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Article de presse: Les cent fleurs

Publié le 22/02/2012

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13 juin 1956 - Une véritable crise régnait à la fin de 1955 dans les milieux intellectuels chinois. La draconienne " remise dans le moule " qui avait suivi l'arrestation de l'écrivain Hufeng avait semé parmi eux la confusion et la peur. Pour réparer les dégâts, le Parti communiste réunit à Pékin au mois de janvier une conférence sur la situation des intellectuels. Dans un long discours, le premier ministre Zhou Enlai constata que, d'après une récente enquête, 40 % seulement des membres de l'élite intellectuelle-littérateurs, professeurs, savants, etc.-soutenaient " positivement " le parti. " Une partie des intellectuels sont séparés de notre parti par une sorte de mur ", reconnaissait-il, ajoutant que " les méthodes violentes pour la réforme des esprits ne résolvent pas le problème ". Quatre mois se passent, et voici qu'un nouveau mot d'ordre est lancé par un personnage officiel à Pékin, et diffusé aussitôt à travers toute la Chine. C'est un slogan fait de huit caractères élégants qu'on peut traduire à peu près : " Que fleurissent harmonieusement les cent fleurs, que rivalisent bruyamment les cent écoles. " L'auteur du slogan ? C'est peut-être Mao lui-même, mais celui qui le lance en public est le chef de la propagande du comité central, nommé Lu Ting-yi. L'endroit ? Une nouvelle conférence des intellectuels réunie en mai dans l'enceinte de l'ancienne cité interdite. Le sens ? Un long discours l'explique : la littérature, les beaux-arts et les sciences ont besoin de variété et d'émulation, dit-il en substance. Que fleurissent les cent fleurs et que rivalisent les cent écoles, cela veut dire que les intellectuels sont autorisés à revenir à la pluralité de la pensée et à la discussion de thèses diverses. Publié dans le Quotidien du peuple du 13 juin, le discours de Lu Ting-yi est aussitôt l'objet, dans le pays tout entier, de réunions d'études dans tous les milieux intellectuels. Un souffle de liberté ? Etudions-le donc, nous aussi. Sans aucun doute il comporte des nouveautés et des audaces. Voici ses principales propositions, très résumées car le discours est interminable, selon l'usage. La littérature, l'art et les sciences ont beau être des armes de la lutte des classes, dit Lu Ting-yi, il ne faut pas aller jusqu'à les confondre avec la politique... La science est au-dessus de la classe : on ne peut pas parler de " science socialiste " ou de " science capitaliste "... On doit reconnaître à chacun le droit de maintenir une opinion personnelle... Le réalisme socialiste est la meilleure méthode de création artistique, mais, pourvu qu'on serve le peuple, on peut en employer d'autres... La discussion doit être libre la personne critiquée ne doit pas être privée du droit de se défendre les confessions et autocritiques ne doivent pas être extorquées à quelqu'un qui les refuse une pensée non conformiste ne doit pas être automatiquement traitée en pensée contre-révolutionnaire. Implicitement, le discours dénonce, on le voit, toutes sortes d'abus qui ont rendu l'atmosphère étouffante dans les cercles intellectuels. Lu Ting-yi en avoue même directement un certain nombre. Dans la lutte idéologique, " il y a eu un côté sombre ", dit-il, et il donne des exemples : monopole de la pensée usurpé par certains membres du parti, méfiance du parti pour les intellectuels et réciproquement, fossé qui s'est creusé entre jeunes et anciens dans les milieux académiques, tendance à " négliger ou oblitérer " l'héritage du passé, à tomber dans une " occidentalisation en bloc ", à appliquer sans souplesse les leçons de l'URSS... Voici enfin un aveu particulièrement intéressant : " Le système actuel de critique (lisez : le processus " critique-autocritique " ) fait peur aux gens. " Critiquer quelqu'un ne doit pas être nécessairement l'attaquer le critiqué ne doit pas se sentir traité en ennemi. Si le " discours des cent fleurs " ne contenait que ce qui précède, on pourrait penser qu'une révolution s'annonce dans la révolution chinoise. Malheureusement, ces développements libéraux sont semés de toutes sortes de restrictions et de rappels à la rigueur marxiste. Raillerie Quelle va être la mise en pratique de la doctrine des cent fleurs ? Au lendemain du discours de Lu Ting-yi, un certain courant libéral se fait jour. Le Quotidien du peuple inaugure une rubrique de critiques dont l'auteur anonyme se montre parfois audacieux. Sur un ton de raillerie qui veut rester léger, il dénonce toutes sortes d'aspects de la vie en régime communiste : le souci général d'être médiocre, le silence peureux de tous, les savants " qui n'osent pas prononcer un mot, sauf des citations d'Engels, Lénine et Staline ", les étudiants " dont les copies d'examen sont des discours politiques ", l'invasion de la vie par les discours interminables, le règne des censeurs qui jugent tout " au nom de deux livres : un guide moral et un recueil de citations célèbres ", etc. Un effort est donc fait pour aérer une atmosphère devenue étouffante. Le phénomène le plus neuf est la floraison-c'est le cas de le dire-de révélations pessimistes sur la condition ouvrière ou les difficultés économiques. Mais dans le domaine intellectuel les nouveautés ne vont pas loin. Les critiques elles-mêmes finissent par être stéréotypées. L'aspect général de la presse ne change pas. Quand vient le VIIIe congrès, elle est envahie par les lourds comptes rendus, et l'on en revient aux journaux ennuyeux et officiels de toujours. Le congrès lui-même n'insiste pas sur le thème des cent fleurs. Une tendance libérale semble sans doute s'affirmer dans l'article 3 de la nouvelle constitution du parti, qui dit : " Quand quelqu'un est en désaccord avec une décision du parti, il a le droit de garder son opinion et celui de soumettre son opinion aux instances supérieures. " Mais l'article ajoute aussitôt : " Il doit cependant rester prêt à exécuter l'ordre sans conditions. " Le secrétaire général du comité central, commentant cet article, en donne une interprétation fort restrictive : le droit de désaccord joue " dans les questions au jour le jour ", mais nullement sur les principes, ni même sur les " activités dans les questions pratiques ". La base du parti est l' " idéologie unifiée ". En même temps qu'on discerne mieux les limites de la doctrine des cent fleurs, on en voit plus clairement les intentions. Le plan, l'industrie nouvelle, la reconstruction de la Chine, tout cela crée ce que Zhou Enlai appelle des " besoins de l'Etat en intellectuels " véritablement impérieux l'élite cultivée fait tragiquement défaut à la Chine nouvelle. Qu'une partie de ses membres restent à l'écart, c'est une perte grave. On s'efforce donc de rassurer les intellectuels et de les attirer au parti en leur promettant une attitude plus libérale. Un maccarthysme chinois Il est très significatif que la nouvelle campagne à cet effet émane non pas de tel grand maître de la pensée politique, comme Liu Shaoqi, par exemple, mais d'un personnage relativement secondaire; mieux encore, du préposé à la propagande. La doctrine des cent fleurs est au premier chef un outil de propagande. Jamais n'est écarté en fait pour les artistes ou les savants, encore moins pour les intellectuels évoluant dans le milieu politique, par exemple les journalistes, le principe que le conformisme politique et l'obédience strictement marxiste sont la condition de leur emploi. Jamais n'est écartée la menace de voir une pensée vraiment libre traitée en pensée contre-révolutionnaire. Le maccarthysme aux Etats-Unis soupçonnait partout le communisme. Ce n'est rien à côté d'un maccarthysme chinois à rebours, qui a besoin de s'assurer constamment du loyalisme des intellectuels et qui fait peser sur eux la peur constante d'être considérés comme des ennemis du peuple ou des non-patriotes. Un signe net qu'il n'y a pas de changement majeur en ce qui concerne la liberté de pensée est la persistance du système concentrationnaire. Les camps n'ont pas fermé leurs portes ni renvoyé leurs pensionnaires. Or que sont-ils, de l'aveu même du régime, sinon essentiellement un instrument de réforme de la pensée ? ROBERT GUILLAIN Le Monde du 7 mars 1957

