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Article de presse: Le retour de Maurice Thorez et la politique du PC

Publié le 22/02/2012

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27 novembre 1944 - Le Bourget. Après cinq ans d'absence, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, foule de nouveau le sol national. Il retrouve une France bien différente de celle qu'il avait quittée. Lui aussi a changé. Il a vieilli, s'est quelque peu empâté physiquement et durci psychologiquement pendant ces cinq années où toute son activité dépendait du bon vouloir de Staline (1) Mais surtout, il n'est plus le déserteur de 1939, il est devenu le chef du puissant " parti des fusillés ". Dans ce parti, qui voit affluer en automne 1944 plusieurs centaines de milliers d'adhérents, qui reconnaîtrait le groupuscule clandestin de quelques milliers de membres de la fin 1939, marginalisé à la suite du pacte germano-soviétique ? En novembre 1944, ce parti contrôle une somme impressionnante d'organisations : le plus important mouvement armé de résistance-les FTP,-l'organe de commandement intérieur des FFI, la CGT, les milices patriotiques; près du tiers des membres des comités départementaux de libération sont communistes, sans oublier deux ministres, François Billoux et Charles Tillon. Mais Thorez n'a pas le loisir de savourer sereinement cette métamorphose, l'urgence commande. Car le parti qu'il redécouvre en 1944 est en pleine effervescence. Depuis trois mois, une lutte sourde oppose celui-ci à Charles XI-dixit Jacques Duclos,-c'est-à-dire de Gaulle. Le dernier visage pris par cet affrontement larvé a pour enjeu les milices patriotiques, ces forces de police supplétives. Un mois avant le retour de Thorez, le 28 octobre exactement, le gouvernement dissout ces milices. Mais le PCF s'oppose à cette mesure et développe, tout au long du mois de novembre, une campagne pour faire céder le gouvernement. Comme le proclame Jacques duclo-alors numéro un de fait du PCF-le lendemain de la décision ministérielle " on voudrait, dans certains milieux, nous ramener à un nouveau régime Pétain, mais le peuple de France ne se laissera pas provoquer ", et Duclos appelle au renforcement des milices patriotiques. Dans cette campagne, le PCF parvient à s'assurer le soutien de la majeure partie de la Résistance, bien que les milices patriotiques n'aient pas bonne presse au sein de celle-ci. En dehors du fait d'être entièrement contrôlées par le PCF, on leur reproche surtout de regrouper nombre de " résistants de septembre ". Pendant ce mois de novembre, la tension monte, les incidents se multiplient : arrestations de membres des Mil'Pat'. coupures d'électricité dans les locaux de la milice patriotique et fouilles de ceux-ci, censure de l'Humanité et des communiqués du Conseil national de la Résistance, etc. Deux jours avant le retour de Thorez, une explosion, d'origine indéterminée, tue plusieurs dizaines de membres des milices. Mais, pendant toute cette période, la direction du parti, tout en exaltant l'ardeur de ses troupes, prend grand soin de ne pas enclencher l'engrenage fatal. Bref, tout le monde attend que Thorez s'exprime et, par son intermédiaire, la direction du mouvement communiste international. Trois jours après son retour, il le fait, dans le cadre familier de ce Vélodrome d'Hiver où il avait tant su faire vibrer les foules lors des heures chaudes du Front populaire. L'assemblée est émue, chaleureuse et enthousiaste, mais, malgré l'enivrement des slogans et des Internationale, elle reste sur sa faim : Thorez garde le silence sur les milices. Les avertis ont compris, le cap est changé. Pendant deux mois toutefois, Thorez se contente de décélérer le mouvement pour ne pas doucher trop rudement l'enthousiasme débordant des militants. La nouvelle ligne n'est officiellement proclamée qu'à l'occasion de la réunion du comité central tenue à Ivry du 21 au 23 janvier 1945, lorsque Thorez déclare que la tâche des comités de libération n'est pas d'administrer mais d'aider ceux qui administrent, et que " tous les groupes armés irréguliers " doivent disparaître. Depuis quarante ans, tout le monde s'interroge sur les raisons de ce revirement communiste. Bien entendu, les observateurs n'ont pas été sans remarquer qu'au moment où de Gaulle dissolvait les milices il amnistiait Thorez, et que l'avion du premier volant vers Moscou croisait celui du second en revenant. D'où le " marché " évoqué par de nombreux historiens. Une telle hypothèse est vraisemblable même si elle n'est pas prouvée. Mais elle n'est pas contradictoire avec une autre explication : en liquidant les milices, Thorez et le mouvement communiste ne firent que tirer les leçons de l'échec de la stratégie communiste de la Libération. En effet, depuis le 4 avril 1944-date de l'entrée des communistes au gouvernement,-le PCF applique une " stratégie duale ". Pour ce qui concerne par exemple le problème militaire, il tente de construire une " nouvelle armée populaire " absorbant l'armée régulière. Ce projet était censé devenir réalité grâce à un double levier. A l'intérieur de l'armée, le rôle essentiel était dévolu au comité d'action militaire du CNR (COMAC), dont deux des trois membres étaient communistes. Celui-ci avait trois objectifs principaux : imposer un droit de veto sur les décisions ministérielles, disposer de toute latitude d'action politique au sein des unités militaires et réaliser la primauté des unités FFI au sein de l' " armée nouvelle ". Ce travail interne devait être conjugué à une pression externe assurée par les mouvements de résistance, les comités de libération et les comités militaires qui apparaissent après la Libération, car, comme le proclame le COMAC dans son instruction du 15 septembre 1944, " le rôle des mouvements de résistance sur le plan militaire n'est pas terminé (...) : il reste à réaliser l'armée nationale, dont les FFI sont le noyau autour duquel devront se cristalliser les apports quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent ". En outre, cette activité touchant le pilier militaire de l'appareil d'Etat n'est pas isolée. Dans le même temps, le Parti communiste met en place ces forces de police que sont les milices patriotiques, il soutient les comités de libération qui revendiquent des pouvoirs, et parfois le pouvoir, toute cette activité s'insérant, nous dit le bulletin interne de septembre 1944 du Front national (organisation dirigée par le PCF), " dans le cadre de la légalité actuelle qui n'est ni totalement celle de la Résistance ni totalement celle du gouvernement provisoire ". En clair, tout en participant au pouvoir gouvernemental, le PCF développe un pouvoir résistant concurrentiel, qu'il présente comme émanant d'une légitimité supérieure au premier. La lutte entre ces deux pouvoirs n'était pas à l'ordre du jour, mais la possibilité en était réservée. Or, l'espoir révolutionnaire ne dura guère. Contrairement aux hypothèses préalablement retenues, il n'y a pas eu de vide du pouvoir à la Libération, et les comités de libération n'ont pu s'engouffrer dans des brèches véritables. Surtout, au sein de l'armée, par la fermeté des institutions gouvernementales-aidée par le caractère provisoire du régime politique et constitutionnel qui conférait un blanc-seing au général de Gaulle,-les FFI ont été privés de tout poids significatif. L'intelligence politique de Thorez lui fit trancher dans le vif et mettre fin à un processus stratégique désormais sans issue. Quelles que furent alors ses motivations, la nouvelle ligne thorézienne amena le PCF à faire un bout de chemin avec de Gaulle. Comme le dit ce dernier dans son langage particulier : " Est-ce simplement par tactique politique ? Je n'ai pas à le démêler. Il me suffit que la France soit servie ". PHILIPPE BUTON Mars 1985

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