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ARTICLE DE PRESSE: Le sommet de Madrid

Publié le 22/02/2012

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16 décembre 1995 - Samedi 16 décembre, à Madrid, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze vont officialiser la date de convocation de la Conférence intergouvernementale (CIG) chargée d'aménager les institutions de l'Union européenne (UE) dans la perspective de son élargissement aux pays d'Europe centrale le 29 mars à Turin et adopter son mandat. Parviendront-ils à s'entendre sur une méthode de travail qui lui éviterait la déroute ? Un échec de la CIG, premier d'une série de rendez-vous sur l'organisation politique et économique de l'Europe qui vont se succéder jusqu'à la fin du siècle, ne pourrait avoir qu'un impact négatif sur les étapes suivantes, au premier rang desquelles l'Union économique et monétaire (UEM). Les Allemands ont constamment répété que la mise en place de l'Union monétaire devait s'accompagner de progrès vers l'Union politique : une absence de réformes politico-institutionnelles significatives, lors de la session de clôture de la CIG, en juin 1997, donnerait des prétextes à ceux qui, outre-Rhin, rêvent d'enterrer le projet de monnaie unique. Aujourd'hui, tout porte à penser que, sauf effort d'imagination, la CIG s'engagera inexorablement dans l'impasse. La lecture du rapport du " groupe de réflexion ", présidé par Carlos Westendorp, le secrétaire d'Etat espagnol aux affaires européennes, qui avait été chargé de la préparer, n'est pas encourageant : il met en relief l'absence d'accord entre les Etats membres sur les réformes à entreprendre, une divergence qu'on ne peut pas imputer uniquement à l'obstruction systématique des Anglais, même si celle-ci constitue un obstacle sérieux. Cette situation de désaccord chronique peut-elle évoluer pendant la conférence ? Sachant que toute révision du traité exige l'unanimité, peut-on parvenir sur les sujets les plus sensibles (telles l'extension du vote à la majorité qualifiée et la modification de la pondération des voix) à des majorités suffisamment substantielles pour convaincre Londres de bouger ? La détermination franco-allemande ne paraît pas suffisante pour provoquer un effet d'entraînement. C'est du moins l'impression donnée par la lettre récemment adressée à leurs collègues du conseil européen par Jacques Chirac et Helmut Kohl, qui est rédigée sur plusieurs points en termes trop généraux pour refléter une véritable communauté de vue. Par ailleurs, on s'oriente vers une CIG courte, concentrant ses efforts sur les aménagements institutionnels. Cette spécialisation relative conduira les Etats membres à ne pas se dévoiler, à se garder des atouts pour les négociations suivantes (le budget de l'Europe, la PAC, les Fonds structurels, les engagements extérieurs de l'Union, les modalités de l'élargissement), bref à éviter de faire des concessions sur les points sensibles. Autre frein, le peu d'envie qu'ont les Etats membres de faire ratifier par leurs parlements, et chez certains par référendum, un traité révisé, alors qu'on sort à peine des tribulations de Maastricht, que dans plusieurs d'entre eux les majorités sont fragiles et l'adhésion à la construction européenne, refroidie. Il semble donc nécessaire d'explorer des voies nouvelles. On pourrait engager, dès Madrid, une réflexion sur les aménagements institutionnels susceptibles d'être mis en oeuvre sans modification du traité. " Il y a beaucoup à faire ! ", assure un éminent juriste bruxellois. On en est convaincu en écoutant tel ou tel haut-fonctionnaire déplorer les méthodes de travail du Conseil des affaires générales (il réunit les ministres des affaires étrangères et se trouve au centre du processus de décision de l'Union). Perdant son temps dans des rites protocolaires " dialogue politique ", " dialogue structuré " et autres fadaises... , il se révèle incapable de négocier, encore moins de trancher. Revoir des procédures, afin de faire à nouveau de la place au débat ministériel, supprimer des échelons de discussion (notamment en matière de coopération judiciaire) contribuerait à redonner du nerf à une Communauté ankylosée. Les chefs d'Etat et de gouvernement pourraient charger le " Coreper " (le Comité des représentants permanents), qui connaît bien la musique, de faire un rapport sur ce thème d'ici àl'ouverture de la CIG. Comment aller au-delà ? Une formule envisagée par certains acteurs bruxellois pour contourner les obstacles évoqués plus haut serait d'admettre d'entrée de jeu que la CIG n'épuisera pas les débats sur les réformes institutionnelles, que les discussions devront reprendre au cours du processus conduisant à l'élargissement. Les points d'accord enregistrés au cours de la CIG seraient alors considérés comme conditionnels, subordonnés à une validation ultérieure, en fonction de l'état d'avancement des autres grands dossiers (UEM, budget, etc.). Ils seraient bel et bien consignés à la fin de la Conférence, comme témoignage des progrès accomplis, mais, en raison de leur caractère non définitif, ne seraient pas soumis à ratification. L'idée, qui paraît séduisante, serait de libérer ainsi les protagonistes de leurs arrière-pensées y compris peut-être les Anglais de leurs soucis électoraux ! et de leur permettre, sachant qu'il sera possible de faire marche arrière si le reste tourne mal, de se montrer plus audacieux en matière de réforme institutionnelle, le vrai terrain de la CIG. L'assurance sur l'avenir ainsi garantie aux Etats membres permettrait peut-être aux plus prudents (ceux du Benelux notamment) de donner leur feu vert pour que soit précisé, à la fin de la CIG, le calendrier de l'élargissement. Ce qu'on pourrait appeler " le dilemme de Madrid " trouverait ainsi sa solution ! PHILIPPE LEMAITRE Le Monde du 16 décembre 1995

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