permis de surmonter ce complexe". John Major est sans doute également mal à l'aise devant l'attitude de certains de ses députés qui ont mené contre lui, au nom d'une nostalgie du thatchérisme ou de leur haine de l'Europe, une véritable guerre de religion. Ou comme ceux qui, cultivant leur différence sociale avec un homme utile pour remporter une élection mais qui n'est "pas de notre monde", se gaussent de son accent ou de son comportement petit-bourgeois. Parlant de sa femme, Norma, un vieux conservateur déclarait crûment : "De mon temps, elle n'aurait franchi la porte du ``10`` que comme employée de maison." Pourtant, en y regardant de plus près, il est clair que si la Grande-Bretagne n'est pas entrée dans une ère nouvelle, un "effet Major" a bien remplacé l' "effet Thatcher". M. Major n'a pas trahi celle à laquelle il devait sa carrière, mais il a su imprimer un souffle différent à la ligne ultralibérale engagée en 1979. En politique étrangère tout d'abord, il a immédiatement été placé face au conflit du Golfe, dont il s'est tiré au mieux avec calme, sans mélodrame. Pour ne pas parler de l'Europe, qui aura été son chemin de croix, comme elle avait amené la chute de la Dame de fer. Un temps européen convaincu, c'est lui qui persuada Mme Thatcher de rejoindre le système monétaire européen avant d'être contraint d'en sortir en 1992. Depuis, ses affinités européennes se sont érodées au profit d'une méfiance de plus en plus affichée sous la pression d'eurosceptiques qu'il avait pourtant qualifiés de "bâtards" dans un moment de colère. L'homme qui parvint à forcer un vote en faveur de Maastricht est apparu chaque jour plus hostile à ses conséquences, la tactique l'ayant emporté sur les convictions. C'est sur l'épineuse question d'Irlande du Nord "qu'il a le plus manifesté ses qualités de négociateur patient et obstiné". Après vingt-cinq ans de guerre civile, ses initiatives ont conduit au cessez-le-feu de l'IRA du 30 août 1994. Le refus de Londres de vraiment négocier en raison des pressions des unionistes, indispensables pour conforter la faible majorité des tories aux Communes, et l'obstination de l'IRA auront eu raison du désir de paix de la population. Mais aucun de ses prédécesseurs n'aura pris autant de risques pour la paix. Sur le plan intérieur, les résultats ont été plus confus. L'émergence du nouveau Labour de Tony Blair ont acculé les tories dans les cordes. Obligé d'augmenter la pression fiscale, contrairement à ses promesses, alors que les services sociaux étaient rognés pour des raisons d'économie comme de doctrine le gouvernement Major a toutefois su profiter de la conjoncture pour relancer l'économie et réduire le chômage. Ses rivalités internes et ses divisions sur l'Europe l'ont miné alors que le Labour avait le vent en poupe. Mettant l'idéologie avant le pouvoir, tentés par une cure d'opposition d'où devrait sortir leur rédemption, persuadés qu'une victoire travailliste était inéluctable, certains tories ont poussé à la catastrophe, persuadés que le Labour s'autodétruirait très vite et qu'ils reviendraient triomphants, comme Maggie en 1979. Dans cette atmosphère délétère, M. Major aura réussi l'impossible : survivre face à ses ennemis, mais surtout contre ses propres amis. Au prix cependant de contorsions et de reculades politiques permanentes et de ses propres contradictions : considéré comme réformiste à son entrée aux Communes, il aura étendu la privatisation à des services publics comme les chemins de fer auxquels Mme Thatcher n'avait pas osé s'attaquer, se faisant l'avocat d'une idéologie poussée à ses extrêmes. Cet homme que l'on disait plus "social" que la Dame de fer aura encore aggravé les inégalités. Il lui reste désormais à mener sa dernière bataille : celle de sa survie à la tête des conservateurs. PATRICE DE BEER Le Monde du 3 mai 1997

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