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Article de presse: La chute de la monarchie irakienne

Publié le 17/01/2022

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14 juillet 1958 - Lundi 14 juillet 1958. L'aube va bientôt se lever. Bagdad est encore endormie. Comparée au Caire ou à Damas, qu'elle jalouse, ce n'est plus qu'une grosse bourgade. Rien n'y rappelle les splendeurs des Mille et Une Nuits et les palais de Haroun Al Rachid. Tout paraît calme. Les écoliers sont en vacances, les chefs politiques en prison ou en exil. La population est prostrée dans une sorte de torpeur. Soudain, la radio diffuse une insolite Marseillaise et une voix hurle : " Ici la République d'Irak. C'est votre jour de victoire et de gloire. L'ennemi de Dieu et son maître ont été tués et gisent dans la rue. " C'est par cette phrase que les Irakiens-et le monde-apprennent que la révolution vient de renverser la monarchie. Toute la ville se réveille. La foule électrisée se précipite dans la rue et fonce vers le palais royal en criant " Vive la République, mort au roi ! " Pourtant, au moment où l'annonce de la radio est faite pour la première fois, la famille royale n'a pas encore été massacrée. Elle le sera une heure plus tard... Le 13 au soir, on ne se doute de rien au petit palais Rihab, grosse demeure bâtie au bord du canal Wachache, au sud-ouest de la ville, au milieu des eucalyptus et des lauriers-roses qui apportent un peu de fraîcheur dans l'enfer de l'été irakien. Le roi Fayçal II, descendant de Hachem, bisaïeul du prophète Mohamed, chef du clan des khoreichites, maîtres de La Mecque, n'a que vingt-trois ans. En 1916, son grand-père, Hussein, avait proclamé la révolte contre les Turcs. Il espérait devenir roi des Lieux saints de l'islam, mais c'est Ibn Saoud qui a gagné. Depuis, c'est la famille des rois maudits : les uns ont été vaincus, d'autres ont été assassinés, d'autres sont devenus fous. Fiancé avec la belle princesse Fazileh, qui n'a que seize ans, le souverain attend qu'elle achève ses études à Londres pour l'épouser dans quelques semaines. Le vrai maître du palais est Abd Al Ilah, son oncle. Ancien régent, ce quadragénaire énergique, marié à une toute jeune femme, demeure prince héritier. Il est aussi détesté que le premier ministre Nouri Saïd, Kurde de soixante-dix ans, surnommé " le renard de Bagdad ". Aucun des deux n'ignore que la foule murmure, sur le passage de leurs limousines blindées : " khayen " (traître). Intelligents, compétents, ils ont le tort d'être les " hommes des Anglais " dans un Proche-Orient où Nasser s'est fait le chantre de l'arabisme et du nationalisme. Le Proche-Orient, une fois de plus, est en ébullition. Et cette situation sert les insurgés. L'attaque tripartite franco-anglo-israélienne qui a suivi la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez a incité l'Egypte et la Syrie à proclamer la République arabe unie le 1er février 1958. Deux semaines plus tard, l'Irak et la Jordanie ripostent en créant l'Union arabe, que préside Fayçal. Le Liban est en effervescence depuis le mois de mai. Le prince Abd Al Ilah a donné l'ordre à la 19e brigade du général Abdel Karim Kassem et à la 20e, commandée par le général Haki, de faire mouvement, cette nuit même, vers la Jordanie pour y renforcer les troupes de Hussein en vue d'intervenir contre la Syrie. Ces deux brigades sont exceptionnellement dotées de munitions pour leur permettre d'accomplir leur mission. Abd Al Ilah ne se méfie pas. Les officiers libres irakiens ont mis à profit ces avantages inespérés pour assurer le succès de leur propre plan. La 19e brigade quitte à 21 heures le camp de Jalula, situé à 100 kilomètres au nord-est de Bagdad, pour rejoindre Fallouja, à l'ouest. Le général Haki, qui n'est pas du groupe, traverse rapidement la capitale, laissant, sans le savoir, les mains libres à son second, le colonel Abdel Salam Aref, cerveau du complot avec Kassem. Il est 3 heures quand Aref fait halte au poste de Cassel, à 30 kilomètres de Bagdad, où il indique leurs objectifs aux trois chefs de bataillons engagés dans l'opération. Le colonel Aref repart à 4 heures à la tête d'une cinquantaine d'hommes, de quelques voitures blindées et de deux jeeps équipées de bazookas. Ce sont elles qui se présentent devant le palais Rihab, après avoir traversé Bagdad, vers 5 heures. Le commandant de la garde royale, Taha Al Barmani, n'oppose guère de résistance, peut-être parce que le prince héritier le lui a ordonné dans l'espoir d'épargner la famille. Mais peut-être cherche-t-il tout simplement à sauver sa peau. Le roi et le prince envoient un messager aux assaillants qui ont pénétré dans la place pour qu'il négocie leur reddition, avec le commandant Sab. La discussion est orageuse et le malheureux est tué. Ignorant le sort réservé à leur émissaire, le roi et les princesses descendent au rez-de-chaussée sous la conduite d'Abd Al Ilah, persuadés d'être épargnés. Les militaires les poussent vers le jardin par une porte dérobée, en compagnie de leurs domestiques. Le commandant Sab, qui les a cherchés à l'intérieur sans les trouver, sort furieux, et, croyant qu'ils cherchent à fuir-ou exécutant un ordre d'Aref ?