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Article de presse: La chimie de Genève

Publié le 17/01/2022

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19-21 novembre 1985 - " Le plus important est que les deux hommes ont pris complètement les choses en main. (...) La durée, l'intensité, la franchise et l'envergure de leurs entretiens en tête à tête au coin du feu sont allées au-delà de tout ce que nous attendions (...). C'était réellement ce que nous étions venus chercher, et cela a été très fructueux ". Ce commentaire de George Shultz, le secrétaire d'Etat américain, résume au mieux le bilan que l'on dresse aujourd'hui non seulement à Washington mais dans la plupart des capitales du sommet Reagan-Gorbatchev de Genève. " La chimie a bien fonctionné ", comme on dit aux Etats-Unis, en d'autres termes le président américain et le nouveau numéro un soviétique semblent s'être découvert des atomes crochus : ce sont essentiellement en effet la durée des entretiens confidentiels mais aussi le climat-beaucoup plus amical que prévu-de la rencontre et de ses à-côtés qui ont constitué la surprise. Car, pour ce qui est du fond, tout semble indiquer que l'on en reste sensiblement au même point. Le désaccord sur l'initiative américaine de défense stratégique (IDS) est ouvertement admis et, si un accord de principe a été confirmé pour une réduction de 50 % des armements nucléaires offensifs, les divergences demeurent les mêmes tant sur le mode de comptage que, semble-t-il, sur le préalable posé par Moscou à sa réalisation : l'abandon de l'IDS. Selon des indications américaines, Mikhaïl Gorbatchev n'aurait même pas été intéressé par l'offre de Ronald Reagan de se conformer au traité ABM de 1972 pour les tests de son bouclier spatial : c'est l'arrêt pur et simple de la recherche et l'interdiction de tout essai qu'il continuerait d'exiger. Cela dit, il reste à voir si quelques ouvertures n'ont pas été faites dans les conversations au coin du feu. Mikhaïl Gorbatchev est un réaliste; la principale leçon de ce sommet est précisément qu'il a décidé de vivre avec des désaccords et de renouer avec les Etats-Unis non seulement un dialogue suivi mais aussi des relations bilatérales beaucoup plus intenses : impressionnante au moins par son volume, la liste des accords conclus dans ce domaine en marge du sommet donne l'impression de se retrouver dans les années 1972-1974, au temps de la grande détente Brejnev-Nixon. Sans doute le dirigeant soviétique joue-t-il sur la durée : il peut espérer que l'IDS, du moins dans sa forme actuelle, ne survivra pas au départ de son initiateur de la Maison Blanche dans trois ans, que l'opinion américaine se lassera et que le Congrès refusera les crédits. Mais, dans l'immédiat, il a pris le risque de conforter les durs de l'équipe Reagan, en leur donnant à penser que leur fermeté a été payante. Le président des Etats-Unis, s'il n'a fait aucune concession de fond, a dû pour sa part modérer son langage, oublier l' " empire du mal " et créditer son interlocuteur de sincérité dans la recherche de la paix. Dans les deux cas, les principaux acteurs du sommet de Genève devront certainement affronter dans les mois qui viennent les critiques ou manoeuvres d'obstruction des membres les plus rigides de leur entourage. Mais la réaction des opinions devrait les encourager à maintenir la " chimie " de Genève. En URSS comme aux Etats-Unis, les peuples préfèrent bien entendu la paix, mais aussi le dialogue. BULLETIN DE L'ETRANGER Le Monde du 23 novembre 1985

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