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Article de presse: L'intervention soviétique en Afghanistan

Publié le 17/01/2022

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27 décembre 1979 - Cinq ans après le début de l'intervention soviétique, Pierre Metge en dresse le bilan. Lundi 24 décembre 1979 : plusieurs milliers de parachutistes soviétiques sont déposés sur les principaux aéroports afghans. Officiellement, il s'agit d'un simple " réaménagement ", tout au plus d'un léger renforcement de la " contribution " de l'URSS à la lutte contre les " rebelles " qui, depuis plus d'un an, combattent et menacent le régime né du coup d'Etat du 27 avril 1978. L'objectif réel est de prendre le contrôle des aéroports pour mener à bien la première phase d'une opération beaucoup plus vaste: l'intervention massive de l'armée rouge en Afghanistan. Trois jours plus tard, un véritable pont aérien déverse sur Kaboul en cinq heures, à bord de près de quatre cents avions gros porteurs (Antonov-12 et 22 et Ilyouchine-76), trois divisions aéroportées, soit 20 000 hommes avec tout leur équipement. Au même moment, venant de Marv et de Douchanbé, d'énormes convois franchissent la frontière. Quatre divisions d'infanterie mécanisée, soit environ 45 000 soldats, foncent sur Hérat et Mazar-Charif. Le bouclage du pays, avec l'occupation des centres vitaux, deuxième phase de l'opération, est ainsi engagé. La troisième phase sera extrêmement brève. Ce même 27 décembre, vers 19 heures, des parachutistes, renforcés par des membres des " forces spéciales ", les spetsnaz, s'emparent des principaux bâtiments publics de la capitale et marchent sur le palais Dar-ol-Aman, la résidence du chef de l'Etat, Hafizullah Amin. Tout va très vite. A 21h20, Radio-Tadjikistan peut diffuser de Douchanbé la nouvelle de l'élimination d'Amin. Babrak Karmal s'adresse à la population afghane, lui annonçant la fin des " bouchers sauvages, imposteurs et tueurs ". Est-il déjà à Kaboul? Il le prétendra par la suite. Karmal est depuis longtemps l'homme des Soviétiques. Ancien député de Kaboul, proche du prince Daoud (premier ministre de 1953 à 1963, puis président de la République de 1973 à 1978), c'est un grand bourgeois qui prône la révolution. Le 29 décembre, il constitue son gouvernement. Pendant ce temps, l'infanterie mécanisée soviétique poursuit son avance, investit les principales villes du pays et prend le contrôle des grands axes de communication. Les troupes continuent à affluer. Vers la mi-janvier, deux nouvelles divisions viennent s'ajouter aux sept déjà en place, tandis que les fantassins remplacent les parachutistes. Le contingent soviétique atteint alors 90 000 hommes. En dépit de réactions internationales d'une extrême vivacité (embargo sur les produits agro-alimentaires et sur les équipements de haute technologie, boycottage des Jeux olympiques d'été à Moscou), les Soviétiques ne donnent aucune justification convaincante de leur intervention. Ils n'ont, disent-ils, fait que répondre à un " appel à l'aide " lancé début décembre par les autorités afghanes, en pleine conformité avec le " traité d'amitié et de coopération " signé par les deux pays un an auparavant. A les en croire, Amin a fait venir ceux qui allaient le liquider! Parmi les dirigeants afghans, ceux qui, à cette époque, peuvent souhaiter une action soviétique sont soit en exil, soit en prison. D'ailleurs, toute rencontre de ces communistes-là avec les partisans d'Amin se serait aussitôt transformée en bataille rangée. Deux " missionnaires " Il est clair que la décision soviétique d'intervenir ne date pas des premiers jours de décembre. Depuis que le Parti démocratique populaire d'Afghanistan (PDPA) a pris le pouvoir, les échanges de missions sont nombreux entre Moscou et Kaboul. La venue de deux personnages retient pourtant l'attention. C'est d'abord, en avril 1979, le général Alexeï Epichev, président du directorat politique de l'armée rouge: l'Iran vient de voir s'écrouler le régime impérial (11 février), et le soulèvement de la ville et de la garnison de Hérat (4 mars) n'a pu être maté que grâce à l'aviation soviétique. En août, arrive le commandant en chef des forces terrestres, le général Ivan Pavlovski. Il passe deux mois en Afghanistan. C'est