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Article de presse: L'Algérie au début de la guerre

Publié le 22/02/2012

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23 février 1955 - Au début de la guerre, Le Monde présente une enquête sur la situation économique et sociale de l'Algérie. Il y a maintenant quatre mois que l'insurrection a éclaté en Algérie : pour la première fois depuis la conquête, en dépit de quelques excès, elle n'a pas fait l'objet d'une répression massive et aveugle : constatons simplement ce fait, sans vainement chercher à établir les causes ou à en évaluer les répercussions. Constatons également que cette attitude a été imposée de Paris, et que la majorité des Européens de ce pays la déplorent, évoquent avec nostalgie les massacres d'antan, citent volontiers en exemple la conduite des Nord-Américains envers les Indiens, justifient leur position par la méconnaissance absolue de la valeur de la tolérance chez les Arabes et, somme toute, ne reconnaissent pas le génocide comme un crime et son recul comme un progrès de l'humanité. Les niveaux de vie La misère est un phénomène stable, et le Français frais débarqué est toujours étonné de mesurer à quel point son compatriote installé dans le pays s'est si bien accoutumé à ce spectacle de mendiants, de bidonvilles, de gourbis, d'hommes marchant sans fin pieds nus dans la poussière au bord des routes, que littéralement il ne les voit plus. L'économie algérienne est très différente de l'économie de la France, mais ses caractéristiques se retrouvent sensiblement dans près de la moitié du globe : deux systèmes économiques coexistent sur le même territoire, presque sans contacts entre eux. Les Européens ont apporté des activités fondées sur l'exploitation des progrès techniques, la division du travail et les échanges monétaires : ils sont en Algérie un million, et huit cent mille musulmans environ se sont agrégés au système. Ensemble ils ne forment qu'un cinquième de la population, mais ils suffisent à assurer le fonctionnement de toute la partie moderne du pays, la seule visible à nos yeux : commerce, industrie, transports, professions libérales, agriculture d'exportation (vigne, agrumes, maraîchage...), administration. Il n'y a pas de raison de penser que leur pouvoir d'achat moyen soit bien différent de celui du Français de métropole. En général les éléments d'origine européenne occupent les emplois supérieurs. Leur niveau de vie est nettement plus élevé que la moyenne, malgré quelques brillantes exceptions musulmanes. Les autres, soit plus de sept millions, continuent à vivre en circuit presque fermé : la majeure partie de ce qu'ils produisent est consommée à l'intérieur du cadre familial, lequel est plus large que le nôtre. Tissus, sucre, thé, en quantités d'ailleurs croissantes, sont leurs seuls achats courants. D'après des évaluations dignes de foi, leur minimum vital équivaut à 25 000 F par personne et par an. (1)Le salaire minimum agricole est fixé depuis avril 1955 de 340 à 427 F par jour, suivant les zones. Il faut tenir compte à cet égard du fait que ceux qui travaillent trois cents jours par an sont des privilégiés et que les tarifs officiels ne sont pas toujours respectés, le contrôle étant peu organisé; en revanche, il est rare que les ouvriers agricoles ne bénéficient pas d'avantages en nature. Il n'y a pas, d'ailleurs, de travail pour tous. Un million d'hommes algériens sont sans emploi : huit cent mille demeurés dans le bled, cent mille en ville, s'entassant dans les bidonvilles ou la Casbah d'Alger, cent mille en métropole, qui n'ont pu se faire embaucher, bien souvent parce qu'ils sont partis sans un minimum de capacités. Le chômage tend plutôt à s'aggraver, d'une manière générale, à cause de l'accroissement de la population, et brutalement cette année dans les régions