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Article de presse: Le piège de l'endettement

Publié le 17/01/2022

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1er juillet 1998 - La Russie parviendra-t-elle à gagner la course contre la montre dans laquelle elle est engagée sans avoir recours à une dévaluation du rouble ? Un premier élément de réponse viendra de la Douma. Mais si les députés se rallient à la tentative du premier ministre, M. Kirienko, d'assainir les finances du pays, en mettant notamment en place un code fiscal énergique, la Russie n'en sera pas pour autant tirée d'affaire. Le pays est confronté à une triple crise où le marasme s'auto-alimente. D'une part, sa crise propre, que provoque un déficit public énorme creusé par la faiblesse de ses recettes fiscales. Elle dure depuis la fin de l'empire soviétique et s'aggrave au fil des ans. D'autre part, la crise que traversent tous les pays producteurs de pétrole en raison de la baisse du prix du baril depuis l'automne. La Russie subit enfin le contrecoup de la tourmente asiatique, dont elle a ressenti une première fois les effets en octobre 1997, puis à nouveau en mai 1998, lors de la rechute de l'Indonésie, et qui se traduit par une défiance des marchés et des attaques sporadiques sur le rouble. Ces trois facteurs conjugués mettent la Russie en position de faillite potentielle. Or, les mois qui viennent s'annoncent les plus dangereux. Car, même dans une perspective optimiste, c'est-à-dire si le gouvernement parvient à convaincre les puissants lobbies industriels à lui verser leurs arriérés d'impôts et à mettre en place un système fiscal efficace, il faudra quelques mois au moins pour que l'argent rentre effectivement dans les caisses. Dans l'intervalle, la banque centrale, dont les réserves ont été grignotées par la défense du rouble, finance son déficit budgétaire (7,1 % du PIB en 1997) par des émissions de bons du Trésor à court terme. Pour en garantir le succès, elle offre des taux d'intérêt extrêmement élevés, qui ont culminé à 150 % en mai et qui avoisinent aujourd'hui 80 %. La Russie se trouve donc entraînée dans une situation ruineuse où elle doit non seulement rembourser les obligations arrivées à maturité, mais également continuer à servir les intérêts sur celles dont l'échéance est plus lointaine. Cette semaine, Moscou doit rembourser 1,3 milliard de dollars et quelque 30 milliards d'ici la fin de l'année. Baisse des prix du pétrole Cette dette interne, qui atteignait, fin 1997, la contrepartie en roubles de 60 milliards de dollars, est financée entre 15 à 25 % par des non-résidents. Cette fraction détenue par des étrangers aggrave l'endettement extérieur de la Russie, composé pour moitié d'une dette russe et d'une dette soviétique, déjà rééchelonnée. De 123 milliards de dollars en 1996 (155 % des exportations), celle-ci est passée à 142 milliards en 1997 (185 % des exportations) et pourrait atteindre, fin 1998, 171 milliards de dollars, soit 237 % des exportations, selon les derniers chiffres des experts économiques français. Depuis la mi-juin, les créanciers internationaux redoutent un défaut de paiement sur la dette russe. La situation financière russe est d'autant plus fragile que le solde des transactions courantes pourrait être négatif cette année, pour la première fois depuis 1992. La dégradation de la position extérieure russe (3 milliards de dollars en 1997 contre 11,5 milliards en 1996) s'accentue sous l'effet de la baisse des prix du pétrole. Les produits énergétiques représentent la moitié des recettes d'exportation de la Russie. La simple stabilisation des cours du baril à 15 dollars ferait perdre 5 à 6 milliards de dollars à la Russie et plongerait la balance courante dans le rouge, provoquant de nouveaux besoins pour financer les importations. Depuis quelques semaines, le gouvernement russe ne prétend plus pouvoir, seul, faire face à la dégradation de ses comptes publics. Pris au piège d'une dette qui fait boule de neige, jonglant avec des bons du Trésor qui lui coûtent de plus en plus cher, et qui ne sont même pas certains, demain, de trouver preneur, il tente de convaincre le FMI de mettre à sa disposition une " réserve " d'une dizaine de milliards de dollars. Un tel engagement serait, pour les investisseurs, la garantie que la Russie tiendra ses engagements financiers. La Russie bénéficie déjà d'un programme de 9,2 milliards de dollars, dont 670 millions viennent de lui être versés après une suspension de plusieurs mois en raison de l'incapacité du gouvernement à mettre en place des réformes. La communauté internationale regardera donc à deux fois avant de lui donner ce nouveau coup de main. CHANTAGE Aussi, les Russes jouent avec la menace d'une dévaluation du rouble. Pareille mesure ruinerait trois ans d'une politique monétaire qui a permis d'éradiquer l'hyperinflation. Elle provoquerait la faillite de nombreuses banques, laminerait les recettes des entreprises, renchérirait les importations, gonflerait encore la dette et ferait repartir l'inflation. Un chantage qui va peser dans la décision des partenaires de la Russie. BABETTE STERN Le Monde du 3 juillet 1998

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