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Article de presse: Le " modèle japonais " à l'épreuve de la globalisation

Publié le 17/01/2022

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12 juin 1998 - Il y a moins de dix ans, les Occidentaux pensaient que l'économie japonaise allait dominer le monde et percevaient le Japon à la fois comme un modèle et une menace. Les choses ont radicalement changé. Avec l'entrée en récession de la seconde économie du monde, annoncée vendredi 12 juin, une énigme s'épaissit : comment un pays immensément riche comme le Japon, qui est le premier créditeur du monde, peut-il s'être enfoncé à ce point dans le marasme ? " La crise japonaise est essentiellement une crise du système financier, et ne concerne pas l'industrie manufacturière. Ce n'est pas le modèle japonais qui est remis en cause " , souligne Christian Sautter, secrétaire d'Etat français au budget et spécialiste du Japon. Autrement dit, on aurait tort de parler d'un " déclin " généralisé d'un pays qui reste, et de loin, la première puissance économique en Asie : " Le Japon a tout ce qu'il faut pour sortir de la crise " , dit M. Sautter. Même si la plupart des nouvelles en provenance de Tokyo sont très mauvaises depuis un an, le pays garde des atouts considérables, à commencer par des entreprises extrêmement compétitives dans l'automobile ou l'électronique. " Le Japon reste une puissance industrielle remarquable " , selon Michel Fouquin, directeur adjoint du Cepii (Centre d'études prospectives et d'informations internationales). Régulation excessive Pourtant, on observe bien, comme le fait remarquer M. Sautter, que " la globalisation cueille à froid le Japon " . Le choc que traverse aujourd'hui le pays traduit les difficultés d'adaptation d'une économie qui tente sans grand succès d'en finir avec ses habitudes de régulation excessive. " Les Japonais doivent commencer à comprendre comment le monde marche " , dit Arnoud De Meyer, directeur du Centre Europe-Asie à l'Insead (Fontainebleau). Un autre économiste, Alexandre Fur, de l'institut Rexecode, constate que " l'Indonésie et la Corée n'ont pas le choix face à la globalisation. Le Japon, lui, a peur " . Le principal élément d'explication de la crise japonaise - la faiblesse de la consommation intérieure - est lui-même le résultat d'un bouleversement en profondeur des structures économiques du pays. Dès 1985, les Etats-Unis obtiennent, à la suite de négociations musclées, que les Japonais fassent remonter le yen et dérégulent leur système financier, abandonnant peu à peu des pratiques comme les taux administrés qui faussent gravement le jeu de la concurrence. L'excès de liberté consécutif à cette première tentative d'ouverture aboutit à la formation d'une bulle financière, qui éclate au début des années 90. Aujourd'hui, les restes d'une régulation excessive de l'économie et le manque de transparence - notamment au niveau du secteur financier - continuent à poser de graves problèmes. " Le système de solidarité traditionnel entre acteurs (banque, industrie, Etat) affaiblissait le Japon, notamment parce que les fonds propres des entreprises japonaises étaient composés d'actions d'autres entreprises japonaises. Dès que les résultats se détérioraient, c'est l'ensemble qui était affaibli " , relève Michel Fouquin, qui constate que " désormais, la valeur d'une entreprise est justifiée par les ratios financiers, selon les normes internationales. " Emplois " ` vie " Dans son rapport publié le 16 juin, la Banque du Japon relève que les entreprises du secteur financier, de l'assurance, des transports et des communications accusent de lourds déficits en raison du manque de concurrence. La pratique de l'emploi garanti " à vie " a empêché la mobilité des salariés japonais vers les secteurs à forte croissance. Combiné avec le vieillissement de la population, le phénomène explique les gains de productivité de plus en plus faibles du Japon. Les analystes sont unanimes : pour retrouver le chemin de la croissance, le Japon va devoir s'ouvrir, et mettre un terme, notamment, au système de la " préférence nationale " appliqué à tous les niveaux de l'économie. Depuis le 1er avril, date de la libération du contrôle des changes, une nouvelle étape est engagée sur la voie de l'ouverture de l'économie japonaise (le " Big Bang " ). Désormais, les épargnants japonais peuvent placer leur épargne où bon leur semble. " La disparition des barrières réglementaires et l'internationalisation des secteurs des services et de la finance se sont faits entre 1985 et 1993 en Europe de manière planifiée. Au Japon, on n'a pas planifié " , souligne Arnoud De Meyer, de l'Insead. Le pouvoir politique japonais et les banques ne pourront plus compter, comme c'était le cas jadis, sur une épargne abondante et peu rémunérée pour réaliser des investissements peu rentables et souvent superflus. La pratique des taux d'intérêt administrés explique une grande partie des difficultés japonaises actuelles, à commencer par la dette publique, qui s'élève à 110 % du PIB : cette dette n'aurait pas été accumulée si les taux d'intérêt avaient mieux reflété les conditions du marché. Même chose pour le secteur bancaire, où les " mauvaises dettes " , autrement dit les prêts à risque ou douteux, s'élèvent à 15 % du PIB. LUCAS DELATTRE Le Monde du 19 juin 1998

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