Devoir de Philosophie

Article de presse: Le jour où Kinshasa est devenue la capitale du nouveau Congo

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

congo
17 mai 1997 - L'Histoire aime les conquérants. Au terme d'une épopée de sept mois, Laurent-Désiré Kabila, le chef des rebelles de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), s'est rendu maître du Zaïre. Il avait promis de prendre Kinshasa avant le mois de juin. Il a tenu parole. Ses troupes ont investi la capitale sans combattre, samedi 17 mai, au lendemain de la fuite du maréchal Mobutu. Il s'est immédiatement proclamé chef de l'Etat en vertu de la "vacance du pouvoir", a annoncé la formation d'un gouvernement de salut public avant mardi et la création d'une Assemblée constituante dans les deux mois. L'Alliance ne perd pas de temps. Elle a aussitôt dépêché son secrétaire général, Déogratias Bugera, à Kinshasa. Arrivé dimanche soir à bord d'un avion en provenance de Kigali, la capitale du Rwanda voisin, M. Bugera est accompagné d'une délégation de cadres politiques et de responsables de l'Agence nationale de renseignement (ANR), spécialistes en matière de sécurité, dont quelques Rwandais qui découvrent Kinshasa. M. Bugera, un Tutsi du Masisi, est également gouverneur et chef militaire du Nord-Kivu. Il dirige l'Alliance démocratique des peuples (ADP), une organisation composée de Tutsis zaïrois, l'un des quatre piliers de l'AFDL. IL doit rassurer les Kinois sur les intentions de Laurent-Désiré Kabila et leur expliquer ce que sera le nouveau gouvernement de salut public. Kinshasa s'est laissé prendre sans faire d'histoires, comme les autres villes zaïroises, après une longue préparation psychologique. Les Forces armées zaïroises (FAZ) qui combattaient aux côtés des rebelles angolais de Jonas Savimbi sur l'axe Kikwit-Kinshasa ont plié bagage en début de semaine dernière, sur ordre du chef d'état-major, le général Mahele Bokungu Lieko, assassiné dans la nuit de vendredi à samedi par un sergent de la division spéciale présidentielle (DSP) qui l'accusait de trahison. Les troupes de l'Unita sont retournées à leurs maquis. Les FAZ sont remontées sur Kinshasa, incitant la garnison de Maluku, à une soixantaine de kilomètres à l'est, à s'emparer de camions appartenant à une société d'exploitation forestière pour rentrer en ville. Les camps militaires proches de l'aéroport international de Ndjili se sont vidés sous l'effet de la peur. Rues désertes La population civile des quartiers environnants s'est défoulée en pillant les habitations des officiers et les installations militaires du camp Ceta, censé abriter une unité d'élite. Samedi matin, les rebelles, annoncés depuis si longtemps, se sont enfin montrés. Ils se sont emparés de l'aéroport, avant de poursuivre leur marche vers la ville. Fidèles à leurs habitudes, les Kinois se sont alors mis à piller frénétiquement quelques échoppes du centre-ville et le marché central. Des éléments de la garde civile sont intervenus, tirant d'abord en l'air puis sur les voleurs. Samedi matin, les rues de la ville étaient quasi désertes : pas une voiture ne circulait. Quelques soldats de la division spéciale présidentielle (DSP) trompaient le temps et la peur en tirant de temps à autre des rafales d'armes automatiques. Des piétons rasaient les murs sur les trottoirs. Les rebelles se sont scindés en plusieurs groupes. L'un, progressant sur la route des poids lourds, s'est dirigé vers la gare centrale, disséminant au passage ses hommes au bord du fleuve où se trouvent de nombreux petits ports privés, quelques entreprises industrielles et des entrepôts. Un deuxième groupe est rentré en ville par l'avenue Kasaï, tandis qu'une autre colonne avait pour objectif la tour de la Voix du Zaïre, siège du ministère de l'information, de la radio et de la télévision. A la hâte, cinq gendarmes ont abandonné leurs armes, quitté leurs uniformes et enfilé des vêtements civils fatigués, à l'abri d'un petit kiosque, avant de se séparer. Un groupe d'adolescents, torse nu et bandeau blanc sur le front, débouche en courant devant l'hôtel Memling, le quartier général d'un grand nombre de journalistes. Ils arrivent de Limete, le quartier d'Etienne Tshisekedi, le chef de file de l'opposition radicale, en vociférant : "On est libérés, ça fait trente-deux ans qu'on subit la dictature. Ça suffit comme ça." L'endroit est