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Article de presse: La découverte du charnier de Katyn

Publié le 22/02/2012

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5 mars 1940 - La nuit du 12 au 13 avril 1943, la radio allemande annonce la découverte, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, d'un charnier contenant les corps de plusieurs milliers d'officiers polonais : " Il a été trouvé un fossé de 28 mètres sur 16 dans lequel étaient empilés en douze couches les cadavres de 3 000 officiers polonais [...] vêtus de leurs uniformes, certains étaient ligotés, tous avaient des blessures par balle dans la nuque. " " Il n'y aura aucune difficulté à identifier ces cadavres, poursuit le communiqué, car, grâce à la nature du terrain, ils sont complètement momifiés et les Russes ont laissé sur eux tous leurs papiers personnels. " Après deux jours de silence, le 15 avril, Radio-Moscou repousse ces accusations en dénonçant les " monstrueuses calomnies " de la propagande allemande et donne sa propre version des faits : ce sont les " bandits germano-fascistes " qui auraient assassiné les officiers polonais, tombés entre leurs mains en 1941, alors qu'ils étaient " affectés à des travaux de construction dans la région de Smolensk ". Après l'attaque allemande, Staline a changé son fusil d'épaule : un traité est signé le 30 juillet 1941 avec le gouvernement en exil, qui prévoit la formation d'une armée polonaise sur le territoire soviétique. Mais lorsque le général Anders, libéré peu après d'une prison moscovite, entreprend de mettre sur pied cette armée, il éprouve les plus grandes peines à rassembler les officiers détenus en URSS : sur quelque quinze mille internés dans les camps de Kozelsk, Ostachkov et Starobelsk, quatre cents seulement ont rejoint le général : ceux-là ont été transférés ailleurs au printemps 1940 et ignorent le sort de leurs compagnons de captivité. Un lieu d'exécution de masse Les autorités soviétiques, interrogées, se montrent très évasives. Après avoir brièvement hésité, le gouvernement polonais demande, le 17 avril, une enquête de la Croix-Rouge internationale. Mais il est pris de vitesse par une demande analogue formulée la veille par le gouvernement du IIIe Reich. La concomitance crée l'impression fâcheuse d'une action concertée entre Allemands et Polonais et prête le flanc aux anathèmes de la propagande soviétique contre les " collaborateurs polonais d'Hitler " Le fond de l'affaire est occulté par la tempête diplomatique qu'elle déclenche : le 23 avril, arguant de l'opposition de l'URSS, la Croix-Rouge rejette la demande polonaise d'enquête. Mais les preuves de la culpabilité soviétique sont si confondantes que les nazis, experts en barbarie autant qu'en propagande, jouent sur le velours. Ils invitent à Katyn une commission internationale d'experts en médecine légale ainsi que des délégués de la Croix-Rouge polonaise. Le rapport établit que la quasi-totalité des victimes ont été tuées d'une ou de deux balles tirées à bout portant dans la nuque. La plupart des cadavres ont les mains liées derrière le dos et ont été ensevelis dans les uniformes - d'hiver - qu'ils portaient au moment de leur mort. Dans certaines fosses sont ensevelis les corps de civils, hommes et femmes, et de militaires, qui reposent là depuis beaucoup plus longtemps. Ils ont été exécutés avec le même angle de tir et le même trou dans la nuque que les officiers polonais. La forêt de Katyn était manifestement un lieu d'exécution de masse, bien avant de servir de sépulture aux officiers polonais. Pourtant, les cartouches et les balles retrouvées sur place sont d'origine allemande. Les Allemands tentent de dissimuler ce fait ou admettent avec embarras que l'Allemagne a dans le passé exporté de grandes quantités de ces munitions. Dès septembre 1943, après la libération de Smolensk par l'armée rouge, Moscou dépêche à Katyn une " commission spéciale " d'enquête, où ne figurent que des Soviétiques. A l'issue de l'audition d'une centaine de témoins, la commission confirme la version initiale : les prisonniers polonais étaient détenus dans trois camps, à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de Smolensk, que les autorités soviétiques, surprises par l'avance de la Wehrmacht, n'avaient pas eu le temps d'évacuer. Les Allemands les avaient exécutés fin 1941 puis, deux ans plus tard, pressentant un retournement de la situation militaire, avaient imaginé une " provocation " pour imputer à l'Union soviétique la responsabilité du massacre : ils avaient ainsi fait exhumer les corps par des prisonniers russes, retirer des documents postérieurs à avril 1940 puis les avaient fait réensevelir. En 1992, la preuve indiscutable Contredite par les observations des experts, cette thèse se heurte au scepticisme des Polonais. Une question lancinante demeure : que sont devenus les quelque dix mille cinq cents prisonniers des camps de Starobelsk et Ostachkov ? Seuls, en effet, ceux de Kozelsk ont été retrouvés à Katyn. Les rumeurs les plus folles circulent alors : les détenus auraient été embarqués à bord de barges coulées dans les eaux glacées de la mer Blanche. Jouant de l'erreur initiale de la propagande allemande, les Soviétiques font croire que la forêt de Katyn contient la totalité des corps de Polonais disparus, se dispensant de la sorte de répondre sur le sort des autres disparus. Et surtout, raison d'Etat oblige, l'affaire est maintenue sous une chape de plomb par les Alliés pour ne resurgir qu'à l'automne 1945, dans l'acte d'accusation introduit devant le tribunal de Nuremberg. Les Soviétiques multiplient avec succès les manoeuvres pour faire endosser leur propre version des faits. Curieusement, même le gouvernement, déjà pro-communiste, de Varsovie s'abstiendra de verser l'affaire au dossier, pourtant très nourri, remis au tribunal sur les crimes de guerre nazis. Les juges ne sont manifestement pas convaincus de la culpabilité allemande : le jugement, rendu le 30 septembre 1946, ne comporte aucune mention du massacre de Katyn. Le 14 octobre 1992, un émissaire du président Eltsine remet au président Walesa un jeu de photocopies où figure la preuve indiscutable de la culpabilité soviétique : une décision, datée du 5 mars 1940 et signée de la main de Staline, du bureau politique, qui ordonne au NKVD de procéder à l'exécution de 25 700 officiers, fonctionnaires et " éléments contre-révolutionnaires divers ". STEPHANE MEYLAC Le Monde du 11-12 avril 1993

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