de colonisation parce que les colons ont réduit au minimum tous les travaux d'entretien ou d'améliorations qui ne sont pas strictement indispensables à la récolte en cours. Démographie Le taux de natalité a peu augmenté, celui de la mortalité a beaucoup diminué : cette double évolution, due au progrès de la médecine plus qu'à ceux de l'hygiène, est sans doute l'oeuvre la plus marquante des Français en Algérie. Le résultat en est une progression annuelle de la population qui, inférieure à 2 % jusqu'en 1950, s'élève actuellement à 2,6 %, soit deux cent cinquante mille jeunes enfants : augmentation sensiblement égale, en nombres absolus, à celle de la population métropolitaine, près de cinq fois plus nombreuse Cette " exubérance démographique ", dont le rythme actuel est tout récent, est en passe de devenir la tarte à la crème des commentaires officiels : son influence sur l'économie du pays, et particulièrement sur le niveau de vie de ses habitants, ne doit pas être considérée comme exclusive ni même prépondérante elle constitue un facteur certes important, mais ne saurait suffire à expliquer le fait que le niveau de vie français est supérieur de l'ordre de 1000 % à celui des musulmans. Il est possible d'affirmer que le problème posé ne serait pas fondamentalement différent si la population avait continué à se développer à un taux normal, de 1 % chaque année par exemple. Aussi une action en faveur d'une restriction artificielle des naissances, à supposer même qu'elle puisse comporter une certaine efficacité, ne serait-elle pas un facteur décisif d'amélioration du niveau de vie dans les années à venir. Car c'est la stagnation millénaire des techniques dans un cadre naturel relativement pauvre, qui est pour la plus grande part à l'origine du retard économique constaté. Les finances Avant de parler en Algérie d'investissements, de modernisation, de développement économique, il paraît d'abord nécessaire de " lever l'hypothèque " financière. Celle-ci n'a pas toujours été un vain mot : l'administrateur d'une commune mixte de Kabylie nous confiait que sur le territoire dont il a la charge les réalisations des pistes et d'écoles avaient été menées à un rythme normal jusqu'au début du siècle. Alors l'Algérie a été dotée d'un budget autonome voté par les délégations financières, émanation en fait des contribuables locaux. Les deniers de l'Algérie ont été gérés avec l'état d'esprit d'une assemblée censitaire, le maintien des impôts à un niveau très bas étant la première et presque unique préoccupation. Aussi les dépenses d'équipement furent-elles comprimées en deçà du minimum raisonnable, et seuls quelques ouvrages de nature à favoriser la grande agriculture ont-ils été menés à bien pendant cette période. Après la Libération, l'intervention de la métropole dans l'équipement de l'Algérie est redevenue prépondérante : mais un retard d'un demi-siècle est maintenant à combler. Qu'en est-il actuellement de ces questions de finances ? Jusqu'en 1948, le budget de l'Algérie se voyait alors décerner le titre de " plus beau budget du monde ". Il n'y avait pas de fierté à en tirer. Car si les recettes n'étaient pas élevées, les dépenses étaient encore plus faibles, et cela parce que les services publics étaient tout à fait embryonnaires : réseau routier à très larges mailles, équipement scolaire inférieur à 10 % des besoins, etc. Telle est la lamentable explication de cette situation qui ne pouvait être considérée comme favorable que d'un point de vue étroitement financier. L'effort accompli depuis quelques années, sous l'impulsion de la métropole, malgré les réserves de la population locale d'origine européenne (trop d'écoles, trop d'hôpitaux !), a provoqué un gonflement rapide des dépenses et a mis fin à cette euphorie budgétaire. En effet, le développement de l'économie et les recettes fiscales qui en découlent n'ont pas suivi au même rythme. Aussi la France a-t-elle dû participer de plus en plus au budget de l'Algérie. Les impôts sont en Algérie sensiblement les mêmes qu'en France, mais leur taux est inférieur en moyenne de plus du tiers. Les élus et les organisations économiques justifient cette différence par l'infériorité du développement du pays : il y a là une équivoque. Pourquoi, à revenu déclaré égal et charges de famille égales, un Français d'Algérie ne paie-t-il à la surtaxe progressive que les deux tiers environ de ce que paie un Français de métropole ? Est-ce par application du principe suivant lequel l'alcool doit être mis à la portée de toutes les bourses, même de celle des musulmans à qui le Coran fait interdiction d'en boire, que le pastis et la trop fameuse anisette sont moins taxés en Algérie ? Une hausse du tabac, et en particulier des qualités qui ne sont fumées que par les Européens, aurait-elle vraiment des conséquences fâcheuses ? Un autre déséquilibre est souvent déploré, celui du commerce extérieur : en 1954, les achats à l'extérieur n'ont été couverts par les ventes qu'à concurrence des deux tiers environ. Il y a donc déficit, mais ce terme habituel de déficit correspond à une réalité plus comptable qu'économique car il signifie en fait un apport net de l'extérieur, très souhaitable lorsqu'il s'agit d'un pays ayant peu de ressources intérieures, surtout si parmi les importations se trouve une part importante de biens d'équipement. D'autre part, les opérations commerciales ne sont si souvent citées isolément que parce qu'elles sont les mieux connues, grâce aux statistiques douanières; mais tous les services échangés avec l'extérieur, recettes et dépenses de tourisme-ces dernières particulièrement importantes du fait du grand nombre d'Européens passant leurs vacances en France,-salaires envoyés par les travailleurs à leurs familles demeurées en Algérie, et tant d'autres, ne sont pas d'une nature différente, et c'est le total seul qui importe. Plus exactement, ce total importerait si la France était pour l'Algérie un pays étranger; mais l'Algérie fait partie de la zone franc, ce qui signifie, entre autres, qu'elle n'est pas obligée d'équilibrer ses opérations avec la métropole ou l'un quelconque des territoires de la même zone monétaire. Dans ces conditions le rétablissement de l'équilibre du commerce extérieur ou même, plus généralement, des comptes extérieurs n'est pas à rechercher particulièrement. Industrie Les ouvriers algériens ne sont pas plus nombreux en Algérie qu'en France : deux cent mille de chaque côté de la Méditerranée. En Algérie les trois quarts sont employés dans des entreprises de travaux publics et de bâtiment les autres, soit cinquante mille environ, sont partagés entre les mines et les industries légères de transformation. Les usines crées depuis la guerre, soit pendant les dix dernières années, et agrées au plan d'industrialisation, fournissent 15 000 à 20 000 emplois. La création de chacun de ces emplois a nécessité un investissement, en bâtiment et outillage, de l'ordre de 2 millions. Or il existe près d'un million d'hommes sans emploi. Le rapprochement de ces quelques chiffres démontre que ce n'est véritablement pas sur l'industrie qu'il faut baser l'action économique à entreprendre. Les débouchés sont limités : l'Algérie est un pays de neuf millions d'habitants mais de deux millions de clients à peine. Encore, ces deux millions de clients sont-ils dispersés sur plus de 1 000 kilomètres, de Tlemcen à Bône. Or ces villes sont à distance égale de Marseille-et les transports maritimes sont moins coûteux que les transports terrestres. La marchandise venue de France ne supporte aucun droit de douane à l'entrée en Algérie : il y a unité douanière entre les deux pays. Sur un autre plan, le jour où jaillira du pétrole il n'y aura pas beaucoup plus d'emplois offerts aux travailleurs algériens que pendant la période d'intenses recherches qui se poursuit depuis quelques années. Quant aux royalties dont pourra bénéficier le budget, les quelques milliards qui sont un pactole pour un îlot du golfe Persique ne représenteraient que relativement peu de chose pour l'Algérie, l'allure des finances publiques n'en serait pas durablement changée. Sur le plan algérien qui nous occupe ici il ne paraît pas, notamment, que dans un avenir prévisible une part appréciable des populations d'Afrique du Nord tirera ses revenus directement et même indirectement du fonctionnement des installations industrielles projetées au Sahara. Cette constatation ne rabaisse en rien l'intérêt des études poursuivies dans ces régions mais il n'est pas paradoxal de penser que leur aboutissement apportera plus à la métropole et à l'ensemble de la zone franc, donc indirectement à l'Algérie, qu'à ce dernier territoire directement. L'agriculture A l'inverse de ce qui se passe en France, l'exode rural ne découle pas d'un facteur positif-le besoin de main-d'oeuvre urbaine,-mais il consiste en un phénomène purement négatif-la désertion d'un sol qui ne nourrit plus. C'est pourquoi l'entreprise généreuse de résorption des bidonvilles est une tâche sans fin et assez stérile, car tout ce qui sera réalisé dans les villes sera connu dans le bled et contribuera à renforcer encore la séduction de banlieues sans espoir et à accélérer la création de nouveaux bidonvilles. Il faut prendre garde de ne pas céder aux clichés : au colon richissime les bonnes terres enlevées aux indigènes; à l'Arabe le sol pauvre qu'il doit péniblement gratter. Il y a là, bien sûr, une part de vérité, mais une description correcte nécessite l'introduction de nombre de nuances. Est-il nécessaire d'abord de rappeler que les Européens ayant des intérêts dans l'agriculture sont bien, politiquement et économiquement, dominants, mais ne forment qu'une petite minorité ? La plupart des habitants de l'Algérie d'origine européenne sont commerçants, employés, fonctionnaires, ouvriers, ou exercent des professions libérales. Sur un plan spécifiquement agricole, précisons que beaucoup des bonnes terres actuelles n'étaient que marécages lorsque des Français en ont pris possession que les gros propriétaires comptent parmi eux un nombre appréciable de musulmans que, dans leur majorité, les colons sont loin d'être misérables, mais travaillent personnellement leur domaine que chaque année, depuis dix ans, les musulmans ont racheté de la terre appartenant aux Européens enfin que dans certains secteurs privilégiés des fellahs ont reçu l'aide nécessaire pour améliorer leur mode de culture ou d'élevage. Face à ces multiples catégories d'agriculteurs, il faut distinguer deux agricultures : l'une utilise des procédés modernes, est orientée vers l'exportation et n'apporte de ressources à la masse de la population que par les salaires qu'elle distribue l'autre, traditionnelle dans ses méthodes, a pour but essentiel de satisfaire à la consommation familiale la main-d'oeuvre qu'elle utilise est rémunérée en nature. L'agriculture moderne a bénéficié depuis la guerre de travaux d'irrigation coûteux, qui se sont révélés inutiles puisqu'ils sont inutilisés : le volume de l'eau vendue et les superficies irriguées n'augmentent pas, alors que les périmètres irrigables s'accroissent chaque année. La plupart des progrès techniques se traduisent par une mécanisation plus poussée, et par conséquent une diminution de la main-d'oeuvre employée. A l'exception des agrumes, pour lesquels les plantations faites il y a quelques années arrivent progressivement à leur période productive, les récoltes ne s'accroissent pas, et aucun nouvel essor ne paraît à prévoir. Ses produits sont en majorité destinés à l'exportation. Vers l'étranger ? L'opération serait alors bénéficiaire pour la zone franc. C'est malheureusement l'exception : le débouché essentiel est la France continentale. Les considérations politiques aidant, des projets de réforme agraire redeviennent en conséquence d'actualité : exproprier les gros colons, distribuer leurs terres aux pauvres fellahs, voilà, n'est-il pas vrai, un beau programme ? Est-il réalisable dans un avenir proche ? Tout le monde s'accorde à penser que sans un effort considérable d'éducation générale et technique des fellahs bénéficiaires de l'opération celle-ci se traduirait par une régression économique. Or cet effort d'éducation est tout juste esquissé en faveur des fellahs déjà propriétaires de leur terre. Aussi ne paraît-il pas indiqué, sauf pour des raisons politiques ou sentimentales, de donner des responsabilités d'exploitation à de nouveaux fellahs, alors que tant d'entre eux ne possèdent pas les connaissances techniques requises. La réforme agraire ? On en reparlera plus sérieusement lorsque la modernisation de l'agriculture traditionnelle sera plus avancée. Cette modernisation de l'agriculture traditionnelle requiert une conjonction d'actions très diverses : défense et restauration des sols contre l'érosion, voies carrossables, instruction primaire, hygiène, éducation technique. Des efforts ont été faits depuis 1945 dans tous ces domaines, et il ne s'agit plus de créer, mais de coordonner, d'améliorer et d'étendre. Il est donc indispensable de créer un service de modernisation rurale qui soit véritablement le maître de l'affaire. Les secteurs d'amélioration rurale sont certes loin d'avoir l'extension désirable. Pas plus que la défense des sols contre l'érosion. Mais l'exemple le plus frappant d'une entreprise qui a le seul tort de n'être plus actuellement à l'échelle des besoins est sans doute celui de la scolarisation. Après plus d'un siècle de présence française où en sommes-nous? Au 1er janvier 1955 l'enseignement primaire comptait 480 000 élèves, dont 20 000 dans les écoles privées. Or, à côté de 180 000 enfants européens de cinq à quatorze ans, tous scolarisés, 2 400 000 petits musulmans du même âge vivaient en Algérie : 300 000 d'entre eux, soit 1 sur 8, avaient trouvé place à l'école. Au recensement de 1948 un musulman sur dix avait déclaré savoir parler le français. Dans ces conditions on ne peut évidemment faire état d'influence ou de pénétration de la culture française en profondeur. Un réel effort est actuellement entrepris. Où conduit-il ? Tout visiteur se voit montrer des écoles neuves : on lui apprend qu'en moyenne chaque jour deux écoles nouvelles sont inaugurées. Le plan de scolarisation de vingt ans dressé en 1944 comportait 660 classes nouvelles pour 1955, soit un peu plus de 25 000 places or la natalité des Européens est stable alors qu'il naît chaque année environ 5 000 musulmans de plus que l'année précédente. A ce rythme, l'ensemble de la population serait scolarisé dans cent vingt ans, mais son accélération progressive, prévue dès 1944 et rigoureusement observée pendant les dix premières années, devait réduire ce délai à cinquante ans environ. Pour la scolarisation comme pour le secteur d'amélioration rurale ou le lancement d'industries en Algérie, l'argent ne suffit pas, ni son emploi judicieux, ni même l'impulsion d'hommes compétents et généreux : instituteurs, moniteurs agricoles ou ingénieurs. Le facteur essentiel sans lequel tout ira à l'échec c'est la participation active des populations intéressées. Soyons francs : ce désir on le trouve de moins en moins tant chez les musulmans que chez les Européens. Comment s'attaquer à la grande oeuvre de rénovation de ce pays et de ses habitants si " le coeur n'y est pas " ? PHILIPPE MINAY Le Monde du 24-30 novembre 1955