propice. Il en viendra d'autres, attirés par les objectifs des caméras, qui tenteront désespérément de brûler un drapeau zaïrois ou de se faire interviewer. A 11 h 15, la première colonne de rebelles est apparue sur le boulevard du 30 juin, sous les acclamations de quelques dizaines de personnes. Ils sont harassés, traînent les pieds et portent négligemment leur arme sur l'épaule. Les tenues sont disparates, mais beaucoup portent le treillis vert moucheté de petits traits marrons que portaient les soldats du Front patriotique rwandais (FPR) lorsque celui-ci rentrait au Rwanda depuis l'Ouganda, en 1990 et 1993. Il se dirigent vers l'ouest, les quartiers résidentiels et le camp Colonel-Tshatshi, le bastion de la DSP, qui abrite la résidence du maréchal Mobutu, au Mont-Ngaliema. Samedi soir, l'essentiel est fait. Les rebelles tiennent l'aéroport international, le Beach Ngobila, le port fluvial d'où partent les navettes pour Brazzaville, le Palais du peuple, siège du Haut Conseil de la République-Parlement de transition (HCR-PT), et plusieurs camps militaires dont les garnisons se sont rendues. Seul Tshatshi n'a pas renoncé. Les soldats de la DSP sont désemparés. Ils ont été abandonnés par leur hiérarchie et ne savent plus à quel saint se vouer. Les armureries ont été ouvertes dans l'après-midi. Les hommes sont bien et lourdement armés. A défaut de se battre, ils utilisent leur matériel de guerre pour terroriser la population des quartiers environnants et piller les villas des dignitaires du régime en fuite à l'étranger. La propre résidence du maréchal Mobutu ne sera pas épargnée. Tractations Dimanche matin, les rebelles reprennent leur progression. Arrivés aux portes du camp de la DSP, ils parlementent avec le colonel et le major, les deux seuls officiers supérieurs présents sur les lieux. Ils n'entendent pas déposer les armes et quitter leur uniforme. Les militaires, au nombre d'une centaine, sont formels : "Nous sommes des soldats du Zaïre, nous voulons intégrer la nouvelle armée nationale", expliquent-ils aux rebelles. A 11 heures, le major Samba fait ouvrir les grilles du camp. De longues tractations s'engagent. Quelques coups de feu claquent. Les abords du camp sont farouchement gardés. Les rebelles n'ont rien voulu entendre. Le reliquat de la DSP se rend sans conditions, dépose les armes et abandonne l'uniforme. De nombreux civils ont consciencieusement visité les maisons des colonels en bordure du camp. Comme des fourmis, ils redescendent vers la ville la tête et les mains lourdement chargées. Ils passent après les militaires et ramassent les restes. Les rebelles ont d'autres chats à fouetter. Ils ne s'occupent pas d'eux. C'est leur chance. Au rond-point de Kitambo, la foule est compacte. Un coup de feu claque. L'homme en uniforme s'effondre. Le soldat-pillard de la DSP est mort. Les rebelles ne plaisantent pas avec l'ordre. Un militaire qui pille est tué sur-le-champ, sans autre forme de procès. Celui qui ne rend pas son arme dès la première sommation est immédiatement tué. Le camp Colonel-Kokolo est immense. Le quartier des officiers supérieurs est encore propret. Ils sont tous en civil, assis sur les murets, sous la garde débonnaire d'une poignée de rebelles. Un tas d'armes individuelles encombre la chaussée. L'armée zaïroise n'a donc opposé aucune résistance. Les rebelles contrôlent Kinshasa depuis dimanche soir. Quelques quartiers excentrés sont encore l'objet de pillages, mais pour peu de temps. La bataille de Kinshasa n'a pas eu lieu. Les scénarios-catastrophes échafaudés par des officiers de la DSP revanchards n'ont même pas été évoqués. La Croix-Rouge zaïroise a ramassé quelque deux cents corps dans la journée de dimanche. Une soixantaine ont été évacués sur les morgues des hôpitaux; les autres ont été immédiatement enterrés. Kinshasa n'est plus la capitale du Zaïre. Elle n'est pas encore celle de la République démocratique du Congo, le nouveau nom du pays. Les Kinois ont accueilli les hommes de Laurent-Désiré Kabila avec une joie empreinte d'inquiétude, et ils s'apprêtent à changer d'hymne national et de drapeau. Ils aimeraient que l'Alliance n'oublie pas Etienne Tshisekedi, le chef de file de l'opposition radicale, ni la promesse de tenir des bientôt des élections générales pluralistes. Kinshasa flotte entre deux statuts. FREDERIC FRITSCHER Le Monde du 20 mai 1997
congo

« désemparés.

Ils ont été abandonnés par leur hiérarchie et ne savent plus à quel saint se vouer. Les armureries ont été ouvertes dans l'après-midi.

Les hommes sont bien et lourdement armés.

A défaut de se battre, ilsutilisent leur matériel de guerre pour terroriser la population des quartiers environnants et piller les villas des dignitaires du régimeen fuite à l'étranger.

La propre résidence du maréchal Mobutu ne sera pas épargnée. Tractations Dimanche matin, les rebelles reprennent leur progression.

Arrivés aux portes du camp de la DSP, ils parlementent avec lecolonel et le major, les deux seuls officiers supérieurs présents sur les lieux.

Ils n'entendent pas déposer les armes et quitter leuruniforme.

Les militaires, au nombre d'une centaine, sont formels : "Nous sommes des soldats du Zaïre, nous voulons intégrer lanouvelle armée nationale", expliquent-ils aux rebelles.

A 11 heures, le major Samba fait ouvrir les grilles du camp.

De longuestractations s'engagent.

Quelques coups de feu claquent.

Les abords du camp sont farouchement gardés.

Les rebelles n'ont rienvoulu entendre.

Le reliquat de la DSP se rend sans conditions, dépose les armes et abandonne l'uniforme. De nombreux civils ont consciencieusement visité les maisons des colonels en bordure du camp.

Comme des fourmis, ilsredescendent vers la ville la tête et les mains lourdement chargées.

Ils passent après les militaires et ramassent les restes.

Lesrebelles ont d'autres chats à fouetter.

Ils ne s'occupent pas d'eux.

C'est leur chance.

Au rond-point de Kitambo, la foule estcompacte.

Un coup de feu claque.

L'homme en uniforme s'effondre.

Le soldat-pillard de la DSP est mort.

Les rebelles neplaisantent pas avec l'ordre.

Un militaire qui pille est tué sur-le-champ, sans autre forme de procès.

Celui qui ne rend pas sonarme dès la première sommation est immédiatement tué. Le camp Colonel-Kokolo est immense.

Le quartier des officiers supérieurs est encore propret.

Ils sont tous en civil, assis surles murets, sous la garde débonnaire d'une poignée de rebelles.

Un tas d'armes individuelles encombre la chaussée.

L'arméezaïroise n'a donc opposé aucune résistance.

Les rebelles contrôlent Kinshasa depuis dimanche soir.

Quelques quartiers excentréssont encore l'objet de pillages, mais pour peu de temps. La bataille de Kinshasa n'a pas eu lieu.

Les scénarios-catastrophes échafaudés par des officiers de la DSP revanchards n'ontmême pas été évoqués.

La Croix-Rouge zaïroise a ramassé quelque deux cents corps dans la journée de dimanche.

Unesoixantaine ont été évacués sur les morgues des hôpitaux; les autres ont été immédiatement enterrés. Kinshasa n'est plus la capitale du Zaïre.

Elle n'est pas encore celle de la République démocratique du Congo, le nouveau nomdu pays.

Les Kinois ont accueilli les hommes de Laurent-Désiré Kabila avec une joie empreinte d'inquiétude, et ils s'apprêtent àchanger d'hymne national et de drapeau.

Ils aimeraient que l'Alliance n'oublie pas Etienne Tshisekedi, le chef de file del'opposition radicale, ni la promesse de tenir des bientôt des élections générales pluralistes. Kinshasa flotte entre deux statuts. FREDERIC FRITSCHERLe Monde du 20 mai 1997. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles