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Article de presse: Le général devient président

Publié le 22/02/2012

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21 décembre 1958 - Le 14 mai 1958, dès 7 heures du matin, une DS noire franchissait le portail de la Boisserie, à Colombey-les-deux-Eglises, et empruntait à grande vitesse la route de Paris. Comme il le faisait chaque mercredi régulièrement depuis six ans, le général de Gaulle allait passer la journée dans la capitale. Depuis quelques semaines, il avait reçu, soit à la Boisserie, soit dans son petit bureau de la rue Solferino, beaucoup de visiteurs, plus qu'à l'habitude, presque autant qu'autrefois. Certains d'entre eux-Jacques Soustelle, Léon Delbecque, Roger Frey, Edmond Michelet et surtout Michel Debré-lui avaient paru soudain réveillés, presque exaltés: la IVe République, assuraient-ils, allait s'effondrer, la route du pouvoir allait s'ouvrir, l'appel à de Gaulle était imminent... Lui n'y croyait guère. Depuis la nuit passée, cependant, qui avait vu l'émeute montrer le poing à Alger, lorsque l'armée avait rejoint les civils insurgés, et lever le petit doigt sur les Champs-Elysées à l'heure même où l'Assemblée nationale accordait l'investiture au seizième président du conseil du régime, Pierre Pflimlin, il lui semblait bien que quelque chose était en train de bouger. Dix-sept jours plus tard exactement, le 1er juin, les mêmes députés qui venaient de confier à Pierre Pflimlin la direction du gouvernement pour faire face à l'émeute allaient investir, par 329 voix contre 224, le général de Gaulle et lui accorder par surcroît les pouvoirs constituants. Il avait soixante-sept ans. Dès lors sa vie allait être consacrée tout entière à fonder, diriger et incarner le nouveau régime. Quand, élu président du conseil et ayant constitué son gouvernement, le général s'installe à l'hôtel Matignon, chacun s'attend-et d'abord l'armée, qui rentre malaisément dans la discipline, les Français d'Algérie et même l'adversaire, le FLN-qu'il s'attaque sans retard à la solution du problème algérien. C'est ce qu'il paraît entreprendre, en effet, se rendant à Alger dès le 4 juin pour lancer, du même balcon du Forum où l'insurrection avait chanté victoire, le fameux " Je vous ai compris ". Certes, il retournera en Algérie presque chaque mois jusqu'à l'hiver, s'efforcera de calmer les Européens et de détourner l'armée de l'action politique, lancera le plan de Constantine et, finalement, le 23 octobre, dans une conférence de presse, proposera aux nationalistes la " paix des braves " dans des conditions et formes telles que cette offre ne rencontrera aucun écho. Mais c'est en fait à la préparation, à la ratification et à la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution qu'il donnera une priorité presque absolue. Avait-il cru, comme certains l'ont prétendu depuis-non sans raison peut-être-que s'il parvenait en quelques mois, et sans payer un prix trop élevé, à arrêter la guerre les partis le chassent du pouvoir, le péril conjuré, pour reprendre leurs jeux ? Tout porte à admettre que le pragmatisme du général, son désir de conserver le plus longtemps possible au moins deux voies ouvertes, l'ont conduit à amorcer une solution du problème algérien, sans parier sur le succès ou l'échec. De même, il fixait, dès l'automne 1958, dans un mémorandum adressé au président Eisenhower et à Harold McMillan, le ton, le cadre, l'objectif de sa diplomatie atlantique, il accédait à la recherche nucléaire, jetait les bases de sa politique européenne, et, avec la dévaluation, le retour à la libération des échanges, stabilisait durablement la monnaie. Mais, dans le même temps, c'est à l'institution du régime qu'il apportait tous ses soins, quitte à reprendre plus tard les autres dossiers lorsque son pouvoir serait bien assis. Le 4 septembre, après six semaines de délibérations au sein du gouvernement d'abord, du comité consultatif constitutionnel présidé par Paul Reynaud ensuite, de Gaulle présentait, place de la République, la nouvelle loi fondamentale. Elle organisait le fonctionnement de tous les pouvoirs autour d'un personnage central sur qui tout repose et qui peut même, dans les circonstances graves, exercer temporairement une sorte de " dictature à la romaine " sans limitation ni contrôle. On comprenait aussitôt que le président de la République, ainsi placé au centre du dispositif, ne pouvait être que le général lui-même : le vêtement était taillé à ses larges mesures. Au fil des années, il allait d'ailleurs le retoucher à plusieurs reprises et le rendre plus ample encore, soit en interprétant, de la façon la plus extensive en ce qui le concerne, la plus restrictive pour les autres institutions, les dispositions retenues; soit en instituant par référendum en 1962 l'élection présidentielle au suffrage universel. La Constitution était brillamment ratifiée par 80 % des votants au référendum du 28 septembre, aussitôt mise en oeuvre avec les élections législatives des 23 et 30 novembre, qui voyaient le parti gaulliste créé le mois précédent, l'UNR, faire entrer sans coup férir au Palais-Bourbon plus de députés que n'en avait jamais compté aucun groupe parlementaire sous les précédentes républiques-mais manquer néanmoins la majorité absolue. Elle permettait la désignation par un collège de notables, le 21 décembre, du général comme premier président de la Ve République. PIERRE VIANSSON-PONTE Le Monde du 11 novembre 1970

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