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Article de presse: Le miroir voyeur

Publié le 22/02/2012

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31 août 1997 - Ni dupes. Ni hypocrites. Ainsi meurent les princesses du temps. Ainsi naissent les légendes du siècle. A cent, à mille à l'heure, dans un carrosse tiré par six cents chevaux-vapeur et poursuivi par la meute de ceux qu'il faut bien appeler les chiens de presse. La chasse à courre s'est achevée en plein Paris, par une belle nuit d'été, de la façon la plus imbécile, la plus bête qui soit. Lady Di et Dodi, la princesse et le milliardaire, un titre déjà pour scénario de romance d'été, sont morts dans le fracas et l'horreur d'un excès de légende comme de vitesse. Ils fuyaient l'actualité, la leur. Ils fuyaient ce miroir voyeur accroché à leurs basques et traîne. Ils fuyaient comme des voleurs, entre jeu de société et exaspération, les voleurs d'image. L'accident est arrivé. Absurde, tragique, universel. Le monde entier sait désormais qu'il y a un tunnel sous l'Alma de Paris et que l'on peut y mourir d'une trajectoire d'étoile brisée par son trop grand scintillement. Ce lundi matin, sept paparazzi sont toujours en garde à vue, c'est-à-dire très exactement dans la situation où ils mettent en permanence leurs victimes, consentantes ou non. L'enquête dira leur part de responsabilité dans cette traque mortelle. Elle dira l'avant et peut-être l'après, si leur inconscience professionnelle les a conduits à photographier encore et toujours, comme mus par un ressort de coffre-fort, la fin sanglante de l'aventure. Est-ce un hasard ? L'enquête a été confiée à la brigade criminelle. C'est dire qu'il y a, dans les têtes et les consciences, sinon dans les faits, soupçon de crime. Non d'un crime de sang, mais d'un crime de moeurs médiatiques, d'une permanente, incessante, exaspérante persécution. Photographier, photographier, photographier. Mitterrand sur son lit de mort, les petits plats d'un cannibale japonais, l'ex-mari de Stéphanie en ses prouesses sexuelles. Ou les amours et aventures de Lady Di. Ni dupes, ni hypocrites. Nous sommes tous des paparazzi. Ou tous leurs clients. Tartuffes à l'occasion, indignés souvent, réprobateurs toujours, mais clients. Vieux et humain ressort d'un voyeurisme de l'actualité. Oh ! cela ne passe pas toujours par un acte délibéré d'achat de la presse à sensation, par une volonté affichée d'en savoir et d'en voir toujours plus. Il est d'autres moyens, à commencer par la salle d'attente du médecin ou l'affichage kiosquier. Nous sommes tous, ou presque, l'oeil collé au viseur du paparazzo, comme au trou de la serrure. Voir, et condamner bien sûr, mais voir d'abord et condamner ensuite. La preuve ! Si cette mort de Diana fut un tel choc, un fait divers à retentissement universel, c'est que la légende a été soigneusement, universellement brodée, photo après photo, rumeur après rumeur, événement après événement. Cette jeune femme avait construit sa légende et nous avec elle, jouant de la presse et jouée par la presse. Elle s'était installée au sommet de notre mémoire visuelle et affective. Nous l'avons tant regardée, tant vue, donc tant aimée. Ou, qui sait, tant détestée, ce qui revient au même. Sinon comment expliquer l'émotion ? Le grand roman-photo mondial des seize dernières années se termine pitoyablement. Dans la mort, les larmes de sang et d'encre. Entre Ritz, yacht, Mercedes, jet society, jeux de Cour et conte de faits. PIERRE GEORGES Le Monde du 2 septembre 1997

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