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Article de presse: La dernière soirée de Saigon

Publié le 17/01/2022

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30 avril 1975 - Saigon l'indolente a vécu, le mardi 29 avril, une soirée d'hystérie. Depuis la fin de la matinée, c'était le carrousel assourdissant des hélicoptères qui, par douzaines, faisaient inlassablement le va-et-vient entre les points de rassemblement, en ville, des Américains et des Vietnamiens qui avaient obtenu d'être évacués, et la mer, où les attendaient des bâtiments de la marine de guerre des Etats-Unis. Le bourdonnement des appareils filant au ras des toits n'était couvert, de temps à autre, que par le rugissement des chasseurs supersoniques protégeant le couloir aérien. Au fur et à mesure que les Américains évacuaient les immeubles officiels et les domiciles privés, le pillage s'amplifiait. Une ville entière s'est mise à vider les locaux de ses " protecteurs " d'hier de tout ce qu'ils contenaient. Militaires, policiers et civils hommes et femmes, jeunes et vieux, confondus, emportent tout ce qui leur tombe sous la main. Des réfrigérateurs, des climatiseurs, des récepteurs de télévision et de radio, des cartons de boîtes de conserve. Au " Brinks ", un hôtel autrefois réservé aux officiers américains, des bandes de jeunes gens armés appartenant à la milice de défense populaire arrachent tout, emportant tout ce qu'ils peuvent. Au siège d'une association de bienfaisance catholique, on déménage jusqu'à des soutanes et des surplis. D'autres pillards s'en prennent aux automobiles et autres véhicules américains, les démontant lorsqu'ils ne peuvent les faire démarrer. Certaines de ces scènes ont lieu à quelques mètres de l'ambassade américaine, où de nombreuses personnes attendent d'être évacuées. Cependant, des Vietnamiens tentent encore de pénétrer à l'intérieur de l'édifice dans l'espoir, de plus en plus hypothétique, de se faire évacuer. Un gros orage qui éclate en fin d'après-midi ne décourage pas les pillards. Une partie du butin est aussitôt transférée chez les petits marchands qui composent, au centre de Saigon, le célèbre marché aux voleurs. Vers 19 heures, l'électricité est coupée. Une heure durant, Saigon est plongée dans une obscurité profonde, que trouent, ici et là, les balises des aires d'atterrissage des hélicoptères, dont celles, rouges et blanches, de l'ambassade américaine. Au début de la soirée, le Front national de libération accusait, pour la première fois, sur les ondes de Radio-Giai Phong, " la clique belliciste Duong Van Minh-Nguyen Van Huyen de s'obstiner inutilement ". Elle appelait " la population saigonnaise et les forces armées des fantoches à se soulever pour libérer la ville ". Le nouveau commandant en chef que venait de désigner le général Minh lançait pour sa part un appel à la discipline, que nul ne se souciait d'entendre, à en juger par les bandes de soldats dépenaillés qui erraient dans la capitale. Peu après 23 h 30, les feux des derniers hélicoptères balayaient les maisons de Saigon, qui retrouvait, soudain, un silence oppressé. Cependant, les duels d'artillerie se poursuivaient autour de Tan-Son-Nhut. Pourtant, des pourparlers étaient en cours à l'intérieur même de la base. Une première rencontre avait eu lieu dans la matinée entre deux émissaires du président Minh et les représentants de la délégation du gouvernement révolutionnaire provisoire. Peu avant minuit, on apprenait l'échec des négociations et l'appel au cessez-le-feu du président Minh. Sous une pluie fine, les premiers chars du FNL commençaient à entrer dans les rues désertes de Saigon. AFP Le Monde du 2 mai 1975

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