« Aussi une action en faveur d'une restriction artificielle des naissances, à supposer même qu'elle puisse comporter une certaineefficacité, ne serait-elle pas un facteur décisif d'amélioration du niveau de vie dans les années à venir. Car c'est la stagnation millénaire des techniques dans un cadre naturel relativement pauvre, qui est pour la plus grande part àl'origine du retard économique constaté. Les finances Avant de parler en Algérie d'investissements, de modernisation, de développement économique, il paraît d'abord nécessaire de" lever l'hypothèque " financière. Celle-ci n'a pas toujours été un vain mot : l'administrateur d'une commune mixte de Kabylie nous confiait que sur le territoiredont il a la charge les réalisations des pistes et d'écoles avaient été menées à un rythme normal jusqu'au début du siècle.

Alorsl'Algérie a été dotée d'un budget autonome voté par les délégations financières, émanation en fait des contribuables locaux.

Lesdeniers de l'Algérie ont été gérés avec l'état d'esprit d'une assemblée censitaire, le maintien des impôts à un niveau très bas étantla première et presque unique préoccupation.

Aussi les dépenses d'équipement furent-elles comprimées en deçà du minimumraisonnable, et seuls quelques ouvrages de nature à favoriser la grande agriculture ont-ils été menés à bien pendant cette période. Après la Libération, l'intervention de la métropole dans l'équipement de l'Algérie est redevenue prépondérante : mais un retardd'un demi-siècle est maintenant à combler.

Qu'en est-il actuellement de ces questions de finances ? Jusqu'en 1948, le budget de l'Algérie se voyait alors décerner le titre de " plus beau budget du monde ".

Il n'y avait pas de fiertéà en tirer. Car si les recettes n'étaient pas élevées, les dépenses étaient encore plus faibles, et cela parce que les services publics étaienttout à fait embryonnaires : réseau routier à très larges mailles, équipement scolaire inférieur à 10 % des besoins, etc.

Telle est lalamentable explication de cette situation qui ne pouvait être considérée comme favorable que d'un point de vue étroitementfinancier. L'effort accompli depuis quelques années, sous l'impulsion de la métropole, malgré les réserves de la population locale d'origineeuropéenne (trop d'écoles, trop d'hôpitaux !), a provoqué un gonflement rapide des dépenses et a mis fin à cette euphoriebudgétaire.

En effet, le développement de l'économie et les recettes fiscales qui en découlent n'ont pas suivi au même rythme.Aussi la France a-t-elle dû participer de plus en plus au budget de l'Algérie. Les impôts sont en Algérie sensiblement les mêmes qu'en France, mais leur taux est inférieur en moyenne de plus du tiers.

Lesélus et les organisations économiques justifient cette différence par l'infériorité du développement du pays : il y a là une équivoque. Pourquoi, à revenu déclaré égal et charges de famille égales, un Français d'Algérie ne paie-t-il à la surtaxe progressive que lesdeux tiers environ de ce que paie un Français de métropole ? Est-ce par application du principe suivant lequel l'alcool doit êtremis à la portée de toutes les bourses, même de celle des musulmans à qui le Coran fait interdiction d'en boire, que le pastis et latrop fameuse anisette sont moins taxés en Algérie ? Une hausse du tabac, et en particulier des qualités qui ne sont fumées que parles Européens, aurait-elle vraiment des conséquences fâcheuses ? Un autre déséquilibre est souvent déploré, celui du commerce extérieur : en 1954, les achats à l'extérieur n'ont été couverts parles ventes qu'à concurrence des deux tiers environ.

Il y a donc déficit, mais ce terme habituel de déficit correspond à une réalitéplus comptable qu'économique car il signifie en fait un apport net de l'extérieur, très souhaitable lorsqu'il s'agit d'un pays ayantpeu de ressources intérieures, surtout si parmi les importations se trouve une part importante de biens d'équipement. D'autre part, les opérations commerciales ne sont si souvent citées isolément que parce qu'elles sont les mieux connues, grâceaux statistiques douanières; mais tous les services échangés avec l'extérieur, recettes et dépenses de tourisme-ces dernièresparticulièrement importantes du fait du grand nombre d'Européens passant leurs vacances en France,-salaires envoyés par lestravailleurs à leurs familles demeurées en Algérie, et tant d'autres, ne sont pas d'une nature différente, et c'est le total seul quiimporte. Plus exactement, ce total importerait si la France était pour l'Algérie un pays étranger; mais l'Algérie fait partie de la zone franc,ce qui signifie, entre autres, qu'elle n'est pas obligée d'équilibrer ses opérations avec la métropole ou l'un quelconque desterritoires de la même zone monétaire. Dans ces conditions le rétablissement de l'équilibre du commerce extérieur ou même, plus généralement, des comptes. »

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