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Article de presse: Les groupes coréens doivent se réformer

Publié le 17/01/2022

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20 juin 1998 - Le 20 juin 1998, les banques sud-coréennes annonceront les noms des sociétés mises en liquidation forcée en raison de leur situation financière. Longtemps, elles ont été solidaires des grands conglomérats - chaebols - auxquels les gouvernements successifs leur avaient demandé de prêter sans compter pendant la période de croissance. Les voilà maintenant sommées par le nouveau président, Kim Dae-jung, de ne plus soutenir les entreprises non viables. Porté au pouvoir après le début de la crise asiatique, il affiche une volonté réelle de moderniser l'économie du pays. Les banques elles-mêmes devront rendre des comptes, a d'ailleurs prévenu le président coréen. Quant aux restructurations annoncées ces dernières semaines par les chaebols, a-t-il déclaré le 16 juin, elles " doivent aller plus vite ". Son pouvoir renforcé par la victoire de son parti aux élections municipales du 4 juin, Kim Dae-jung semble décidé à purger " Korea Inc " de ses vices. Mais, entre le mécontentement social relatif aux licenciements, les exigences du FMI et le souci de ne pas trop fausser les lois du marché ni saper la compétitivité internationale des grands groupes, il va devoir jouer serré. Selon des sources bancaires citées par la presse coréenne, les banques devraient demander la liquidation de près de 40 grandes sociétés, appartenant pour la plupart aux quelque 30 chaebols coréens. Les cinq grands, Hyundai, Samsung, Daewoo, LG (ex-Lucky Goldstar) et SK (ex-Sunkyong), ne seront pas épargnés : chacun devra se débarrasser de deux à cinq filiales. Quatre groupes actuellement maintenus artificiellement en vie grâce à l'injection de prêts d'urgence seront " débranchés " . Le sort de Kia et de Hanbo Steel, qui font l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, sera fixé plus tard. En attendant, les chaebols vendent au plus offrant. Très endettés, avides d'expertise occidentale, de devises ou tout simplement de liquidités, les plus gros ont pris l'initiative. Samsung Heavy Industries a cédé à Volvo, pour 700 millions de dollars (environ 4,2 milliards de francs) sa division matériel de construction. Dans l'électronique, le chaebol va se désengager de la société mixte établie avec Hewlett-Packard en Corée et envisagerait de céder AST Research, le fabricant américain de PC racheté l'an dernier. Daewoo Motor est en discussion avec General Motors (GM) qui pourrait prendre de 30 % à 50 % de son capital. LG va mettre en faillite Zénith, le fabricant de téléviseurs américain, pour en faire une filiale. Le groupe Hanhwa, huitième chaebol du pays, vient de céder, pour 874 millions de dollars, à l'américain AES une des plus grosses centrales électriques du pays. " Tout est à vendre" " Tout est à vendre, et pas très cher car les vendeurs ont besoin de vendre, les sociétés ont une rentabilité faible et le won est déprécié " , remarque Jacques Beyssade, directeur de Crédit lyonnais à Séoul. Les investisseurs étrangers se pressent, " mais le nombre d'affaires intéressantes reste limité. C'est toujours délicat d'acheter une société dans la toile d'araignée des chaebols. Nous conseillons des opérations par branche d'activité " , explique Alain Pénicaut, directeur de la BNP à Séoul et président de l'association des banquiers étrangers. La banque française a augmenté de 20 % ses effectifs dans le conseil et les fusions et acquisitions. Les cinq plus gros chaebols, Hyundai, Samsung, Daewoo, LG et SK, ont annoncé chacun une cure d'amincissement dont les analystes attendent les effets concrets. Ils ont promis de lever pour 30 milliards de dollars de fonds étrangers par le biais de ventes d'actifs et d'augmentations de capital d'ici à l'an 2000. Samsung, qui vient d'envoyer aux Etats-Unis et en Europe des " missions d'attraction des capitaux étrangers " (sic), se vante d'avoir déjà trouvé 2,5 milliards de dollars sur les 5 milliards prévus. " Il n'y a pas de chiffres spécifiques, mais la présence étrangère dans le groupe pourrait atteindre globalement 30 % ou 40 % " , estime Park Young-sei, un des vingt directeurs de Samsung chargés de la restructuration. Samsung Display Devices, premier fabricant mondial de tubes cathodiques, est déjà détenu à plus de 50 % par des capitaux étrangers. L'objectif des chaebols est de réduire leur surendettement d'ici à la fin de 1999, notamment en se recentrant sur quatre ou cinq branches d'activités, au lieu d'une dizaine actuellement. Leurs programmes de réduction de coûts entraîneront aussi des suppressions d'emplois, qui toucheront au moins 10 % de la main-d'oeuvre. Hyundai Motor en a donné le coup d'envoi en annonçant 8 000 licenciements. Le volet culturel de la " révolution " des chaebols n'est pas le plus négligeable : il s'agit ni plus ni moins que d'abandonner le concept de conglomérat, comme le souhaitent les politiques. " Le système des chaebols avait un sens dans une phase de développement. Avoir des filiales partout permettait de faire des économies " , admet Park Young-sei, du groupe Samsung. " Nous allons cesser le commerce intra-groupe et acheter ailleurs quand c'est plus compétitif. Et surtout abolir comme le demande le gouvernement le système des garanties mutuelles de dettes entre les sociétés du groupe " , affirme M. Park. Restent les " têtes " , la gestion plus ou moins centralisée de chaque groupe par le fondateur ou sa famille, même si aucun des chaebols n'existe en fait en tant que groupe : dissimulées depuis un certain temps derrière des chairman offices ne figurant sur aucun organigramme, elles pourraient ne pas survivre à la réforme actuelle. " Le fondateur ou sa famille sont des actionnaires minoritaires, détenant au plus 3 % ou 4 % de l'ensemble. Le système tient grâce aux participations croisées. Les fondateurs ont une autorité morale sur l'ensemble, mais pas juridique " , analyse M. Beyssade. Les conseils d'administration accueillent dorénavant des membres extérieurs, et de plus en plus souvent étrangers. Les rencontres entre les directeurs des sociétés membres d'un même chaebol n'auront plus lieu, affirme-t-on chez SK, Hyundai et Samsung. Les stratèges des chairman offices font partie aujourd'hui d'états-majors de la restructuration, chargés de superviser les programmes annoncés. " A terme, les sociétés du groupe seront indépendantes " , estime Lee Jung-seung, anciennement cadre au chairman office de Daewoo. Pour Park Young-sei, de Samsung, les chaebols vont ressembler aux anciens zaibatsu japonais, comme Mitsubishi : " Nous partagerons un nom, une marque, une culture. Mais pour le reste, concurrence pure ! " , affirme-t-il. Comme dans l'automobile, où Daewoo Motor a déjà absorbé Ssangyong Motors, et où Kia a toutes les chances d'être racheté par Samsung ou par Hyundai la crise économique favorise les plus internationaux et les plus solides des groupes coréens. Les sociétés issues des cinq premiers chaebols renforceront probablement leur présence en Corée, même si les nouvelles règles du jeu leur imposent des partenaires étrangers, et des pratiques moins ésotériques. BRICE PEDROLETTI Le Monde du 18 juin 1998

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