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Article de presse: Le jour de gloire du Combattant suprême

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

1er juin 1955 - Le soleil se lève sur la baie de Tunis. Le paquebot Ville-d'Alger s'apprête à accoster venant de Marseille. De la dunette, Habib Bourguiba voit évoluer la plus hétéroclite des armadas pacifiques : remorqueurs ventrus, felouques élancées, chalutiers trapus, frêles esquifs, simples barques, canots à moteur... Chacune de ces embarcations menace à chaque instant de sombrer sous le poids des manifestants, dont certains s'agrippent à grand-peine au sommet des mâts. Et cette foule électrisée n'est rien à côté de celle qui est massée sur les quais et tout le long du parcours qui s'enfonce au coeur de Tunis. Le Combattant suprême revient après deux ans et demi d'exil. Arrêté le 18 janvier 1952 sur l'ordre du nouveau résident général Xavier de Hauteclocque, il a été envoyé tour à tour à Tabarka, près de la frontière algérienne, à Remada, poste saharien désolé, dans l'îlot désertique de la Galite, au large de Bizerte, à l'île de Groix en Bretagne, au château de la Ferté, près de Montargis, et, enfin, à Chantilly le 5 octobre 1954. Dans l'intervalle, le 31 juillet, Pierre Mendès France, président du conseil, s'est spectaculairement rendu au palais de Carthage, où il a assuré à Lamine Bey que la France tiendrait ses promesses d'émancipation, accordant, dans une première étape, l'autonomie interne à la Tunisie. C'est cet engagement qui a permis le retour de Bourguiba. " Tu es notre père " A peine a-t-il mis pied à terre qu'il est porté en triomphe. " Yahia Bourguiba! ", " Vive Bourguiba ! ". Ce cri lancé par toutes les poitrines s'amplifie comme un roulement de tambour. Des banderoles proclament : " Tu es notre chef, notre père. " Chacun veut le toucher, l'embrasser. Les femmes lancent des you-you de joie. Les hommes applaudissent. Bourguiba pleure d'émotion. Il est hissé sur un cheval et coiffé du gigantesque chapeau à plume de la tribu des Zlass. L'apothéose ! Ce retour historique est un symbole : les Tunisiens savent que, désormais, aucune force ne pourra les empêcher de recouvrer leur souveraineté. L'indépendance formelle-le 20 mars 1956-n'est plus qu'une question de mois. Mais c'est de ce 1er juin 1955 qu'ils feront leur fête nationale. Car c'est une date charnière : elle clôt la lutte contre la colonisation et ouvre celle de l'édification d'une Tunisie moderne et indépendante. Faible, ruinée, repliée sur elle-même, cette vieille nation était passée en 1881 d'une domination turque devenue évanescente depuis le seizième siècle à un protectorat français bien réel. " Le protectorat doit respecter la personnalité du peuple et le conduire à l'émancipation ", dira Lyautey. Mais la classe des " prépondérants ", formée de colons venus de la métropole-et aussi de Sicile et de Malte,-de commerçants, de militaires et de fonctionnaires français, pratique une politique de peuplement. Elle détient le pouvoir réel et sait dicter sa volonté à Paris quand ses privilèges sont menacés. Journaliste et militant Le mouvement national tunisien s'affirme très tôt pour rassembler le peuple dont un colon avait dit qu'il n'était alors qu'une " poussière d'individus ". Les soulèvements sont impitoyablement réprimés. Né en 1903, Bourguiba prend conscience de la situation à l'âge de huit ans, quand il assiste à l'exécution de deux " meneurs ", place de la Kasbah, où a été dressée la guillotine. Il se sent tunisien mais il est fasciné par la France, symbole de puissance et de modernité. Il veut battre les Français sur leur propre terrain. Au lycée Carnot, il est le premier. Il fait la distinction entre les valeurs universelles proclamées par la France-liberté, égalité, fraternité-et les abus du protectorat. " J'étais le premier parce que nos professeurs étaient justes, mais dans la rue nous étions des bicots, et certains cafés nous étaient interdits ", explique-t-il. Il va à Paris et en revient en 1927 avec une licence en droit, le diplôme de Sciences-Po, et une femme, Mathilde, veuve de guerre, qui lui donnera un fils, Bourguiba junior. Militant de la cause nationale, il choisit, pour se battre, de devenir journaliste et définit une stratégie fondée sur l'action. Il écrit dans la Voix du Tunisien puis, en 1932, fonde l'Action tunisienne. " Le peuple tunisien est-il dégénéré, réduit à n'être qu'un ramassis de peuples ? Ou s'agit-il au contraire d'un peuple sain, vigoureux, qu'une crise momentanée a forcé à accepter la tutelle d'un Etat fort, le contact d'une civilisation plus avancée déterminant en lui une réaction salutaire ? " interroge-t-il. Et de répondre : " Grâce à une judicieuse assimilation des principes et des méthodes de cette civilisation, il arrivera fatalement à réaliser, par étapes, son émancipation définitive. " Il rompt avec le vieux Destour, où il milite depuis dix ans, pour fonder le Néo-Destour, le 2 mars 1934 à Ksar-Hellal, près de Monastir, sa ville natale. " Entre nous et les vieux, explique-t-il, il y a toute la différence qui existe entre une voiture à moteur et une charrette. " Bourguiba a du charisme, mais il se veut cartésien. Contre l'incantation, il choisit le raisonnement. Il draine des foules de plus en plus nombreuses. Homme à poigne, Peyrouton, résident général surnommé " le satrape ", le fait déporter à Borj-le-Boeuf, en plein désert, le 3 septembre 1934. Libéré le 23 mai 1936, il ne tarde pas à aller à Paris plaider la cause de son pays auprès de Léon Blum. Malgré ses idées généreuses, le Front populaire passe à côté du problème. Bourguiba défend néanmoins l'autonomie interne devant le deuxième congrès du Néo-Destour : " C'est comme si on acceptait la copropriété d'une maison qui vous appartient pour éviter la dépossession totale ! " L'agitation reprend. Le 9 avril 1938, l'armée intervient. L'état de siège est proclamé, et Bourguiba est arrêté pour la deuxième fois. Il écrit : " C'est de nouveau la rupture entre le peuple tunisien et le protectorat. " Il dit bien le " protectorat ", car il continue à fonder des espoirs sur une France qui, pourtant, refuse de comprendre la situation et la volonté d'émancipation des peuples colonisés. Quand éclate la guerre de 1939, il est transféré au fort Saint-Nicolas à Marseille. Allemands et Italiens lui font des avances. Il esquive et met en garde les dirigeants du Néo-Destour contre toute collaboration avec l'Axe. Le 8 avril 1942, il écrit au docteur Habib Thameur, un des responsables du parti : " En tant que chef, je donne l'ordre d'entrer en relation avec les Français gaullistes de Tunisie-il doit bien y en avoir quelques-uns-en vue de conjuguer si possible notre action clandestine avec la leur, en laissant de côté, pour après la guerre, le problème de notre indépendance. " Libéré par Klaus Barbie en 1943, peu avant l'entrée des Alliés à Tunis, où s'achève la campagne d'Afrique du Nord, il place ses espoirs en de Gaulle qui, à son tour, l'ignore. Après l'occasion perdue avec le Front populaire, c'est le rendez-vous manqué avec la France libre. Désillusion. Bourguiba se tourne pour la première fois vers l'Orient. Le 26 mars 1945, il part clandestinement et traverse à pied le désert libyen. Il gagne Le Caire pour obtenir le soutien de la Ligue arabe et fait la tournée du Proche-Orient. Il en revient le 8 septembre 1949. Déçu. Déçu de l'irréalisme des dirigeants arabes. Déçu du décalage entre la parole et l'action. A son retour, il découvre que rien n'a changé à la cour du bey, chez le résident général, chez les " prépondérants ", et que les Tunisiens sont toujours aussi pauvres. Il reprend la lutte. " C'est la France, dit-il, qui a enseigné au monde les principes sur lesquels nous nous appuyons et que nous sommes réduits à invoquer contre elle. " A la fin de 1951, une note du Quai d'Orsay coupe court aux promesses d'autonomie, et Xavier de Hauteclocque arrive, intentionnellement, à bord d'un navire de guerre. Puis il donne " carte blanche " au général Garbay, qui a " pacifié " Madagascar au prix de 80 000 morts et qui va s'illustrer dans les " ratissages " du cap Bon. La résistance s'intensifie avec l'entrée en lice des fellagas. Dix ans sans liberté C'est dans ce contexte que Bourguiba a été arrêté pour la troisième et dernière fois. D'assignation à résidence en déportation et en prison, il aura été, au total, privé de liberté pendant près de dix ans quand il regagne la Tunisie ce 1er juin 1955. A Paris, certains sénateurs n'hésiteront pas à le qualifier de " nouvel Hitler " et à considérer Mendès France comme un " bradeur ". En se rendant à Tunis, Mendès France a pourtant modifié le cours de l'histoire quatre mois avant que n'éclate la guerre d'Algérie, le 1er novembre 1954. Lors d'une rencontre secrète, il avait sollicité Bourguiba, qui avait répondu : " Si on fait des conditions acceptables aux fellagas qui se battent dans les montagnes, j'en fais mon affaire. " Fin décembre 1954, à Bizerte, 2713 fellagas rendent leurs armes contre la garantie qu'ils ne seront pas poursuivis. Bourguiba démontre ainsi qu'il est bien le chef et affirme déjà la prééminence du pouvoir civil sur la force armée. Par la suite, Boumediène lui reprochera de n'être pas entré en guerre aux côtés de l'Algérie, comme l'avait promis son adjoint, Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, partisan d'un nationalisme arabe intransigeant, qu'il fera écarter en 1956 et qui mourra assassiné en 1961 Libérateur des femmes Après le retour de Bourguiba, tout va très vite, et le 25 mars 1956, cinq jours après l'accession à l'indépendance, les Tunisiens élisent, pour la première fois de leur histoire, une Assemblée constituante au suffrage universel. L'année suivante, il parachève sa victoire : le 25 juillet 1957, il devient le premier président de la Tunisie. Mais, avant même la proclamation de la République, il avait proclamé... l'indépendance de la femme. Dès le 13 août 1956, il avait promulgué le code de la famille, qui était en avance, sur bien des points, sur la législation en vigueur en France. Au cours d'une cérémonie publique restée célèbre, il avait retiré le voile aux femmes. A l'époque, il a été le premier et le seul chef d'Etat arabe et musulman-avec Mohammed V-à avoir osé ce geste libérateur. Il a été le premier et le seul à avoir interdit la répudiation et la polygamie, à avoir donné à égalité aux deux époux le droit de divorce, à avoir proscrit que la jeune fille soit mariée sans son consentement. La femme tunisienne bénéficie aussi du planning familial et, dans certaines conditions, du droit à l'avortement. " Sans le préalable de l'évolution féminine, aucun progrès n'est possible ", affirmait-il. Dans le monde musulman, c'était une révolution ! PAUL BALTA Le Monde du 2-3 juin 1985

« " le satrape ", le fait déporter à Borj-le-Boeuf, en plein désert, le 3 septembre 1934.

Libéré le 23 mai 1936, il ne tarde pas à allerà Paris plaider la cause de son pays auprès de Léon Blum.

Malgré ses idées généreuses, le Front populaire passe à côté duproblème. Bourguiba défend néanmoins l'autonomie interne devant le deuxième congrès du Néo-Destour : " C'est comme si on acceptaitla copropriété d'une maison qui vous appartient pour éviter la dépossession totale ! " L'agitation reprend.

Le 9 avril 1938, l'arméeintervient.

L'état de siège est proclamé, et Bourguiba est arrêté pour la deuxième fois.

Il écrit : " C'est de nouveau la rupture entrele peuple tunisien et le protectorat.

" Il dit bien le " protectorat ", car il continue à fonder des espoirs sur une France qui, pourtant,refuse de comprendre la situation et la volonté d'émancipation des peuples colonisés. Quand éclate la guerre de 1939, il est transféré au fort Saint-Nicolas à Marseille.

Allemands et Italiens lui font des avances.

Ilesquive et met en garde les dirigeants du Néo-Destour contre toute collaboration avec l'Axe.

Le 8 avril 1942, il écrit au docteurHabib Thameur, un des responsables du parti : " En tant que chef, je donne l'ordre d'entrer en relation avec les Français gaullistesde Tunisie-il doit bien y en avoir quelques-uns-en vue de conjuguer si possible notre action clandestine avec la leur, en laissant decôté, pour après la guerre, le problème de notre indépendance.

" Libéré par Klaus Barbie en 1943, peu avant l'entrée des Alliésà Tunis, où s'achève la campagne d'Afrique du Nord, il place ses espoirs en de Gaulle qui, à son tour, l'ignore.

Après l'occasionperdue avec le Front populaire, c'est le rendez-vous manqué avec la France libre. Désillusion.

Bourguiba se tourne pour la première fois vers l'Orient. Le 26 mars 1945, il part clandestinement et traverse à pied le désert libyen.

Il gagne Le Caire pour obtenir le soutien de laLigue arabe et fait la tournée du Proche-Orient.

Il en revient le 8 septembre 1949. Déçu.

Déçu de l'irréalisme des dirigeants arabes.

Déçu du décalage entre la parole et l'action. A son retour, il découvre que rien n'a changé à la cour du bey, chez le résident général, chez les " prépondérants ", et que lesTunisiens sont toujours aussi pauvres.

Il reprend la lutte.

" C'est la France, dit-il, qui a enseigné au monde les principes surlesquels nous nous appuyons et que nous sommes réduits à invoquer contre elle.

" A la fin de 1951, une note du Quai d'Orsaycoupe court aux promesses d'autonomie, et Xavier de Hauteclocque arrive, intentionnellement, à bord d'un navire de guerre.

Puisil donne " carte blanche " au général Garbay, qui a " pacifié " Madagascar au prix de 80 000 morts et qui va s'illustrer dans les" ratissages " du cap Bon.

La résistance s'intensifie avec l'entrée en lice des fellagas. Dix ans sans liberté C'est dans ce contexte que Bourguiba a été arrêté pour la troisième et dernière fois.

D'assignation à résidence en déportation eten prison, il aura été, au total, privé de liberté pendant près de dix ans quand il regagne la Tunisie ce 1 er juin 1955.

A Paris, certains sénateurs n'hésiteront pas à le qualifier de " nouvel Hitler " et à considérer Mendès France comme un " bradeur ". En se rendant à Tunis, Mendès France a pourtant modifié le cours de l'histoire quatre mois avant que n'éclate la guerred'Algérie, le 1 er novembre 1954.

Lors d'une rencontre secrète, il avait sollicité Bourguiba, qui avait répondu : " Si on fait des conditions acceptables aux fellagas qui se battent dans les montagnes, j'en fais mon affaire.

" Fin décembre 1954, à Bizerte, 2713fellagas rendent leurs armes contre la garantie qu'ils ne seront pas poursuivis.

Bourguiba démontre ainsi qu'il est bien le chef etaffirme déjà la prééminence du pouvoir civil sur la force armée. Par la suite, Boumediène lui reprochera de n'être pas entré en guerre aux côtés de l'Algérie, comme l'avait promis son adjoint,Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, partisan d'un nationalisme arabe intransigeant, qu'il fera écarter en 1956et qui mourra assassiné en 1961 Libérateur des femmes Après le retour de Bourguiba, tout va très vite, et le 25 mars 1956, cinq jours après l'accession à l'indépendance, les Tunisiensélisent, pour la première fois de leur histoire, une Assemblée constituante au suffrage universel.

L'année suivante, il parachève savictoire : le 25 juillet 1957, il devient le premier président de la Tunisie. Mais, avant même la proclamation de la République, il avait proclamé...

l'indépendance de la femme.

Dès le 13 août 1956, ilavait promulgué le code de la famille, qui était en avance, sur bien des points, sur la législation en vigueur en France.

Au coursd'une cérémonie publique restée célèbre, il avait retiré le voile aux femmes.

A l'époque, il a été le premier et le seul chef d'Etatarabe et musulman-avec Mohammed V-à avoir osé ce geste libérateur.. »

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