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Article de presse: Les Européens libéraux en Algérie

Publié le 22/02/2012

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9 juin 1956 - Incertain parti que celui qu'il faut situer en deçà de la frange révolutionnaire, laquelle épousa purement et simplement la querelle de la révolution algérienne-avec des hommes comme l'aspirant Maillot ou Lucien Guerroudj, combattant dans les djebels aux côtés de l'ALN, ou avec les adhérents du réseau Jeanson,-et au-delà de la phalange des exécutants de la politique algérienne du régime gaulliste, dont le " libéralisme " épousa étroitement les contours de la stratégie du général. Dans cette fourchette, on peut situer et distinguer plusieurs courants qui, de 1954 à 1962, assumèrent les responsabilités du " libéralisme ". Dans la masse des Européens, qui ne voulaient apparemment rien changer d'un implacable statu quo, quelques centaines d'individus, héritiers d'une tradition liée à des hommes comme Maurice Viollette ou Yves Chataigneau, et surmontant la grande peur provoquée par le soulèvement de 1954 et les tueries d'août 1955, tentèrent, vers 1956, de faire barrage à l'universelle répression. Les militants ou adhérents des partis traditionnels devaient, pour agir dans un sens novateur, se regrouper dans de petites organisations locales telles que la Fédération des libéraux, le Rassemblement de la gauche libérale, le Colloque des enseignants, la Jeune République, Vie nouvelle, Pour la démocratie en Algérie, enfin, animée par des hommes comme André Mandouze et Alexandre Chaulet-ce dernier dirigeant de la CFTC,-qui allaient symboliser le " libéralisme " de la fin des années 50. Plusieurs de ces hommes furent membres du conseil municipal d'Alger, que présidait Jacques Chevallier, chef de file de ceux qu'on pourrait appeler les " notables éclairés ", dont le pilier était Georges Blachette et les porte-parole les plus lucides Jean-Marie Tino et Paul Arnold. Dans cette ligne, le journaliste Robert Rémond et certains collaborateurs du Journal d'Alger tentèrent d'arracher la presse algéroise à la vocation apparemment irrésistible de l'appel à la répression. Le plus important de tous ces courants fut à coup sûr celui que l'on peut qualifier simplement de " chrétien ". L'attitude d'une partie de la hiérarchie, à commencer par l'archevêque d'Alger, Mgr Duval, et de nombreux prêtres, comme l'abbé Scotto, curé de Bab-el-Oued, appuyés sur un clergé métropolitain où la Mission de France donnait le ton à une minorité d'avant-garde, entraîna la formation d'un véritable mouvement de compréhension, loin du soutien des aspirations algériennes. De l'arrestation d'André Mandouze (1956) à celle de l'abbé Boudouresque, en 1958, et à la condamnation de Robert Davezies, en 1962, les militants catholiques furent frappés par une répression qui, en fin de compte, aida à l'évolution des esprits et à la préparation de la paix. Et si Me Popie situa son action dans un cadre plus politique que confessionnel, son assassinat par l'OAS, en 1961, contribua lui aussi à faire de cet ancien membre du MRP un symbole des risques du " libéralisme ". Une équipe comme celle du secrétariat social d'Alger, dont l'aumônier était le RP Sanson, contribua elle aussi à cette prise de conscience, comme les Equipes sociales activement appuyées par Germaine Tillion. L'ensemble de ces courants trouvait en quelque sorte sa synthèse dans une publication qui, de 1956 à 1957, puis en 1960, symbolisa le " libéralisme " avec ses ambiguïtés et ses limites, mais aussi ses risques et sa noblesse : l'Espoir. C'est le 9 juin 1956, alors que les illusions crées par le gouvernement du " Front républicain " s'étaient dissipées, qu'un groupe de personnalités, dont deux conseillers municipaux d'Alger, Paul Houdard et André Gallice, un professeur d'histoire connu, Charles-Robert Ageron, des adhérents de Vie nouvelle et de la Jeune République, comme Henri Dechandol et Jean Chesnot, s'unirent avec des intellectuels musulmans, Mahfoud Kaddache, Mouloud Mammeri et Ahmed Benzadi, pour lancer ce journal mensuel qui portait en sous-titre : " Expression des libéraux d'Algérie ". Aucune idéologie, aucune stratégie politique, aucune solution précise n'était proposée, mais seulement le " dialogue ", la lutte contre la guerre et contre le cycle terrorisme-répression. Dans le climat qui régnait à l'heure de la " bataille d'Alger ", c'était prendre de grands risques. A partir du numéro 9, les sarcasmes et les critiques visant les méthodes de Robert Lacoste et de Massu prirent dans l'Espoir l'allure d'une véritable campagne, tandis que l'annonce de la capture de Ben Bella et de ses compagnons, le 22 octobre 1956, était accompagnée d'un sous-titre qui sonne comme un manifeste : " Les interlocuteurs de demain ". D'où les poursuites; de novembre 1956 à février 1957, cinq numéros furent saisis. Jean Gonnet, chez qui se multipliaient les perquisitions, dut alors suspendre la parution de l'Espoir. Trois ans plus tard, du 29 avril au 28 septembre 1960, dans un climat créé par l'offre d'autodétermination formulée par le général de Gaulle et la désignation de Paul Delouvrier à Alger, plusieurs des fondateurs de l'Espoir et de nouveaux collaborateurs, comme Mohamed Taïbi, Jean Foscoso, Me Gonon et son frère Jean-Pierre, et le jeune journaliste André Pautard, tentèrent une nouvelle expérience. Mais le gouvernement de Michel Debré ne fut pas moins malveillant à l'égard de ces hardis tenants d'une ligne politique, celle de l'autodétermination, qui était en principe celle du chef de l'Etat, que ne l'avait été celui de Guy Mollet pour les pionniers de 1956. Deux saisies et les menaces proférées contre les collaborateurs directs imposèrent une nouvelle interruption du journal, qui ne devait plus paraître qu'une fois, en juin 1962, pour dire " Oui à l'Algérie ! ". Il est permis de s'interroger sur l'efficacité de ces groupes marginaux-les chrétiens mis à part-dont les scrupules et le courage ne pesèrent pas très lourd face aux gros bataillons et aux bombes. Les réformistes n'eurent pas beaucoup d'influence sur les " matraqueurs " de 1956 et les Machiavel de 1960. Mais c'est le mot d' " honneur " qui revient en définitive sous la plume de qui essaie d'évoquer leur action. Et ce n'est pas mince. JEAN LACOUTURE Le Monde du 9 juin 1962

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