-ouvre le feu. Le roi et les siens s'écroulent, criblés de balles. La foule, hurlante, déferle peu après, armée de gourdins, de broches, de couteaux et même de ciseaux. Des militaires enroulent le corps du roi dans un tapis et vont l'enterrer secrètement, abandonnant le cadavre d'Abd Al Ilah à la vengeance populaire. A la radio, la Marseillaise alterne avec les communiqués militaires. Quinze textes sont aussitôt diffusés par le Conseil de la révolution. Ils annoncent, pour commencer, la constitution d'un Conseil de souveraineté de trois membres : un sunnite, le général Nagib Roubaï un chiite, Mohamed Mahdi Koubba, ennemi traditionnel de la monarchie et un Kurde, Khali Naqchabandi. Trois décrets abrogent le régime monarchique, instaurent la République et désignent le général Al Azmah comme chef d'état-major. Un autre communiqué annonce la composition du gouvernement, formé de sept militaires et de sept civils. Le général Kassem cumule les fonctions de premier ministre et de ministre de la défense, il est assisté du colonel Aref, vice-président du conseil et ministre de l'intérieur. Liquidations " Aujourd'hui, il faut tuer ou être tué ", ne cesse de répéter la radio. Ce 14 juillet 1958 est dans la tradition. La foule déboulonne les statues du général anglais Maude, qui occupa Bagdad en 1917, et du roi Fayçal Ier. Elle met le feu à l'ambassade de Grande-Bretagne, tandis que l'armée protège l'ambassadeur et ses collaborateurs en les conduisant dans un hôtel. Un ministre jordanien en visite est lynché et décapité : on l'a confondu avec un ministre irakien. " Liquidez les traîtres, les oppresseurs et les valets de l'impérialisme ! " hurle la radio, et la population de donner la chasse aux ministres, qui ne devront la vie sauve qu'à l'armée. Le général Kassem entre à Bagdad vers midi, après avoir libéré les détenus politiques de la prison de Baakouba. Une inquiétude empoisonne toutefois la joie des officiers libres : Nouri Saïd, " l'ennemi de Dieu ", est toujours en liberté. Informé de la prise de la radio peu après 4 heures, il s'est enfui de chez lui, encore en pyjama, par le fond du jardin pendant que les militaires assiégeaient sa maison. Vieux, malade, épuisé par les veilles, empêtré dans son déguisement de femme, il n'ira pas loin. La nouvelle de sa présence s'est répandue dans le quartier. Son pantalon de pyjama-tenue exclusivement masculine-et ses chaussures le trahissent. Des enfants le désignent du doigt en criant : " Nouri Saïd, Nouri Saïd... " C'est la curée. Il se met à courir comme un taureau dans l'arène. Quand il voit surgir une jeep militaire, il comprend qu'il va recevoir l'estocade. Il sort son revolver et se donne la mort. Il est 13 heures. Le corps de Nouri Saïd est transporté au ministère de la défense, où s'est installé Kassem. Son fils, Sabah, court à la radio, qui a annoncé sa mort, pour demander où il peut récupérer la dépouille mortelle : il est abattu sur-le-champ. En ville, l'excitation est à son comble. Pour éviter une émeute, Kassem décrète le couvre-feu et ordonne à l'armée d'enterrer secrètement le père et le fils au cimetière d'Azamiya. Le 20 juillet est créé le tribunal du peuple, que préside le colonel Fadel Mahdawi, le " colonel rouge ", que la presse française appelle le " Fouquier-Tinville irakien " parce qu'il envoie allègrement à la potence, non pas tant les notables de l'ancien régime comme Fadel Jamali et Nadim Pachachi, que les officiers nassériens et baasistes, dans lesquels Kassem voyait des rivaux potentiels. Derrière les congratulations entre Le Caire et Bagdad se profile déjà la brouille entre Nasser et Kassem, reflet d'une ancestrale rivalité semblable à celle qui a toujours opposé l'Irak et la Syrie. Le 27, enfin, est promulguée une Constitution provisoire : elle remplace celle de 1924, d'inspiration britannique. Elle proclame : " L'Etat irakien fait partie intégrante de la nation arabe " (art. 2), et emprunte à la Révolution de 1789 : " Le peuple est la source de tous pouvoirs ". L'Irak, qui se retirera en 1959 du pacte de Bagdad, s'engage dans la voie du neutralisme et du non-alignement. Il aura suffi de deux semaines pour que l'Etat change de visage. Bagdad commence à devenir une vraie capitale, tandis que le pays entre dans un cycle révolutionnaire qui allait durer une décennie. Par la suite, Kassem écarte Aref et s'appuie sur les communistes pour s'opposer aux nassériens et aux baasistes, dont quelques milliers seront tués en 1959 à Mossoul. Lui-même est assassiné en 1963. PAUL BALTA Le Monde du 11 juillet 1983

