Devoir de Philosophie

Article de presse: La fusion AFL-CIO

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

9 février 1955 - L'accord de principe qui vient d'être conclu entre l'American Federation of Labor (AFL) et le Congress of Industrial Organization (CIO), marque une étape importante vers la fusion des deux grandes centrales syndicales américaines. Si, comme tout le laisse prévoir, cet accord obtient la ratification des " conventions " annuelles des deux syndicats, près de seize millions de travailleurs américains se trouveront placés sous une direction unique. A côté de cette masse populaire puissante, les syndicats autonomes ne représentent qu'un million et demi d'adhérents. Dès avant la guerre, les dirigeants de l'AFL et du CIO avaient envisagé semblable fusion. Ces tentatives n'aboutirent pas, car les deux centrales se heurtaient à la fois sur des questions de méthode et sur leur orientation politique, pendant que les conflits de personnes achevaient d'envenimer les rapports. La plupart de ces obstacles ont aujourd'hui disparu. C'est là un événement capital dans l'histoire du mouvement ouvrier américain. Un examen rapide de l'évolution accomplie permet d'apprécier la portée politique de la fusion en voie de réalisation. Divisions syndicales La vieille AFL s'était, dès l'origine, organisée en " syndicats de métier ". Sa clientèle se recrutait en majorité parmi les ouvriers spécialisés, de beaucoup les plus favorisés, ce qui lui donnait un petit air tranquillement conservateur, pendant que se développait la production de masse dont les ouvriers, simples manoeuvres affectés à une " chaîne ", ne trouvaient aucun syndicat auquel ils pussent adhérer. Cette structure faisait à chaque pas surgir de violents conflits à l'intérieur même de l'AFL. A Hollywood, la réalisation d'un film fut récemment interrompue pendant des semaines parce que deux syndicats de l'AFL se disputaient l'honneur d'arrondir les charmes des vedettes. Conflit de compétence également dans le New-Jersey, où deux syndicats, le Sheet Metal Workers et l'Ironworkers, tous deux affiliés à l'AFL, paralysent un chantier : l'épaisseur des tôles employées déterminera l'organisation compétente pour effectuer le travail. Et de graves juristes se penchent sur le problème... Mais surtout l'évolution des méthodes de production augmente chaque jour le nombre d'ouvriers non spécialisés qui ne trouvent pas de place dans les " syndicats de métier " de l'AFL. Or, de toute évidence, les simples manoeuvres sont appelés à devenir la majorité dans la classe ouvrière. Ils sont en outre les plus défavorisés. Ce sont eux qu'il faut organiser si le syndicalisme américain veut répondre aux véritables besoins des travailleurs. John Lewis, qui règne sur six cent mille mineurs, intervient en ce sens au congrès AFL de 1935. Les vagues promesses qui lui sont données ne seront pas tenues. Ainsi prend naissance le CIO. La nouvelle organisation se développe rapidement. C'est l'époque bénie du New Deal : Roosevelt soutient les syndicats, dont les effectifs quadruplent de 1932 à 1940; les syndicats soutiennent Roosevelt et facilitent sa réélection. Les travailleurs découvrent l'influence politique qu'ils peuvent avoir. Un siècle plus tôt leur tentative de créer un " parti ouvrier " avait lamentablement échoué. En 1924, l'AFL avait donné sans résultat son appui au " progressiste " Bob La Follette, candidat à la Maison Blanche. Mais maintenant, grâce à Roosevelt, le vent leur était favorable. Et cela suffit à exacerber les rivalités personnelles. John Lewis, " tsar " des mineurs, illustre admirablement la nature de ces querelles. Après avoir financé la campagne électorale de Roosevelt, il envisageait fort bien de lui succéder à la présidence des Etats-Unis. On imagine la réaction de " FDR ". En 1940 Lewis soutient donc Wendell Wilkie, dont l'échec oblige le chef des mineurs à abandonner la direction du CIO. Mais un personnage comme Lewis ne peut vivre en sous-ordre. En 1942 il quitte le CIO, qu'il a fondé, rentre en 1946 à l'AFL, qu'il avait reniée, la quitte de nouveau en 1947. Walter Reuther, aujourd'hui président du CIO, n'a pas davantage échappé aux querelles de personnes. En 1945 il lance dans une grève de cent treize jours les trois cent cinquante mille ouvriers de General Motors. Le syndicat des ouvriers de l'automobile, dont il est alors l'un des vice-présidents, englobe deux autres secteurs (Chrysler et Ford), dont les dirigeants lui sont hostiles. Un double calcul le pousse à limiter la grève à General Motors : celle-ci craindra de perdre une part de ses marchés au profit de concurrents,-mais en même temps le succès de cette grève renforcera le prestige de Walter Reuther et lui permettra de triompher des autres vice-présidents du syndicat de l'automobile. Les grévistes obtiennent partiellement satisfaction, la gloire vient auréoler Walter Reuther, mais les concessions du patronat eussent été plus grandes si l'ambition n'avait pas poussé Walter Reuther à limiter la grève aux seules usines de General Motors. Conflits de compétence entre les différents " syndicats de métier " affiliés à l'AFL, concurrence entre celle-ci et le CIO, rivalités personnelles entre dirigeants de l'une et de l'autre : les syndicats ouvriers sont en fait profondément divisés. Avec Roosevelt, qui tenta à plusieurs reprises de rétablir l'union syndicale, cette division présentait relativement peu d'inconvénients. Mais après la mort de Roosevelt, un Congrès républicain ayant été élu en 1946, le climat était à tous égards favorable à une réaction anti-ouvrière, qui, dès juin 1947, et malgré le veto du président Truman, se manifeste sous la forme de la loi Taft-Hartley. Cette loi prétend interdire des excès dont on ne saurait nier l'existence : les syndicats américains possèdent une structure assez dictatoriale qui permet aux dirigeants de se livrer à certains abus,-le banditisme pur et simple n'est pas absent de divers syndicats dans certaines entreprises des grèves furent encouragées et financées en partie par des patrons d'entreprises concurrentes, etc. Mais la loi Taft-Hartley restreint dangereusement la liberté syndicale, impose un contrôle de la gestion financière des centrales, supprime l'effet de surprise des grèves en exigeant un préavis de soixante jours, interdit aux fonctionnaires de cesser le travail sous peine de renvoi immédiat, supprime le closed shop, c'est-à-dire l'obligation pour un patron de n'embaucher que des ouvriers syndiqués, etc. La question des communistes Les syndicats étaient trop profondément divisés pour opposer une résistance efficace à la loi Taft-Hartley. En outre, la nouvelle loi devait encore accentuer les divisions existantes en introduisant la " chasse aux sorcières " dans les organisations ouvrières. Lors de la campagne de pénétration dans le Sud, les dirigeants de l'AFL dénonçaient déjà le CIO comme une " cinquième colonne communiste " et disaient aux patrons : " Marchez avec nous si vous ne voulez pas avoir affaire avec les communistes du CIO. " De fait, près de 30 % des effectifs du CIO étaient contrôlés par les communistes. Les " rouges " dirigeaient la fédération des ouvriers de l'électricité (500 000 membres), les dockers de Californie, les mineurs des mines métalliques, les ouvriers des fabriques de matériel agricole, des transports routiers, de la fourrure,-sans compter les unions locales de New-York, de San Francisco, de Chicago, de Cleveland, de Los Angeles. En outre ils exerçaient une influence considérable parmi les ouvriers de l'automobile, menaçant ainsi l'autorité de Walter Reuther. Celui-ci n'hésita pas à utiliser contre eux la clause anticommuniste de la loi Taft-Hartley. Lorsque l'épuration fut terminée, Reuther était le maître incontesté des ouvriers de l'automobile. L'élimination des communistes atténua sensiblement la combativité du CIO. Dès lors ses positions ne cessèrent de se rapprocher de celles de l'AFL. Les deux grandes centrales se rejoignaient sur une base commune : assurer la prospérité des travailleurs dans le respect du système établi. En outre, l'AFL, sans renoncer à ses " syndicats de métiers ", avait fait un effort pour organiser les autres catégories de travailleurs; sur ce plan également les deux mouvements s'étaient donc rapprochés. Le durcissement de la guerre froide les confirmait dans leur anticommunisme. Leur intervention fut décisive pour faire accepter le plan Marshall par l'opinion publique. Seul, comme un vieux lion superbe, l'irascible John Lewis, à la tête de ses six cent mille mineurs, rugissait contre l' " impérialisme américain ". L'AFL et le CIO se rapprochèrent de l'administration Truman dans l'espoir d'obtenir une révision de la loi Taft-Hartley. Bien qu'il eût retrouvé en 1948 un Congrès démocrate, Harry Truman ne fit rien en ce sens : il devait compter avec le Sud conservateur, où l'implantation des syndicats était mal vue par ses propres troupes démocrates. Cette impuissance déçut les travailleurs, dont beaucoup votèrent en 1952 pour le général Eisenhower, homme nouveau dans la politique et qui de plus avait promis la révision de la loi Taft-Hartley. Il ne put tenir parole, et soudain les syndicats sentirent redoubler leurs craintes : la majorité républicaine n'allait-elle pas profiter de son retour au pouvoir pour renforcer encore la législation anti-ouvrière ? Les tentatives de rapprochement, qui avaient jusque-là toujours échoué, parurent alors s'imposer avec une exigence accrue. Les principaux obstacles avaient disparu, y compris les vieux leaders qui s'encombraient du souvenir de leurs anciens conflits. George Meany et Walter Reuther viennent de jeter les bases d'un accord de fusion. Mobilisant des troupes plus nombreuses sous une direction unique, leurs grèves pourront atteindre une efficacité supérieure. Mais quelle sera leur influence politique ? Pourront-ils agir sur le Congrès pour obtenir par exemple la révision de la législation ouvrière actuellement en vigueur ? On peut en douter. S'ils trouvent plus de compréhension chez les démocrates que chez les républicains, les premiers sont prisonniers des élus du Sud, sans lesquels ils ne disposent d'aucune majorité au Congrès. L'espoir de créer un troisième parti leur est pratiquement interdit. Prisonniers des deux partis en présence, ils ne pourront guère arracher que des satisfactions mineures. Ils placent tous leurs espoirs dans le Comité d'action politique du CIO et dans la Ligue pour l'éducation politique de l'AFL, dont les deux centrales ont décidé d'intensifier le travail. Peut-être parviendront-ils ainsi, à la longue, à modifier le comportement de leurs élus... Telle apparaît l'inconcevable faiblesse politique de ces seize millions de syndiqués. L'AFL poursuit cependant à Washington la construction de l'immeuble dans lequel elle logera son état-major, et qui lui coûte la bagatelle de 4 millions de dollars... CLAUDE JULIEN Le Monde du 12 février 1955

« mort de Roosevelt, un Congrès républicain ayant été élu en 1946, le climat était à tous égards favorable à une réaction anti-ouvrière, qui, dès juin 1947, et malgré le veto du président Truman, se manifeste sous la forme de la loi Taft-Hartley. Cette loi prétend interdire des excès dont on ne saurait nier l'existence : les syndicats américains possèdent une structure assezdictatoriale qui permet aux dirigeants de se livrer à certains abus,-le banditisme pur et simple n'est pas absent de divers syndicats dans certaines entreprises des grèves furent encouragées et financées en partie par des patrons d'entreprises concurrentes, etc. Mais la loi Taft-Hartley restreint dangereusement la liberté syndicale, impose un contrôle de la gestion financière des centrales,supprime l'effet de surprise des grèves en exigeant un préavis de soixante jours, interdit aux fonctionnaires de cesser le travailsous peine de renvoi immédiat, supprime le closed shop, c'est-à-dire l'obligation pour un patron de n'embaucher que des ouvrierssyndiqués, etc. La question des communistes Les syndicats étaient trop profondément divisés pour opposer une résistance efficace à la loi Taft-Hartley.

En outre, la nouvelleloi devait encore accentuer les divisions existantes en introduisant la " chasse aux sorcières " dans les organisations ouvrières.Lors de la campagne de pénétration dans le Sud, les dirigeants de l'AFL dénonçaient déjà le CIO comme une " cinquièmecolonne communiste " et disaient aux patrons : " Marchez avec nous si vous ne voulez pas avoir affaire avec les communistes duCIO.

" De fait, près de 30 % des effectifs du CIO étaient contrôlés par les communistes.

Les " rouges " dirigeaient la fédérationdes ouvriers de l'électricité (500 000 membres), les dockers de Californie, les mineurs des mines métalliques, les ouvriers desfabriques de matériel agricole, des transports routiers, de la fourrure,-sans compter les unions locales de New-York, de SanFrancisco, de Chicago, de Cleveland, de Los Angeles.

En outre ils exerçaient une influence considérable parmi les ouvriers del'automobile, menaçant ainsi l'autorité de Walter Reuther.

Celui-ci n'hésita pas à utiliser contre eux la clause anticommuniste de laloi Taft-Hartley.

Lorsque l'épuration fut terminée, Reuther était le maître incontesté des ouvriers de l'automobile. L'élimination des communistes atténua sensiblement la combativité du CIO.

Dès lors ses positions ne cessèrent de serapprocher de celles de l'AFL.

Les deux grandes centrales se rejoignaient sur une base commune : assurer la prospérité destravailleurs dans le respect du système établi.

En outre, l'AFL, sans renoncer à ses " syndicats de métiers ", avait fait un effortpour organiser les autres catégories de travailleurs; sur ce plan également les deux mouvements s'étaient donc rapprochés.

Ledurcissement de la guerre froide les confirmait dans leur anticommunisme.

Leur intervention fut décisive pour faire accepter leplan Marshall par l'opinion publique.

Seul, comme un vieux lion superbe, l'irascible John Lewis, à la tête de ses six cent millemineurs, rugissait contre l' " impérialisme américain ". L'AFL et le CIO se rapprochèrent de l'administration Truman dans l'espoir d'obtenir une révision de la loi Taft-Hartley.

Bienqu'il eût retrouvé en 1948 un Congrès démocrate, Harry Truman ne fit rien en ce sens : il devait compter avec le Sudconservateur, où l'implantation des syndicats était mal vue par ses propres troupes démocrates.

Cette impuissance déçut lestravailleurs, dont beaucoup votèrent en 1952 pour le général Eisenhower, homme nouveau dans la politique et qui de plus avaitpromis la révision de la loi Taft-Hartley.

Il ne put tenir parole, et soudain les syndicats sentirent redoubler leurs craintes : lamajorité républicaine n'allait-elle pas profiter de son retour au pouvoir pour renforcer encore la législation anti-ouvrière ? Les tentatives de rapprochement, qui avaient jusque-là toujours échoué, parurent alors s'imposer avec une exigence accrue.Les principaux obstacles avaient disparu, y compris les vieux leaders qui s'encombraient du souvenir de leurs anciens conflits. George Meany et Walter Reuther viennent de jeter les bases d'un accord de fusion.

Mobilisant des troupes plus nombreusessous une direction unique, leurs grèves pourront atteindre une efficacité supérieure. Mais quelle sera leur influence politique ? Pourront-ils agir sur le Congrès pour obtenir par exemple la révision de la législationouvrière actuellement en vigueur ? On peut en douter.

S'ils trouvent plus de compréhension chez les démocrates que chez les républicains, les premiers sontprisonniers des élus du Sud, sans lesquels ils ne disposent d'aucune majorité au Congrès.

L'espoir de créer un troisième parti leurest pratiquement interdit.

Prisonniers des deux partis en présence, ils ne pourront guère arracher que des satisfactions mineures. Ils placent tous leurs espoirs dans le Comité d'action politique du CIO et dans la Ligue pour l'éducation politique de l'AFL,dont les deux centrales ont décidé d'intensifier le travail.

Peut-être parviendront-ils ainsi, à la longue, à modifier le comportementde leurs élus... Telle apparaît l'inconcevable faiblesse politique de ces seize millions de syndiqués.

L'AFL poursuit cependant à Washington la. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles