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Article de presse: Les deux jours qui ont lancé l'euro

Publié le 17/01/2022

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2 mai 1998 - Avec la désignation officielle de la liste des pays qui participeront, dès le 1er janvier 1999, au bloc de l'euro, le sommet de Bruxelles des 1er, 2 et 3 mai marque une date capitale dans l'historique économique de l'Europe. Au-delà du choc purement monétaire qu'elle représentera, la création de la monnaie unique bouleversera aussi le mode de fonctionnement des économies du Vieux Continent, changera en profondeur les stratégies d'investissement des entreprises, leur politique commerciale, leur structure capitalistique, modifiera le comportement des épargnants ainsi que la façon pour les gouvernements européens de conduire leur politique économique. Les transformations monétaires induiront rapidement des mutations économiques de grande ampleur. Conformément aux recommandations formulées par la Commission européenne à la fin du mois de mars, ce sont onze Etats qui constitueront " l'Euroland " , pour reprendre la formule inventée par les économistes américains : l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. Quatre pays seulement de l'Union ne rejoindront pas la zone euro dès sa création : le Danemark, le Royaume-Uni et la Suède, par choix politique, et la Grèce, en raison de performances économiques insuffisantes. Homogénéité financière Il y a deux ans à peine, personne n'aurait imaginé que l'Union monétaire comporterait un nombre si important de nations et constituerait dès son origine un espace économique aussi vaste. Nul ne pensait notamment que les pays d'Europe du Sud parviendraient à satisfaire aux critères de convergence imposés par le traité de Maastricht ; certains économistes avaient même fini par douter de la capacité de grands pays comme l'Allemagne et la France à les respecter. Mais la mise en place de politiques budgétaires rigoureuses et l'amélioration de la conjoncture économique ont permis de déjouer ces sombres pronostics. Tous les prétendants ont ainsi réussi à franchir l'obstacle décisif du critère de déficit : l'Italie, par exemple, sera même parvenue à ramener son déficit de 6,7 % du PIB (produit intérieur brut) en 1996 à 2,7 % en 1997, une performance sans égale dans l'histoire financière mondiale. C'est donc un euro large qui verra le jour le 1er janvier 1999, ce qui augmentera d'autant le poids de l'Euroland dans l'économie mondiale. Les onze pays du bloc euro comprendront près de 300 millions d'habitants, représenteront 19,4 % du PIB mondial et 18,6 % des échanges internationaux. Ils feront jeu égal avec les Etats-Unis (271 millions d'habitants, 19,6 % du PIB mondial et 16,6 % du commerce international) et distanceront largement le Japon (125 millions d'habitants, 7,7 % du PIB mondial et 8,2 % du commerce mondial). Doté d'une puissance de feu a priori considérable, l'Euroland bénéficiera aussi d'un haut degré d'homogénéité financière et monétaire, comme en témoigne la capacité des Etats à avoir respecté les critères de Maastricht : finances publiques en voie d'assainissement durable, taux d'intérêt se situant à des niveaux historiquement bas, inflation faible (moins de 2 %). Cette convergence, de surcroît, n'apparaît pas purement nominale et artificielle. Une récente étude réalisée par les économistes de la Caisse des dépôts et consignations démontrait par exemple que l'évolution des salaires et des prix entre les cinquante Etats américains révélait, contrairement à ce qu'on pense souvent, plus d'hétérogénéité qu'entre les différents Etats européens. En 1997, aux Etats-Unis, les salaires ont progressé de 1 % en Virginie de l'Ouest mais de 9 % dans le Wyoming. En Europe, en revanche, la fourchette de hausse des salaires en 1997 a été comprise entre 2,25 % (Allemagne, France, Belgique) et 4,5 % (Italie, Danemark). Les énormes disparités salariales constatées au début des années 80 sur le Vieux Continent, avec des progressions allant de 5 % en Allemagne à plus de 20 % dans les pays d'Europe du Sud, se sont aujourd'hui fortement atténuées. Les pays européens ont vu de la même façon leurs rythmes d'inflation, très éloignés il y a quinze ans, se rapprocher, en raison, observent les économistes de la Caisse des dépôts et consignations, " des efforts de stabilisation des changes, la mise en place de politiques monétaires restrictives dans les pays les plus inflationnistes, la rigueur salariale, la création du grand marché et la pression concurrentielle qui en a résulté " . Une telle convergence monétaire facilitera le travail de la future Banque centrale européenne (BCE), dont la mission consistera à assurer la stabilité des prix dans la zone euro. Balance exc´dentaire Autre atout pour l'Euroland, il pourra compter sur une balance de ses paiements courants largement excédentaire (près de 2 % du PIB en 1997), contrairement aux Etats-Unis, dont le déficit ne cesse de se creuser. Sur les onze pays de la zone, huit dégageront des excédents, la palme revenant au Luxembourg avec un solde positif représentant 15 % du PIB, le plus mauvais score négatif étant obtenu par le Portugal ( 2,7 % du PIB). La zone euro, enfin, bénéficiera lors du lancement de la monnaie unique d'un environnement économique favorable. La croissance est enfin revenue sur le Vieux Continent. Le produit intérieur brut devrait y progresser de 3 % en 1998 et de 3,2 % en 1999 selon les prévisions de la Commission, croissance qui permettrait, toujours selon Bruxelles, d'entraîner la création de 3,4 millions d'emplois sur la période 1997-1999. Ce dynamisme économique retrouvé en Europe cache toutefois d'importantes disparités. " Les économies candidates à l'adoption de la monnaie unique ne sont pas en phase d'un point de vue conjoncturel, notent les analystes de la société de Bourse Aurel. Certaines, à l'image de celles de la Péninsule ibérique, de la Finlande ou des Pays-Bas, sont déjà engagées dans une phase de croissance solide alors que d'autres sortent tout juste d'une longue période de marasme. " L'écart de croissance, cette année, entre d'un côté le groupe constitué par l'Allemagne, la France, l'Autriche et l'Italie, de l'autre le reste de l'Euroland (Espagne, Finlande, Irlande, Pays-Bas et Portugal) s'établira à 1,5 point. Ce décalage ne sera pas sans poser de sérieux problèmes à la future BCE, les opérateurs des marchés cherchant aujourd'hui à deviner si elle adaptera sa politique aux pays les plus avancés dans le cycle économique ou au contraire à ceux des nations les plus attardées. De façon plus générale, la convergence monétaire et financière reflétée par le respect des critères en matière de finances publiques, d'inflation et de taux d'intérêt cache d'importantes divergences dans ce que les spécialistes ont coutume d'appeler l'économie réelle. L'Europe des onze se présente d'abord comme un espace économique très inégalitaire, tant en matière de puissance commerciale et industrielle, de niveau de vie que d'exposition au chômage. Disparités A eux trois, la France, l'Allemagne et l'Italie représentent 75 % de la richesse globale de l'Union monétaire, les huit pays restants se partageant le solde. De la même façon, le rapport entre le PIB du Portugal et celui de l'Allemagne s'établit à un pour vingt-deux. Même disparité en ce qui concerne les pouvoirs d'achat : alors que le produit intérieur brut par habitant atteint 251 600 francs au Luxembourg, il n'est que de 62 808 francs au Portugal, pour une moyenne de 141 841 francs à l'intérieur de l'Union monétaire. Le taux de chômage, enfin, qui s'inscrivait à 6 % en Autriche en 1997, s'établissait à 22 % en Espagne. Les Etats-Unis, comme le soulignent les experts de la CDC, ne connaissent pas une telle divergence (le taux de chômage allant de 3 % dans l'Utah à 7 % en Virginie de l'Ouest en 1997), grâce à des migrations plus faciles et à un fédéralisme fiscal, c'est-à-dire à des mécanismes de transferts publics automatiques entre Etats. L'harmonisation des taux de chômage en Europe passerait donc d'abord, dans ces conditions, par celle des politiques fiscales et budgétaires, celle des régimes de protection sociale et d'organisation du marché du travail. Dans tous ces domaines, l'Euroland se présente comme une zone totalement éclatée. Quelques exemples : en Irlande, le taux de l'impôt sur les sociétés varie de 10 % à 40 %, en Allemagne de 30 % à 45 % ; le taux normal de TVA se situe à 22 % en Finlande, mais à 16 % seulement en Allemagne ; l'Allemagne ne connaît pas de salaire minimum légal, contrairement à la France ; le montant des allocations familiales, pour deux enfants, selon une étude du patronat allemand, s'élève à 550 marks au Luxembourg (1 850 francs) contre 53 marks au Portugal (180 francs). La grande question qui se pose est de savoir si la monnaie unique permettra d'effacer rapidement ces distorsions, entraînera une homogénéisation totale des économies européennes ou au contraire, comme le pronostiquent les eurosceptiques, si elle ne pourra survivre aux disparités et aux spécificités nationales. PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS Le Monde du 2 mai 1998

« millions d'emplois sur la période 1997-1999. Ce dynamisme économique retrouvé en Europe cache toutefois d'importantes disparités.

" Les économies candidates àl'adoption de la monnaie unique ne sont pas en phase d'un point de vue conjoncturel, notent les analystes de la société de BourseAurel.

Certaines, à l'image de celles de la Péninsule ibérique, de la Finlande ou des Pays-Bas, sont déjà engagées dans une phasede croissance solide alors que d'autres sortent tout juste d'une longue période de marasme.

" L'écart de croissance, cette année,entre d'un côté le groupe constitué par l'Allemagne, la France, l'Autriche et l'Italie, de l'autre le reste de l'Euroland (Espagne,Finlande, Irlande, Pays-Bas et Portugal) s'établira à 1,5 point.

Ce décalage ne sera pas sans poser de sérieux problèmes à lafuture BCE, les opérateurs des marchés cherchant aujourd'hui à deviner si elle adaptera sa politique aux pays les plus avancésdans le cycle économique ou au contraire à ceux des nations les plus attardées. De façon plus générale, la convergence monétaire et financière reflétée par le respect des critères en matière de financespubliques, d'inflation et de taux d'intérêt cache d'importantes divergences dans ce que les spécialistes ont coutume d'appelerl'économie réelle.

L'Europe des onze se présente d'abord comme un espace économique très inégalitaire, tant en matière depuissance commerciale et industrielle, de niveau de vie que d'exposition au chômage. Disparités A eux trois, la France, l'Allemagne et l'Italie représentent 75 % de la richesse globale de l'Union monétaire, les huit paysrestants se partageant le solde.

De la même façon, le rapport entre le PIB du Portugal et celui de l'Allemagne s'établit à un pourvingt-deux. Même disparité en ce qui concerne les pouvoirs d'achat : alors que le produit intérieur brut par habitant atteint 251 600 francsau Luxembourg, il n'est que de 62 808 francs au Portugal, pour une moyenne de 141 841 francs à l'intérieur de l'Unionmonétaire. Le taux de chômage, enfin, qui s'inscrivait à 6 % en Autriche en 1997, s'établissait à 22 % en Espagne.

Les Etats-Unis, commele soulignent les experts de la CDC, ne connaissent pas une telle divergence (le taux de chômage allant de 3 % dans l'Utah à 7 %en Virginie de l'Ouest en 1997), grâce à des migrations plus faciles et à un fédéralisme fiscal, c'est-à-dire à des mécanismes detransferts publics automatiques entre Etats.

L'harmonisation des taux de chômage en Europe passerait donc d'abord, dans cesconditions, par celle des politiques fiscales et budgétaires, celle des régimes de protection sociale et d'organisation du marché dutravail. Dans tous ces domaines, l'Euroland se présente comme une zone totalement éclatée.

Quelques exemples : en Irlande, le taux del'impôt sur les sociétés varie de 10 % à 40 %, en Allemagne de 30 % à 45 % ; le taux normal de TVA se situe à 22 % enFinlande, mais à 16 % seulement en Allemagne ; l'Allemagne ne connaît pas de salaire minimum légal, contrairement à la France ;le montant des allocations familiales, pour deux enfants, selon une étude du patronat allemand, s'élève à 550 marks auLuxembourg (1 850 francs) contre 53 marks au Portugal (180 francs). La grande question qui se pose est de savoir si la monnaie unique permettra d'effacer rapidement ces distorsions, entraînera unehomogénéisation totale des économies européennes ou au contraire, comme le pronostiquent les eurosceptiques, si elle ne pourrasurvivre aux disparités et aux spécificités nationales. PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS Le Monde du 2 mai 1998. »

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