à son retour à Moscou qu'est décidée l'intervention. Epichev et Pavlovski ont joué un rôle important, en 1968, dans la préparation et dans l'exécution de l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du traité de Varsovie. Ils sont venus apprécier la situation afghane. Pavlovski est là lorsque Amin élimine Taraki et prend sa place à la tête du parti et de l'Etat (septembre 1979). Taraki, médiocre et indécis, était respecté des clans qui s'opposent au sein du PDPA. Très tôt, l'ambitieux Amin, bon organisateur et dénué de tout scrupule, écarte Karmal. Il devient l'homme fort du parti et du régime. Or les Soviétiques se méfient de lui. Non sans raisons, semble-t-il, car il n'apprécie guère l'étroite tutelle qu'ils font peser sur la politique afghane. Ils décident de se débarrasser de lui et de restaurer le faible Taraki dans la plénitude de ses pouvoirs. Amin prend alors les devants et liquide Taraki. Un faux consensus a Moscou Le régime n'est pas seulement miné de l'intérieur. Il est en butte à un soulèvement qu'il a de plus en plus de mal à contenir. Des insurrections locales ont éclaté dès l'été 1978 et ont , au fil des mois, gagné l'ensemble du pays. Certes, l'opposition reste géographiquement et ethniquement fractionnée. Mais, à ce stade, elle y trouve plutôt avantage et pénètre peu à peu les services de l'Etat et l'armée elle-même. Amin est-il capable de ressaisir le pouvoir qui lui échappe? Tout en lançant de très dures expéditions contre les foyers les plus actifs du soulèvement, il tente d'audacieuses ouvertures politiques. Il prend contact avec le gouvernement pakistanais, approche l'opposition islamiste la plus radicale (le Hezb-é Eslami) et fait des avances aux Américains. Mais son sort est déjà scellé. Fin octobre et début novembre, les Américains notent une activité inhabituelle sur les aéroports proches de l'Afghanistan. Vers la fin novembre, des divisions d'infanterie stationnées au Turkménistan sont complétées par la mobilisation de réservistes. Les 8 et 9 décembre, des unités de parachutistes sont acheminées près de Kaboul, à Bagram. Les Américains protestent alors, auprès des Soviétiques, exigeant des explications, qu'ils n'auront que le 27 décembre. Sur la manière dont Moscou a décidé d'intervenir, on ne sait pas grand-chose. Certains ont cru pouvoir dire que l'armée était pour et le KGB contre. D'autres ont affirmé que les dirigeants soviétiques n'imaginaient pas dans quelle difficile aventure ils s'engageaient. Il n'est pas invraisemblable qu'un faux consensus en faveur de l'intervention se soit établi entre des optimistes, ignorant ses véritables risques, et des réalistes, parfaitement conscients qu'il ne s'agissait pas d'une promenade de santé. Ce qui est certain, c'est que des réaménagements sont apportés au dispositif militaire après l'intervention. Mais ils sont décidés très tôt. Les chars les plus lourds sont retirés vers la fin du mois de mai: Leonid Brejnev fait passer ce mouvement pour une réduction du contingent soviétique, lors de sa rencontre avec Valéry Giscard d'Estaing le 19 mai à Varsovie. Les chars lourds seront, en fait, remplacés par des engins plus légers et plus maniables. Mais plus qu'une adaptation du matériel, c'est une révision du mode de conduite de la guerre qui doit être opérée pour faire face à une résistance qui ne désarme pas. Les principes d'une telle révision sont formulés au cours de l'été par le général Tret'yak qui commande le district militaire d'Extrême-Orient. Leur mise en application est confiée, fin décembre, au général Yazov, qui a servi sous Tret'yak et vient d'être nommé à la tête du district d'Asie centrale. Il s'agit essentiellement de donner aux officiers subalternes et aux sous-officiers une capacité suffisante d'initiative dans l'exécution des opérations antiguérilla, de manière à pouvoir y engager de petites unités relativement autonomes en missions coordonnées. Ces unités doivent recevoir une formation appropriée, qui se met en place progressivement. L'ensemble du contingent opérant en Afghanistan n'a toutefois pas les mêmes besoins. Pour la majeure partie des neuf ou dix divisions qui opèrent aujourd'hui, la mission ne sort guère du maintien de l'ordre, de la protection des organes de l'Etat afghan, du contrôle des zones économiques vitales et des grands axes de communication. Seule la 201e division d'infanterie mécanisée est engagée directement dans la lutte antiguérilla. Peu à peu, l'efficacité de cette unité d'élite, mieux formée, mieux équipée, s'accroît. Elle marque des points contre la résistance. La direction demeure centralisée, entre les mains d'un haut commandement suprême spécial que dirige le maréchal Sokolov, alors premier vice-ministre de la défense. La responsabilité opérationnelle est confiée au général Sorokine, lequel basé à Bagram n'est que le " représentant " du haut commandement suprême spécial. Il ne faut pas voir uniquement dans cette centralisation le reflet de l'organisation bureaucratique hiérarchisée de l'Etat et de la société soviétiques; elle traduit aussi la volonté de ne pas perdre la maîtrise politique de l'opération militaire afghane. Les Soviétiques savent aujourd'hui qu'ils ne gagneront pas facilement sur le terrain. Car la résistance, de son côté, améliore son armement et ses méthodes de combat. Elle tient tête remarquablement, et fait même l'étonnement de bien des experts militaires. Moscou combine donc son engagement armé avec des manoeuvres politiques et diplomatiques. Le gouvernement afghan est chargé, avec l'aide de nombreux conseillers et agents soviétiques, de diviser la résistance, d'éloigner d'elle la population, et de rallier celle-ci. Tâche impossible, en apparence, tant est grand le discrédit de Karmal et du PDPA. Leurs efforts ne sont pas tout à fait vains, mais la partie est loin d'être gagnée. Au plan diplomatique, le but immédiat de Moscou, en se disant prêt à retirer ses troupes, est de faire cesser l'aide qu'apportent à la résistance l'Iran et le Pakistan, et de faire accepter le gouvernement de Karmal par la communauté internationale. En dépit des négociations engagées sous l'égide des Nations unies, les résultats obtenus sont maigres, et les espoirs de les améliorer rapidement assez illusoires. Une démonstration de " solidarité " Reste donc à comprendre ce qui a poussé le Kremlin à s'engager dans une guerre de longue haleine et à braver la réprobation la plus large des pays du tiers-monde, y compris des membres du mouvement des non-alignés. Disons d'abord que l'enjeu principal n'était ni l'accès aux " mers chaudes " ni l'arrêt de la vague déferlante islamique, même si ces deux préoccupations n'ont pu être, dans les conditions régionales de 1979-1980, totalement absentes des discussions précédant l'intervention. Plus impérieuse assurément était la nécessité de restaurer l'autorité d'un régime ami, d'un parti frère. Si un pays qui opte pour le socialisme aux frontières mêmes de la " patrie du socialisme " ne peut pas compter sur sa solidarité, que peuvent en attendre ceux qui se trouvent à l'extrême sud de l'Afrique ou en Amérique latine? Déterminante certainement a été la crainte du développement de l'insécurité aux frontières méridionales et des possibilités d'immixtion qu'elle aurait offertes aux Occidentaux, aux Américains en particulier. Défensive, l'intervention de l'URSS ne le fut pas seulement en tant qu'anticipation d'une menace. Elle le fut aussi comme réponse à l'échec de sa stratégie de pénétration en Afghanistan. Celle-ci s'était attachée, au cours des trente dernières années, à favoriser la construction d'un Etat fort, l'étatisation croissante de l'économie, la formation d'une classe dirigeante aux intérêts liés à l'Etat et l'adoption, par cette classe, de l'idéologie soviétique. Apparemment victorieuse en avril 1978, cette stratégie est en faillite complète dix-huit mois plus tard. L'action des forces internes ne suffit plus pour imposer le socialisme. L'entrée en jeu de forces externes s'avère indispensable. Cinq années plus tard, l'agression soviétique apparaît ainsi moins comme la démonstration de force d'un " impérialisme " ascendant que comme le premier échec grave de la stratégie d'expansion du " socialisme ". Les événements récents d'Afrique australe et d'Amérique centrale sont venus montrer que cet échec n'était pas dû aux seules spécificités de la société afghane, et que l'URSS n'est probablement pas en mesure d'assumer plusieurs Afghanistan. PIERRE METGE Le Monde du 30-31 décembre 1984

« Amin prend alors les devants et liquide Taraki. Un faux consensus a Moscou Le régime n'est pas seulement miné de l'intérieur.

Il est en butte à un soulèvement qu'il a de plus en plus de mal à contenir.

Desinsurrections locales ont éclaté dès l'été 1978 et ont , au fil des mois, gagné l'ensemble du pays.

Certes, l'opposition restegéographiquement et ethniquement fractionnée.

Mais, à ce stade, elle y trouve plutôt avantage et pénètre peu à peu les servicesde l'Etat et l'armée elle-même.

Amin est-il capable de ressaisir le pouvoir qui lui échappe? Tout en lançant de très duresexpéditions contre les foyers les plus actifs du soulèvement, il tente d'audacieuses ouvertures politiques.

Il prend contact avec legouvernement pakistanais, approche l'opposition islamiste la plus radicale (le Hezb-é Eslami) et fait des avances aux Américains.Mais son sort est déjà scellé. Fin octobre et début novembre, les Américains notent une activité inhabituelle sur les aéroports proches de l'Afghanistan.

Versla fin novembre, des divisions d'infanterie stationnées au Turkménistan sont complétées par la mobilisation de réservistes.

Les 8 et9 décembre, des unités de parachutistes sont acheminées près de Kaboul, à Bagram. Les Américains protestent alors, auprès des Soviétiques, exigeant des explications, qu'ils n'auront que le 27 décembre. Sur la manière dont Moscou a décidé d'intervenir, on ne sait pas grand-chose.

Certains ont cru pouvoir dire que l'armée étaitpour et le KGB contre.

D'autres ont affirmé que les dirigeants soviétiques n'imaginaient pas dans quelle difficile aventure ilss'engageaient.

Il n'est pas invraisemblable qu'un faux consensus en faveur de l'intervention se soit établi entre des optimistes,ignorant ses véritables risques, et des réalistes, parfaitement conscients qu'il ne s'agissait pas d'une promenade de santé. Ce qui est certain, c'est que des réaménagements sont apportés au dispositif militaire après l'intervention.

Mais ils sont décidéstrès tôt.

Les chars les plus lourds sont retirés vers la fin du mois de mai: Leonid Brejnev fait passer ce mouvement pour uneréduction du contingent soviétique, lors de sa rencontre avec Valéry Giscard d'Estaing le 19 mai à Varsovie.

Les chars lourdsseront, en fait, remplacés par des engins plus légers et plus maniables.

Mais plus qu'une adaptation du matériel, c'est une révisiondu mode de conduite de la guerre qui doit être opérée pour faire face à une résistance qui ne désarme pas. Les principes d'une telle révision sont formulés au cours de l'été par le général Tret'yak qui commande le district militaired'Extrême-Orient.

Leur mise en application est confiée, fin décembre, au général Yazov, qui a servi sous Tret'yak et vient d'êtrenommé à la tête du district d'Asie centrale.

Il s'agit essentiellement de donner aux officiers subalternes et aux sous-officiers unecapacité suffisante d'initiative dans l'exécution des opérations antiguérilla, de manière à pouvoir y engager de petites unitésrelativement autonomes en missions coordonnées.

Ces unités doivent recevoir une formation appropriée, qui se met en placeprogressivement. L'ensemble du contingent opérant en Afghanistan n'a toutefois pas les mêmes besoins.

Pour la majeure partie des neuf ou dixdivisions qui opèrent aujourd'hui, la mission ne sort guère du maintien de l'ordre, de la protection des organes de l'Etat afghan, ducontrôle des zones économiques vitales et des grands axes de communication.

Seule la 201 e division d'infanterie mécanisée est engagée directement dans la lutte antiguérilla.

Peu à peu, l'efficacité de cette unité d'élite, mieux formée, mieux équipée, s'accroît.Elle marque des points contre la résistance. La direction demeure centralisée, entre les mains d'un haut commandement suprême spécial que dirige le maréchal Sokolov,alors premier vice-ministre de la défense.

La responsabilité opérationnelle est confiée au général Sorokine, lequel basé à Bagramn'est que le " représentant " du haut commandement suprême spécial.

Il ne faut pas voir uniquement dans cette centralisation lereflet de l'organisation bureaucratique hiérarchisée de l'Etat et de la société soviétiques; elle traduit aussi la volonté de ne pasperdre la maîtrise politique de l'opération militaire afghane. Les Soviétiques savent aujourd'hui qu'ils ne gagneront pas facilement sur le terrain.

Car la résistance, de son côté, améliore sonarmement et ses méthodes de combat.

Elle tient tête remarquablement, et fait même l'étonnement de bien des experts militaires.Moscou combine donc son engagement armé avec des manoeuvres politiques et diplomatiques. Le gouvernement afghan est chargé, avec l'aide de nombreux conseillers et agents soviétiques, de diviser la résistance,d'éloigner d'elle la population, et de rallier celle-ci.

Tâche impossible, en apparence, tant est grand le discrédit de Karmal et duPDPA.

Leurs efforts ne sont pas tout à fait vains, mais la partie est loin d'être gagnée. Au plan diplomatique, le but immédiat de Moscou, en se disant prêt à retirer ses troupes, est de faire cesser l'aide qu'apportentà la résistance l'Iran et le Pakistan, et de faire accepter le gouvernement de Karmal par la communauté internationale.

En dépit. »

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