« difficultés économiques. Mais dans le domaine intellectuel les nouveautés ne vont pas loin.

Les critiques elles-mêmes finissent par être stéréotypées.L'aspect général de la presse ne change pas.

Quand vient le VIII e congrès, elle est envahie par les lourds comptes rendus, et l'on en revient aux journaux ennuyeux et officiels de toujours. Le congrès lui-même n'insiste pas sur le thème des cent fleurs.

Une tendance libérale semble sans doute s'affirmer dans l'article3 de la nouvelle constitution du parti, qui dit : " Quand quelqu'un est en désaccord avec une décision du parti, il a le droit degarder son opinion et celui de soumettre son opinion aux instances supérieures.

" Mais l'article ajoute aussitôt : " Il doit cependantrester prêt à exécuter l'ordre sans conditions.

" Le secrétaire général du comité central, commentant cet article, en donne uneinterprétation fort restrictive : le droit de désaccord joue " dans les questions au jour le jour ", mais nullement sur les principes, nimême sur les " activités dans les questions pratiques ".

La base du parti est l' " idéologie unifiée ". En même temps qu'on discerne mieux les limites de la doctrine des cent fleurs, on en voit plus clairement les intentions.

Le plan,l'industrie nouvelle, la reconstruction de la Chine, tout cela crée ce que Zhou Enlai appelle des " besoins de l'Etat en intellectuels "véritablement impérieux l'élite cultivée fait tragiquement défaut à la Chine nouvelle.

Qu'une partie de ses membres restent àl'écart, c'est une perte grave.

On s'efforce donc de rassurer les intellectuels et de les attirer au parti en leur promettant une attitudeplus libérale. Un maccarthysme chinois Il est très significatif que la nouvelle campagne à cet effet émane non pas de tel grand maître de la pensée politique, comme LiuShaoqi, par exemple, mais d'un personnage relativement secondaire; mieux encore, du préposé à la propagande.

La doctrine descent fleurs est au premier chef un outil de propagande. Jamais n'est écarté en fait pour les artistes ou les savants, encore moins pour les intellectuels évoluant dans le milieu politique,par exemple les journalistes, le principe que le conformisme politique et l'obédience strictement marxiste sont la condition de leuremploi. Jamais n'est écartée la menace de voir une pensée vraiment libre traitée en pensée contre-révolutionnaire.

Le maccarthysmeaux Etats-Unis soupçonnait partout le communisme.

Ce n'est rien à côté d'un maccarthysme chinois à rebours, qui a besoin des'assurer constamment du loyalisme des intellectuels et qui fait peser sur eux la peur constante d'être considérés comme desennemis du peuple ou des non-patriotes. Un signe net qu'il n'y a pas de changement majeur en ce qui concerne la liberté de pensée est la persistance du systèmeconcentrationnaire. Les camps n'ont pas fermé leurs portes ni renvoyé leurs pensionnaires. Or que sont-ils, de l'aveu même du régime, sinon essentiellement un instrument de réforme de la pensée ? ROBERT GUILLAIN Le Monde du 7 mars 1957. »

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