« A la radio, la Marseillaise alterne avec les communiqués militaires. Quinze textes sont aussitôt diffusés par le Conseil de la révolution. Ils annoncent, pour commencer, la constitution d'un Conseil de souveraineté de trois membres : un sunnite, le général NagibRoubaï un chiite, Mohamed Mahdi Koubba, ennemi traditionnel de la monarchie et un Kurde, Khali Naqchabandi.

Troisdécrets abrogent le régime monarchique, instaurent la République et désignent le général Al Azmah comme chef d'état-major.

Unautre communiqué annonce la composition du gouvernement, formé de sept militaires et de sept civils.

Le général Kassem cumuleles fonctions de premier ministre et de ministre de la défense, il est assisté du colonel Aref, vice-président du conseil et ministre del'intérieur. Liquidations " Aujourd'hui, il faut tuer ou être tué ", ne cesse de répéter la radio. Ce 14 juillet 1958 est dans la tradition.

La foule déboulonne les statues du général anglais Maude, qui occupa Bagdad en1917, et du roi Fayçal Ier.

Elle met le feu à l'ambassade de Grande-Bretagne, tandis que l'armée protège l'ambassadeur et sescollaborateurs en les conduisant dans un hôtel.

Un ministre jordanien en visite est lynché et décapité : on l'a confondu avec unministre irakien.

" Liquidez les traîtres, les oppresseurs et les valets de l'impérialisme ! " hurle la radio, et la population de donnerla chasse aux ministres, qui ne devront la vie sauve qu'à l'armée.

Le général Kassem entre à Bagdad vers midi, après avoir libéréles détenus politiques de la prison de Baakouba. Une inquiétude empoisonne toutefois la joie des officiers libres : Nouri Saïd, " l'ennemi de Dieu ", est toujours en liberté.Informé de la prise de la radio peu après 4 heures, il s'est enfui de chez lui, encore en pyjama, par le fond du jardin pendant queles militaires assiégeaient sa maison. Vieux, malade, épuisé par les veilles, empêtré dans son déguisement de femme, il n'ira pas loin.

La nouvelle de sa présences'est répandue dans le quartier.

Son pantalon de pyjama-tenue exclusivement masculine-et ses chaussures le trahissent.

Desenfants le désignent du doigt en criant : " Nouri Saïd, Nouri Saïd...

" C'est la curée.

Il se met à courir comme un taureau dansl'arène.

Quand il voit surgir une jeep militaire, il comprend qu'il va recevoir l'estocade.

Il sort son revolver et se donne la mort. Il est 13 heures.

Le corps de Nouri Saïd est transporté au ministère de la défense, où s'est installé Kassem.

Son fils, Sabah,court à la radio, qui a annoncé sa mort, pour demander où il peut récupérer la dépouille mortelle : il est abattu sur-le-champ.

Enville, l'excitation est à son comble.

Pour éviter une émeute, Kassem décrète le couvre-feu et ordonne à l'armée d'enterrersecrètement le père et le fils au cimetière d'Azamiya. Le 20 juillet est créé le tribunal du peuple, que préside le colonel Fadel Mahdawi, le " colonel rouge ", que la presse françaiseappelle le " Fouquier-Tinville irakien " parce qu'il envoie allègrement à la potence, non pas tant les notables de l'ancien régimecomme Fadel Jamali et Nadim Pachachi, que les officiers nassériens et baasistes, dans lesquels Kassem voyait des rivauxpotentiels.

Derrière les congratulations entre Le Caire et Bagdad se profile déjà la brouille entre Nasser et Kassem, reflet d'uneancestrale rivalité semblable à celle qui a toujours opposé l'Irak et la Syrie. Le 27, enfin, est promulguée une Constitution provisoire : elle remplace celle de 1924, d'inspiration britannique.

Elle proclame :" L'Etat irakien fait partie intégrante de la nation arabe " (art.

2), et emprunte à la Révolution de 1789 : " Le peuple est la sourcede tous pouvoirs ".

L'Irak, qui se retirera en 1959 du pacte de Bagdad, s'engage dans la voie du neutralisme et du non-alignement.

Il aura suffi de deux semaines pour que l'Etat change de visage.

Bagdad commence à devenir une vraie capitale,tandis que le pays entre dans un cycle révolutionnaire qui allait durer une décennie. Par la suite, Kassem écarte Aref et s'appuie sur les communistes pour s'opposer aux nassériens et aux baasistes, dont quelquesmilliers seront tués en 1959 à Mossoul.

Lui-même est assassiné en 1963. PAUL BALTA Le Monde du 11 juillet 1983. »

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