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Article de presse: La réouverture de la route de Birmanie

Publié le 17/01/2022

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Janvier 1945 - Au début de l'année 1945, le premier convoi de camions depuis près de trois ans, couvert de poussière, déboulait dans les rues de Kunming, la capitale de la province méridionale chinoise du Yunnan. La fameuse route de Birmanie, coupée par l'avance japonaise depuis avril 1942, était à nouveau ouverte, après une année de très durs combats, et le blocus de la Chine nationaliste rompu. La route - en fait souvent une mauvaise piste - allait pouvoir remplacer le " Hump " (la Bosse), le pont aérien mis en place en catastrophe par l'aviation américaine pour fournir aux soldats du généralissime Tchiang Kaï-Chek le minimum de matériel indispensable afin de résister aux conquérants de l'empire du Soleil-Levant. Hagards de fatigue, les chauffeurs apportaient armes et munitions, pièces détachées et médicaments venus des Etats-Unis, transportés par la marine américaine vers le port de Calcutta, dans ce qui était encore pour peu de temps l'empire britannique des Indes. De là, après un trajet en train jusqu'à la gare de Ledo, près de la frontière indo-birmane, ils avaient pris la route à travers le nord de la Birmanie jusqu'à Bhamo. Un périple qui pouvait prendre des mois. Après un bref repos, il fallait repartir pour la Birmanie rechercher une nouvelle cargaison, tandis que des chauffeurs chinois prenaient le relais vers Chongqing, la capitale provisoire, et vers le front. La guerre n'attendait pas. Le chemin de fer du Yunnan D'autant que cette dernière année de combats avait été, pour la Chine, l'une des plus dures. Harcelés sur mer par les Américains, en recul en Asie du Sud-Est, les généraux nippons avaient lancé trois offensives dévastatrices au printemps 1944 dans le sud de la Chine. Ils avaient été à deux doigts de s'emparer du Yunnan, et donc d'occuper les dernières bases d'où décollaient les bombardiers pilotés par les volontaires du général américain Claire Chennault, les " Flying Tigers " (Tigres volants), et où aboutissait le " Hump ". Une défaite face à l'offensive japonaise aurait pu être fatale pour le généralissime. Les troupes nationalistes, mal commandées et mal équipées, s'étaient souvent enfuies à toute vitesse, au moment même où, en Birmanie, d'autres soldats chinois, combattant aux côtés des Américains du général Joseph Stilwell - dit " Vinegar Joe " (Joe le Vinaigre) - et des troupes anglo-indiennes, forçaient les Japonais à reculer, permettant ainsi la réouverture de la route de Birmanie. Après l'entrée en guerre du Japon contre la Chine qui suivit l'incident du pont Marco-Polo en juillet 1937, le régime nationaliste avait été graduellement repoussé vers l'intérieur des terres. Il avait perdu sa capitale de Nankin, ses grands ports maritimes et avait été contraint de replier son gouvernement sur Chongqing (Tchounking), dans cette province du Sichuan isolée du reste de la Chine par une barrière naturelle. Défense inexpugnable, comme les Japonais s'en rendront compte, mais qui isolait la Chine libre du reste du monde alors qu'elle avait perdu ses principales usines et ses arsenaux. Alliées de Tokyo, l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste avaient cessé toute aide à un Kuomintang dont ils étaient pourtant proches idéologiquement. L'URSS lui avait apporté une certaine assistance depuis la réconciliation officielle entre Tchiang et Mao Zedong en 1937. Mais ce n'était qu'une goutte d'eau dans la mer, arrivée au compte-gouttes à travers les déserts du Xinjiang ou de la Mongolie, et qui se tarira vite. Le salut de la Chine ne pouvait donc venir que de l'Occident, à travers l'Indochine française et la Birmanie britannique, toutes deux frontalières du Yunnan. C'est ainsi qu'à partir de 1938, une piste ancienne, liaison terrestre traditionnelle entre la Chine et l'Asie du Sud-Est au point qu'on y trouvait même un temple dédié au héros chinois Zhuge Liang, fut remise en état par des ingénieurs afin qu'elle devienne carrossable pour les camions. En même temps, le chemin de fer du Yunnan, construit par les Français entre Haiphong et Kunming, contribuait également au ravitaillement des nationalistes. Les Japonais prennent Lashio Les Japonais ne cessaient de pester contre cette aide, et contre la route de Birmanie qui permettait de l'acheminer, ces ingérences occidentales qui jetaient de désagréables grains de sable dans la machine bien huilée de la " Sphère de coprospérité en Asie " concoctée par les dirigeants de Tokyo. Ce qui montre l'importance stratégique qu'ils accordaient à cette route. Ils avaient beau occuper les côtes, avoir établi des régimes à leur dévotion, Tchiang Kaï-Chek cédait d'autant moins que le ravitaillement lui parvenait à jet continu. En même temps qu'ils continuaient d'imposer des sanctions économiques contre un Japon menaçant, les Etats-Unis intensifiaient leur aide à Chongqing, où ils avaient établi une mission militaire. Malgré tout, en 1940, Londres, dans un but d'apaisement, pour ne pas risquer d'avoir à se battre sur deux fronts alors que la guerre faisait rage en Europe, avait cédé aux pressions nipponnes et fermé un temps la route de Birmanie. Elle sera rouverte à l'automne. Entre-temps, Tokyo avait, deux jours à peine après l'appel du 18 juin, demandé à la France vaincue de lui céder des bases en Indochine, de couper le chemin de fer du Yunnan et de fermer la frontière avec la Chine. Ces bases servirent à bombarder la route de Birmanie et furent le tremplin nécessaire aux armées nipponnes pour entreprendre, au lendemain de Pearl-Harbor, en décembre 1941, leur conquête de l'Asie du Sud-Est. Le 8 mars 1942, sur les talons des derniers soldats britanniques, les Japonais entraient dans Rangoon, coupant ainsi l'accès maritime à la route de Birmanie. Ils remontèrent rapidement vers le nord, repoussant la résistance des troupes anglaises et chinoises. Car des soldats nationalistes, placés sous le commandement de Stilwell, nommé par Roosevelt chef d'état-major de Tchiang, participaient à la défense de Lashio. Stilwell l'avait obtenu non sans mal. Plus difficile aura été de faire que ces troupes chinoises se battent vraiment, partagées entre des loyautés diverses, recevant des ordres contradictoires à ceux donnés par Stilwell tandis que le généralissime exigeait des contreparties matérielles considérables... et même la fourniture de pastèques à ses troupes. PATRICE DE BEER Le Monde du 12 mars 1990

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