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Article de presse: L'enjeu

Publié le 22/02/2012

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27 juin 1972 - En politique intérieure les dates historiques sont rares et les superlatifs trompeurs. Mais on ne risque rien à affirmer que celle du 27 juin 1972 est la plus importante pour la gauche depuis la scission au congrès socialiste de Tours, le 30 décembre 1920. Pour la gauche et donc pour toute la politique française. De deux choses l'une : ou le contrat signé par le Parti communiste et le Parti socialiste sera de nul effet faute de victoire électorale ou de fidélité de l'un des alliés, et ce n'est pas de sitôt qu'une tentative de cette nature et de cette ampleur sera reprise ou bien le programme deviendra celui de la gauche au pouvoir, et la politique française s'en trouvera profondément changée. Comme elle l'a été il y a plus de cinquante ans lorsque, irrémédiablement divisée, la gauche a été pour longtemps affaiblie, stérilisée et frustrée du pouvoir, sauf de brèves expériences d'où elle est vite sortie, plus découragée, plus divisée que jamais. On pourra débattre longuement de l'ambiguïté ou même de l'irréalisme de tel ou tel chapitre, notamment économique, du programme commun, douter de la sincérité ou de la persévérance de l'un ou l'autre des deux partis. Mais on ne peut oublier que l'évolution qui s'est produite plus encore à la base qu'au sommet de chacun d'eux et les treize années qu'ils ont passées ensemble dans l'opposition, sans compter le jeu contraignant du mode de scrutin, les poussaient, les condamnaient à s'entendre. Aujourd'hui, le fait capital n'est pas que le contrat ait tel ou tel contenu c'est qu'il existe et qu'il modifie déjà, ranime la vie politique, renouvelle et renchérit l'enjeu des prochaines élections législatives et de la future élection présidentielle. L'accord socialo-communiste rend à la fois plus faciles et plus difficiles la tâche et la responsabilité de l'actuelle majorité. L'épouvantail du Front populaire, repeint à neuf, ou plus simplement le coût, non chiffré, du financement du programme peuvent effrayer les électeurs des " petites classes moyennes " et les faire refluer vers la majorité gouvernementale, tandis que les " centristes d'opposition " n'ont d'autre espoir et d'autre avenir que de la rejoindre, tôt ou tard. L'anticommunisme a cependant perdu de son effet depuis que le parti a changé sinon d'âme du moins de visage, et son maniement est plus délicat depuis que, simultanément, le pouvoir cultive assidûment l'entente et la coopération avec les régimes socialistes. Facilitée par la simplification accrue de la lutte, l'entreprise de la majorité sera rendue plus difficile par la vigueur retrouvée de l'opposition. Le temps n'est plus où l'on pouvait affirmer que si la gauche ne peut rien faire sans les communistes elle ne peut non plus rien faire avec eux. Un pari est pris qu'il est vain de réduire à l'ambition d'un homme, qui a d'ailleurs autant à y perdre qu'à y gagner. Une dynamique est crée qui, l'expérience l'a souvent démontré, peut avoir un effet multiplicateur sur l'électorat et le militantisme de la gauche. Et, à cet égard, les socialistes ont pris consciemment le risque, s'ils accèdent au pouvoir avec les communistes et se heurtent à des difficultés graves, notamment d'ordre financier, d'être à la fois soutenus, stimulés et encadrés par des forces populaires, politiques et syndicales dont les communistes sont les maîtres. Face à des adversaires rassemblés autour d'un programme plus complet et plus positif que celui du Front populaire, qui, lui, était né d'un double refus, celui du fascisme et celui de la déflation, la majorité devra faire preuve d'imagination et d'initiative, d'unité aussi. En est-elle encore capable après quatorze ans d'exercice du pouvoir et à l'approche de consultations qui la paralysent et la divisent, mais dont l'enjeu la dépasse de beaucoup ? N'est-ce pas, en effet, toute une conception de la société et de l'économie qui est en cause ? JACQUES FAUVET Le Monde du 29 juin 1972

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